L'Église ukrainienne orthodoxe se sépare de la Russie
L'Église orthodoxe connait actuellement sa « pire crise » depuis des siècles, mais l'origine de cette dernière est plus politique que religieuse.
Une bonne partie des 260 millions de fidèles chrétiens orthodoxes n'appartiennent désormais plus à une entité religieuse unique dirigée par Moscou. La décision, qui a été annoncée jeudi dernier dans la soirée par les autorités ecclésiastiques, a des conséquences considérables sur l'un des piliers de l'Église orthodoxe instauré il y a plus de trois siècles.
Après des semaines d'attente, un synode convoqué par le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée Ier, « le premier parmi ses pairs » dans la hiérarchie de l'Église orthodoxe, a indiqué dans une déclaration qu'il reconnaissait à l'Église orthodoxe de l'Ukraine le droit à l'indépendance. Celle-ci était sous tutelle moscovite depuis 1686.
Le synode a officiellement reconnu la légitimité du Patriarcat séparatiste de Kiev de l'Église orthodoxe d'Ukraine, fondé il y a 26 ans sur les ruines de l'Union Soviétique et longtemps traité comme un paria. Le synode a aussi affirmé le statut et l'autorité de prêtre du dirigeant et fondateur du Patriarcat de Kiev, le patriarche Philarète, âgé de 94 ans. L'acte d'union de 1686 passé entre les congrégations russes et ukrainiennes a également été révoqué.
Ensemble, les fidèles russes et ukrainiens sont plus nombreux que toutes les autres congrégations orthodoxes au monde réunies. À l'heure actuelle, les Ukrainiens représentent un quart des 136 millions de fidèles du Patriarcat de Moscou, dont un tiers des paroisses se situent en Ukraine. Selon des sources bien informées, cette séparation pourrait être la « pire crise » de l'histoire vieille de milliers d'années de l'Église orthodoxe.
Le différend oppose également les sympathisants du président russe Vladimir Poutine à sa critique régionale principal Petro Poroshenko, le président de l'Ukraine. Les deux hommes sont accusés de se servir de cette crise ecclésiastique au profit d'une vendetta politique, qui a débuté en 2014 avec l'annexion forcée de la Crimée par la Russie et la présence militaire continue de cette dernière dans l'Est de l'Ukraine où les troubles perdurent.
Petro Poroshenko a qualifié la décision du synode de « victoire du bien sur le mal ». D'après lui, le Patriarcat de Moscou constituait « une menace directe à la sécurité nationale de l'Ukraine. »
Ces dernières années, les rangs du Patriarcat de Kiev ont grossi, comprenant 29 % de fidèles ukrainiens, contre 13 % pour le Patriarcat de Moscou. 26 % des fidèles ukrainiens se décrivent comme « juste orthodoxes » ou disent appartenir à des branches plus petites de l'Église.
En septembre, lorsqu'il est devenu clair que l'autocéphalie (terme canonique pour désigner l'indépendance) de l'Église ukrainienne était imminente, le Patriarcat de Moscou a riposté en suspendant les prières liturgiques de Bartholomée Ier, en interdisant à ses prêtres de participer à des offices religieux avec des évêques de Constantinople et en cessant de participer à des assemblées, dialogues théologiques et commissions présidés par des représentants du Patriarcat de Constantinople.
La peur que des violences surviennent est apparue avec l'aggravation des différents. Des sites Internet russes ont fait circulé des informations infondées selon lesquelles des nationalistes ukrainiens auraient débarqué dans la laure de Kiev-Pechersk, un célèbre monastère. Certains prêtres dont la paroisse se trouve dans des zones fidèles au Patriarcat de Moscou, à l'instar du monastère cité précédemment, auraient demandé à leurs fidèles de « défendre leurs églises ».
Toutefois, presque toutes les parties s'accordent à dire que si le conflit a pour origine des tensions profondément ancrées dans l'histoire orthodoxe, celui-ci n'a pas de dimension liturgique ou théologique. À cet égard, la crise s'apparente fortement à celle que connaissent les autres grandes religions dans le monde, à savoir une baisse importante du nombre de fidèles, une fragmentation institutionnelle et la subordination des préoccupations spirituelles à la politique.
La Russie et l'Ukraine, les deux nations à couteaux tirés concernant l'autorité religieuse orthodoxe responsable, figurent parmi les pays les plus laïcs au monde. Si chez la quasi-totalité des nations à majorité orthodoxe, l'identification aux églises nationales reste très élevée avec 71 % de la population en Russie et 77 % en Ukraine, les pratiquants sont de fait peu nombreux.
En 2016, Pew Research Center a mené un sondage d'opinion publique dont les résultats étaient les suivants : seuls 15 % des Russes et 20 % des Ukrainiens décrivaient la religion comme « très importante ». 6 % des Russes et 12 % des Ukrainiens indiquaient se rendre à la messe toutes les semaines. Quant à ceux qui confiaient prier chaque jour, ils n'étaient que 18 % en Russie et 28 % en Ukraine. À titre de comparaison, 52 % des Américains considèrent la religion comme très importante, ils sont 31 % à se rendre à l'église toutes les semaines et 57 % à prier quotidiennement.
Cela signifie que l'identification des citoyens aux églises orthodoxes n'a pas grand chose à voir avec la religion. Il s'agit plutôt d'un symbole d'appartenance à une nation.
La religion orthodoxe a également souffert d'un nombre en baisse de ses fidèles dans le monde. En 1910, les orthodoxes représentaient 20 % de la population mondiale ; aujourd'hui, selon Pew Research Center, ce chiffre est descendu à 12 %. C'est dans ce contexte que les différends opposant les dirigeants religieux de Moscou d'un côté et ceux de l'Ukraine et de Constantinople de l'autre, ont donné lieu à une importante crise.
« Le patriarche de Constantinople n'a aucune compétence sur l'Ukraine en vertu du droit canonique », a indiqué Vladimir Legoïda, directeur du département synodal pour les relations entre l'Église, la société et les médias à Moscou. « Bartholomée Ier cite l'existence de documents historiques prouvant que le décret de 1686 devait être temporaire ». Mais d'après Vladimir Legoïda, ces documents n'existent pas et il ajoute que mettre un terme à la relation de deux églises après plus de trois siècles est « absurde ».
« C'est comme si nous disions que l'Alaska était encore russe car sa vente aux États-Unis a eu lieu il y a longtemps et sous un régime différent ». (À l'époque, en 1867, c'est le Secrétaire d'État William H.Seward qui avait réalisé l'acquisition).
Le Patriarcat de Moscou est aussi fréquemment accusé d'être un pion de Vladimir Poutine, soutenant toujours les politiques intérieures menées par le président russe et représentant ses intérêts à l'étranger. Des accusations que réfutent les dirigeants religieux russes.
« Nous ne sommes pas l'église de l'État russe ou de tout autre État », a ajouté Vladimir Legoïda. « Notre patriarche se soucie des fidèles de 16 pays. Ils relèvent de notre responsabilité pastorale et canonique. »
Cet article a initialement paru sur le site internet nationalgeographic.com en langue anglaise.