Aux Philippines, l’exil programmé
Dix millions de Philippins travaillent à l’étranger, loin de leur famille. Ils envoient 27 milliards d’euros par an à leurs proches. Une aide vitale pour le pays.
Ils sont domestiques en Angola, ouvriers sur des chantiers navals au Japon et des champs pétroliers en Libye, nounous à Hongkong. Mais aussi chanteurs dans des provinces reculées de Chine. Et ils représentent le quart des équipages de la marine marchande du globe.
Quelque 10 millions de Philippins (environ 10 % de la population de l’archipel) sont aujourd’hui en exil pour échapper au chômage et aux bas salaires dans leur pays d’origine. Cette population d’expatriés envoie 27 milliards d’euros par an aux Philippines, soit un dixième du produit intérieur brut.
Le phénomène a pris tellement d’ampleur qu’il a totalement remodelé l’économie et le système éducatif philippins. Des écoles spécialisées et des centres de formation préparent les étudiants à trouver du travail dans les domaines les plus susceptibles de leur assurer un emploi à l’étranger. C’est le cas des écoles de marine, qui mettent chaque année sur le marché des milliers de personnes qualifiées. Tous les ans aussi, 19 000 infirmières diplômées, initiées à la langue de leur futur pays d’accueil, prennent leur poste dans un hôpital.
Le personnel de maison féminin apprend quant à lui à dresser une table selon les standards de cultures diverses, à faire un lit au carré, comme dans les hôpitaux, ou à accueillir un invité en chinois ou en arabe.
Un véritable exil programmé. Des agences gouvernementales gèrent même l’expatriation des travailleurs enregistrés, négocient des contrats de travail respectueux du droit international, rapatrient les travailleurs lors de crises diplomatiques ou de conflits. Une délégation officielle s’est ainsi rendue dernièrement en Syrie pour y retrouver des employés et les ramener en sécurité au pays.
L’apport régulier d’argent fourni par ces travailleurs expatriés a permis de sortir bon nombre de familles philippines de la misère. Au milieu des rizières des provinces les moins favorisées, on voit pousser des maisons construites grâce à ce pécule venu de l’étranger.
À chaque mois de décembre, les Philippines rendent un hommage national à ces expatriés. Le cinéma et la télévision diffusent des spectacles qui véhiculent une image romantique de leurs privations et de leur volonté. Capables de se sacrifier pour assurer une vie meilleure à leur famille et à leur pays, les membres de la diaspora philippine sont appelés les « bagong bayani » – les nouveaux héros.
Extrait du reportage “ Philippines, l’exil pour survivre ” de Aurora Almendral, publié dans le numéro de décembre 2018 du magazine National Geographic.