Moyen Âge : l’âge d’or du continent africain
Histoire d’une Afrique marchande et reliée au reste du monde grâce au commerce de l’or, de l’ivoire… et des esclaves.
Pourquoi parle-t-on d’un âge d’or du Moyen Âge africain ?
François-Xavier Fauvelle, historien spécialiste de l'Afrique : La principale vertu de l’expression « âge d’or » est de prendre le contre-pied d’un cliché répandu dans la société : l’Afrique n’a pas d’histoire. C’est un fait historique : le Moyen Âge est une époque faste pour le continent. À cette époque, de puissants royaumes se sont constitués et ont rayonné dans le monde. Celui du Ghâna ou celui du Mâli étaient connus jusque du monde islamique, de l’Europe et de l’Asie. Au XIVe siècle, le royaume du Mâli était l’un des plus importants exportateurs d’or. À la différence de l’époque coloniale, l’Afrique du Moyen Âge était maîtresse de ses ressources.
Pourquoi est-il difficile pour les historiens de retrouver les traces de cet âge d’or ?
François-Xavier Fauvelle : À la différence des sociétés médiévales chrétiennes européennes ou de celles du monde arabe, les sociétés africaines n’ont pas produit de sources écrites, en dehors de l’Éthiopie (en langue guèze) et des régions situées dans le nord de l’Afrique (en arabe). Nous avons des indices d'une connaissance de l’écriture par les sociétés africaines, mais la grande majorité d’entre elles n'ont pas voulu y recourir, préférant les traditions orales. Problème : ces dernières se perdent en un ou deux siècles… Pour remonter de quinze siècles, on ne peut pas se fier à l'oralité. L'écriture était utilisée en Afrique subsaharienne pour des usages restreints : inscriptions funéraires, épigraphies commémoratives des victoires de rois, graffitis... Mais pas de trace d'archives administratives ou de chroniques historiques. Heureusement, nous avons quelques textes de géographes arabes du Moyen Âge, qui tiennent souvent leurs informations de marchants s’étant rendus en Afrique. Mais ces sources sont rares, les marchants souhaitant rester discrets sur les secrets de leurs commerces.
Et du côté de l’archéologie ?
François-Xavier Fauvelle : Il reste encore de nombreux vestiges du Moyen Âge : d'imposants monuments à des plus petits détails. Dans le sud de la Mauritanie, les vestiges des villes de Tegdaoust et de Koumbi Saleh (probablement la capitale du royaume médiéval du Ghâna) ; les ruines de l’île de Kilwa Kisiwani, un port commercial important, au large de la Tanzanie ; plusieurs sites musulmans en Éthiopie ; et le site de Grand Zimbabwe, une cité de 700 ha, entourée d’une muraille, située au cœur du pays du même nom… Mais, parfois, les restes d’une poubelle, trouvés ici ou là, nous donnent aussi de précieuses informations sur l’alimentation quotidienne, les plantes cultivées, etc. Malheureusement, très peu de financements sont alloués à la recherche archéologique en Afrique. Il y a un très grand retard dans le domaine. Nombre de villes importantes de l’époque, comme l’ancienne capitale du royaume du Mâli, n’ont même pas été découvertes.... Il reste encore beaucoup à faire sur le terrain.
Quels sont les principaux royaumes du Moyen Âge africain ?
François-Xavier Fauvelle : Il y a les royaumes de Ghâna (Xe - XIIe siècles) et du Mâli (XIIIe- XIVe siècles), dans la Mauritanie et le Mali actuels ; plus à l’est, autour du fleuve Niger, le royaume de Gao ; encore plus à l’est, autour du lac Tchad, on trouve le royaume de Kanem-Bornou ; sur la haute vallée du Nil, dans l’actuel Soudan, on trouve plusieurs royaumes chrétiens, notamment celui de Nubie (jusqu’au XIIIe siècle) ; en Éthiopie, des royaumes musulmans et un royaume chrétien ; enfin, sur la côte swahilie d’Afrique de l’Est, de la Somalie au Mozambique, on dénombre une série de cités-États. Ces dernières sont très liées : les différents souverains ont des liens familiaux, les biens et les personnes y circulent librement. Comme les musulmans se déplaçaient beaucoup sur le continent africain, notamment pour se rendre à La Mecque, les habitants des divers royaumes se sont rencontrés. Il y avait aussi des liens étroits entre les royaumes chrétiens : on sait que l’Éthiopie et la Nubie ont eu de fortes relations diplomatiques au IXe siècle. Il y a également eu des conflits entre les royaumes du Ghâna et du Mâli pour des raisons commerciales, principalement liés à l'or et aux esclaves. Globalement, le royaume le plus puissant était souvent celui qui parvenait à faire le plus de razzias d’esclaves chez son voisin.
Quelles étaient les richesses de ces royaumes ?
François-Xavier Fauvelle : Les royaumes africains exportaient de l’or et des esclaves, deux ressources très prisées du monde islamique. L’ambre gris était également en vogue à cette époque, notamment en Chine. La substance, issue de sécrétions de cachalot, entrait dans la composition de certains produits de parfumerie et de pharmacopée. L'Afrique importait en retour des produits de luxe, surtout de Chine et de Perse : des étoffes de soie, des céramiques de prestige, de la porcelaine, des perles en verre, etc. Le sel était importé du centre du Sahara.
Peut-on parler d’un âge d’or sur le plan technique, intellectuel et artistique ?
François-Xavier Fauvelle : Sur le plan technique, on souligne souvent le retard de l’Afrique subsaharienne durant le Moyen Âge. Notamment l’absence de la roue et du tour de potier. Mais on oublie de mentionner l’inventivité dans le domaine de la métallurgie, liée à la production du cuivre et du fer (armes, bijoux… ). Dans le domaine artistique, des statuaires en bronze du Nigeria, ou en argile du Mali, attestent d’un haut niveau esthétique et technologique. D’un point de vue intellectuel, difficile à dire à cause de l’absence d’écrits. À partir du XVe siècle, on retrouve des chroniques historiques, écrites par des lettrés de Tombouctou. En Éthiopie, à la cour des rois chrétiens et dans les monastères, une culture de l’écrit se développe également. Des récits de la vie de saints ou des écrits philosophiques, comme ceux du roi Zara Yaqob, montrent un très grand dynamisme intellectuel.