Découverte de l'épave présumée du Clotilda, dernier navire négrier de l'histoire

En 1860, des marchands d'esclaves ont mis à feu et à sang le navire négrier pour cacher leurs crimes. Depuis, l'épave du bateau n'était qu'une folle rumeur.

De Sarah Gibbens
Publication 31 janv. 2018, 15:32 CET, Mise à jour 5 déc. 2024, 11:36 CET
Voyage to Alabama

La cale de la Clotilda a servi de cachot infernal pour 110 Africains réduits en esclavage et ramenés en Alabama en 1860, soit plus de 50 ans après que l’importation de nouveaux esclaves y a été interdite. Le capitaine a mis le feu à sa goélette pour brouiller les pistes mais la coque du bateau a en majorité survécu à l’incendie.

PHOTOGRAPHIE DE Jason Treat et Kelsey Nowakowski, NG Staff. Art: Thom Tenery

Les faits se déroulent 52 ans après l'interdiction de la traite d'esclaves internationale par les États-Unis. Timothy Meaher, un riche propriétaire de plantations, se vante de pouvoir passer en contrebande un navire rempli d'esclaves en Amérique du Nord

Des documents d'archives indiquent que Meaher ont convenu d'un plan avec le capitaine William Foster, et que le 7 juillet 1860, le Clotilda est entré dans la Baie de Mobile, transportant à son bord 103 esclaves. C'est le dernier navire négrier connu à avoir transporté des esclaves faits prisonniers en Afrique et emmenés de force aux États-Unis d'Amérique par voie navale.

Pour dissimuler les preuves de leur crime, l'équipage a mis le feu au Clotilda après avoir débarqué les hommes que le navire transportait.

Pendant plus d'un siècle, les restes du Clotilda étaient un mystère, une rumeur. Mais une enquête préliminaire menée par un journaliste d'investigation et des archéologues a permis la mise au jour de l'épave.

 

À LA RECHERCHE DU CLOTILDA

Quand un ouragan a frappé la côte est américaine en début de mois, beaucoup s'inquiétaient de constater des inondations et des températures particulièrement basses.

Dans le delta de Mobile-Tensaw, à quelques kilomètres au nord de Mobile, en Alabama, le cyclone a fait chuter les températures à -4°C, ce qui est particulièrement froid pour cette région, et les vents forts ont eu un effet inédit sur les marées. Ben Raines, reporter pour un média local, AL.com, a alors deviné que c'était là les conditions idéales pour partir à la recherche de l'épave.

Journaliste d'investigation de profession et marin pendant son temps libre, Ben Raines est familier du delta et de sa biodiversité. Il était à la recherche du Clotilda depuis octobre 2017 et a été guidé par un riverain dont la famille habite la région depuis la fin du 19e siècle.

Et ses efforts ont fini par payer : Raines a aperçu une partie des restes du navire tristement célèbre le 31 décembre 2017. « On aurait dit l'épine dorsale d'un dinosaure » se rappelle-t-il.

Le flanc tribord du bateau était quasiment exposé par la marée exceptionnellement basse. Le côté bâbord était quant à lui quasiment entièrement recouvert de vase. Le capitaine de loisir a su instantanément qu'il s'agissait là d'un ancien navire et avait l'intuition que ces restes étaient ceux du Clotilda.

Après avoir alerté des archéologues de l'université d'Alabama du Sud de sa découverte, il s'est rendu à nouveau sur le site avec deux archéologues sous-marins de l'université de Floride de l'ouest, Gregory Cook et John Bratten.

 

INDICES DU PASSÉ

« On pouvait voir distinctement que l'on avait là les restes d'un ancien navire en bois et le bout d'un mât, » indique Gregory Cook.

En évaluant visuellement les restes du navire, les archéologues ont pu déterminer qu'il avait été construit au milieu du 19e siècle, dans un style ressemblant à celui du Clotilda. Des bouts de planches portaient des marques de brûlures et se trouvaient à l'endroit indiqué par le Capitaine Foster. 

« Nous ne pouvons pas affirmer avec une absolue certitude qu'il s'agit bien là du Clotilda mais cela vaut la peine de mener une enquête. »

Excaver le bateau demandera plus de temps et de patience. Les autorités doivent encore déterminer si les recherches seront placées sous la juridiction du Corps des ingénieurs de l'armée des États-Unis ou de l'État d'Alabama. Les archéologues de Floride devront ensuite déposer une demander de permis avant de creuser la vase pour trouver d'autres artefacts.

scan of ship

L’épave gît en eaux troubles, et la visibilité est si mauvaise que les archéologues ont dû utiliser un sonar pour connaître son état et ses dimensions.

PHOTOGRAPHIE DE Search Inc., Courtesy Alabama Historical Commission

« Mon instinct me dit qu'ils ont fait une vraie trouvaille, » nous indique James Delgado, qui travaille dans une société spécialisée dans la recherche appelée SEARCH et ancien directeur du programme de protection de l'héritage marin pour l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique. James Delgado a participé à l'excavation de plusieurs épaves sur la côte ouest et il corrobore le besoin de mener d'autres recherches avant de confirmer la découverte de l'épave.

Le fait que le navire ait été brûlé est sans doute le plus grand indice qui pourra permettre cette identification. Les archéologues supposent par ailleurs que les restes recouverts de vase contiendront des échantillons ADN d'excréments humains, une découverte fréquente dans les épaves de navires ayant transporté des esclaves.

D'autres artefacts comme des chaines ou des bijoux provenant d'Afrique de l'ouest, où les hommes et femmes étaient enlevés pour être réduits en esclavage, pourraient être de nouvelles pièces de ce mystérieux puzzle.

 

UN PASSÉ TERRIBLE

Des découvertes comme celles-ci peuvent aider le public à mieux appréhender les réalités du commerce triangulaire, explique James Delgado.

« S'il s'agit bien du Clotilda, ces restes donneront un sentiment d'immédiateté, de lien direct avec notre présent. »

Pour Ben Raines, si cette découverte était confirmée elle signifierait beaucoup, non seulement pour Mobile mais aussi pour toute la communauté locale appelée Africatown, fondée par les esclaves débarqués du Clotilda, souvent représentée aujourd'hui comme une ville fantôme ravagée par la pauvreté.

« J'aimerais qu'un musée soit construit dans la région pour commémorer ce sombre passé, avec des artefacts du bateau. Mobile a une histoire terrible. Le dernier navire négrier a accosté ici. La dernière bataille de la Guerre de Sécession s'est jouée ici. »

Raines espère que sa découverte pourra devenir le symbole d'un passé que nul ne doit oublier.

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