Reportage : L’exode des Vénézuéliens
Après l’effondrement économique de leur pays, ils fuient vers le Brésil par milliers. Mais leurs problèmes ne s’arrêtent pas à la frontière.
Du poisson et du taro. Voilà les seules denrées que Milagros Ribero, 35 ans, et sa famille pouvaient se procurer dans leur village du delta du fleuve Orénoque. Le delta est aussi la région d’origine des Warao, le deuxième groupe indigène le plus nombreux du Venezuela.
En juin, les Ribero ont parcouru 800 km jusqu’au Brésil. Nous sommes venus chercher de quoi manger, dit Milagros Ribero, près de sa tente, à Janokoida, un camp pour les réfugiés warao récemment mis en place à Pacaraima, une ville du Brésil proche de la frontière.
Des centaines de Vénézuéliens la franchissent chaque jour, portant leurs affaires sur leur dos et leurs papiers à la main. Télévision, téléphones portables, vêtements : ils ont tout vendu pour payer le voyage.
Au Brésil, ils espèrent trouver de quoi se nourrir et se soigner, vivre en sécurité et travailler – tout ce qu’ils ont perdu au Venezuela, avec son économie en débâcle, son inflation vertigineuse, son taux de criminalité élevé et ses pénuries régulières de nourriture et médicaments.
Après un boom pétrolier, entre 2004 et 2014 , le Venezuela a payé au prix fort la chute des cours, ses déficits abyssaux et sa corruption persistante. Plus de 58 000 Vénézuéliens ont fui au Brésil depuis 2017 . C’est le plus grand mouvement migratoire jamais enregistré entre les deux pays.
La région frontalière est surtout célèbre chez les voyageurs en quête d’aventure sur le mont Roraima. Ce plateau de 2 810 m d’altitude a inspiré à Arthur Conan Doyle Le Monde perdu et la rencontre entre des explorateurs et des dinosaures. Mais nulle aventure n’attend les migrants. À court d’argent, beaucoup ne dépassent pas Pacaraima. Dans ce qui était une paisible ville d’un peu plus de 12 000 habitants, des centaines – au bas mot – de réfugiés vivent sous la tente, dans les rues et sur les parkings.
Les tensions entre habitants et Vénézuéliens affluant au Brésil se sont exacerbées, en août. Des campements de migrants ont été incendiés, après l’agression présumée d’un commerçant. Officiellement, Pacaraima compte 434 sans-abris vénézuéliens – chiffre qui semble très sous-estimé. Le père Jesús Esteban, un prêtre espagnol, organise chaque jour un petit déjeuner (café, pain et fruits) pour plus de 1 500 personnes. « Il n’y a jamais de restes », dit-il.
Après avoir perdu trois emplois en un an, jesús gomez, 28 ans, a quitté le Venezuela avec sa compagne, Eunice Henríquez, 27 ans. Ils dorment sous la tente qu’ils utilisaient à la mer. « C’était pour voyager. Maintenant, c’est notre maison », dit Jesús, ancien vigile. Eunice, qui a démissionné de son emploi d’infirmière, sous-payé, vend désormais du café à Pacaraima. Ses gains lui paient juste un repas par jour. Le couple, qui vivait dans une petite chambre chez les parents de Jesús, ne regrette cependant pas de s’être réfugié au Brésil.
De nombreux migrants marchent 200 km de plus, jusqu’à Boa Vista, capitale de l’État du Roraima, une ville de 332 000 habitants, plus animée et à l’économie plus stable. Partout des Vénézuéliens y cherchent du travail. Certains se massent aux feux rouges, lavant les pare-brise pour quelques pièces ou vendant des produits locaux – dont des fanions du Brésil, lors de la récente Coupe du monde de football.
Pour les emplois manuels, la paie est tombée à moins de 8,5 euros par jour. Souvent, les migrants vont de ville en ville, espérant mieux ailleurs. À Pacaraima et Boa Vista, deux centres sont réservés aux Warao. Ils font cuire les aliments sur des feux de bois, tissent et vendent des objets d’artisanat, et tentent de garder certaines habitudes. Ils trouvent là des soins et de quoi manger, mais les conditions de vie sont précaires.
Dans l’un des camps, l’odeur des égouts est suffocante et, avec la saison des pluies, la cour est souvent inondée. Avec le concours des Nations unies et d’ONG, le Brésil a ouvert neuf camps de réfugiés à Boa Vista. Ils accueillent déjà 4 200 personnes, et bien plus attendent de les rejoindre. L’idée est de les envoyer dans d’autres États et d’accueillir de nouveaux migrants. Mais le processus est lent. Bien que certains réussissent à louer de petits espaces aux abords de la ville, la vie est si dure que quelques-uns envisagent de rentrer chez eux.
Cet article a été publié dans le magazine National Geographic n° 230, daté de novembre 2018.