Où est passée la dépouille d'Alexandre le Grand ?
Objet d’enjeux de pouvoir, la momie du souverain macédonien aurait été ensevelie à Alexandrie dans une riche sépulture. Mais où précisément ? Telle est la question que se posent toujours les archéologues.
Cet article a initialement paru dans le magazine Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine
Le Macédonien Alexandre le Grand, fils de Philippe II et d’Olympias, devenu roi en 336 av. J.-C., meurt prématurément à Babylone, après plus de 12 ans de règne. Son immense royaume, fragilisé par un impérialisme aussi impressionnant qu’inachevé politiquement, est sous le choc. Le fidèle compagnon du roi, Perdiccas, qu’Alexandre a désigné comme régent, supervise les opérations funéraires, qui semblent confiées à un certain Arrhidée.
Mais la dépouille du roi devient rapidement un enjeu, car plusieurs prophéties contradictoires circulent : celle du devin Aristandre de Telmessos avance que « la terre qui accueillerait le corps dans lequel l’âme du souverain avait habité serait tout à fait heureuse et inattaquable à jamais » (Élien, Histoire variée, XII, 64) ; une autre, que la lignée des rois macédoniens s’éteindrait si un descendant n’était pas enseveli dans la nécropole royale traditionnelle d’Aigai ; une autre encore, qu’il fallait transférer la dépouille à Memphis. Après avoir fait embaumer le corps par des spécialistes égyptiens et chaldéens, Perdiccas prend la décision de le rapatrier à Aigai. S’il souhaite respecter la tradition, il y voit aussi l’occasion de rentrer triomphalement en Macédoine, afin de légitimer son pouvoir.
LE CERCUEIL EST INTERCEPTÉ
L’historien du Ier siècle av. J.-C. Diodore de Sicile nous transmet une précieuse description du convoi mortuaire qui devait transporter la dépouille royale. L’ouvrage, qui était une véritable prouesse technique, aurait englouti des sommes considérables pendant ses deux années de réalisation. Alexandre le Grand fut déposé dans un sarcophage anthropoïde, constitué de plaques d’or martelé qui épousaient les contours de son corps, et garni d’aromates pour imprégner la dépouille d’une agréable odeur, tout en assurant la conservation des chairs.
Ce sarcophage fut enchâssé dans un cercueil doré, sur lequel on posa un manteau de pourpre, la couleur traditionnellement associée au pouvoir, avant d’y déposer les armes du défunt. Ce catafalque somptueux prenait place sur un char d’apparat, surmonté d’un toit soutenu par un péristyle dorique, dont la voûte en berceau dorée était sertie de pierres précieuses et de guirlandes florales.
Sur les angles étaient juchées quatre Victoires ailées, tandis que des cloches suspendues annonçaient l’arrivée du catafalque, qui imitait l’architecture des tombeaux macédoniens. Ce char imposant, tiré par 64 mulets couronnés d’or, était équipé d’amortisseurs sur chaque essieu, afin de protéger l’ensemble des soubresauts du voyage. Enfin, quatre panneaux ornés de scènes affichant les triomphes d’Alexandre entouraient le cercueil comme un coffre occultant.
Pourtant, Perdiccas n’arriva jamais à destination : Ptolémée Ier Sôtêr, désigné satrape d’Égypte en 323 av. J.-C. et futur fondateur de la dynastie des Lagides, s’avança au devant du cortège jusqu’en Syrie pour l’intercepter et s’approprier la prestigieuse dépouille. Certains parlent d’un rapt à main armée ; d’autres, plus crédibles, d’un habile détournement, Ptolémée ayant probablement négocié avec Arrhidée la momie royale. Élien avance quant à lui que Ptolémée aurait même installé un simulacre du corps d’Alexandre sur un char richement décoré, afin de tromper Perdiccas, tandis qu’il faisait acheminer en secret la véritable dépouille en Égypte.
Ensuite, les sources se contredisent à nouveau : certains affirment que le corps fut directement transporté à Alexandrie ; d’autres évoquent qu’il fut d’abord enseveli à Memphis selon les rites macédoniens, vraisemblablement dans un tombeau à chambre sépulcrale surmontée d’un tumulus. La dépouille macédonienne, qui fut apparemment transférée vers 280 av. J.-C. dans un coffre de plomb vers la cité d’Alexandrie, put alors reposer dans sa dernière demeure.
HOMMAGES ET PILLAGES
C’est Ptolémée IV Philopatôr, l’arrière-petit-fils de Ptolémée Ier, qui aurait fait édifier dans le nord-est de la cité le Sôma (« corps » en grec) ou Sèma (« signe, monument, tombeau »), qui devait également abriter les corps des souverains lagides dans des chapelles attenantes.
Même s’il n’a pas été retrouvé, on peut situer ce monument dans le quartier des palais royaux et tenter de le reconstituer d’après les témoignages littéraires. Ce splendide tombeau, délimité par un temenos (enceinte sacrée), comportait une chambre funéraire souterraine en albâtre, surmontée d’un toit pyramidal lui-même enseveli sous un tertre. À moins qu’il n’ait été inspiré par le mausolée d’Halicarnasse, qui appartient à la célèbre liste des Sept Merveilles du monde. En 89 av. J.-C. vient la première offense : Ptolémée X, à court d’argent, aurait substitué un sarcophage de verre ou d’albâtre translucide au cercueil d’or.
D’illustres visiteurs défilèrent ensuite pour honorer ou piller la royale dépouille : César inaugure ces hommages en 48 av. J.-C. ; puis Octave, en 30 av. J.-C., qui la couronne d’or et la couvre de fleurs, mais qui, en manipulant la momie, lui détériore le nez ; Hadrien, ensuite, la visite peut-être au IIe siècle apr. J.-C. Caligula aurait, quant à lui, fait dérober la cuirasse d’Alexandre pour se l’approprier, tandis que Cléopâtre, en mal de ressources financières, aurait pillé le tombeau. Caracalla, enfin, en 215 apr. J.-C., dépose en hommage son manteau de pourpre, sa bague et sa ceinture ; il semble être le dernier visiteur.
Aux IIIe -IVe siècles apr. J.-C., Alexandrie subit des séismes et des raz-de-marée ; elle est surtout meurtrie par des guerres civiles et des émeutes entre chrétiens et païens, une vague de christianisation cherchant à éradiquer les monuments d’idolâtrie païenne. C’est à ce moment que l’on perd la trace du Sôma. Malgré les nombreuses recherches archéologiques, les théories fantaisistes et les rumeurs invérifiées, le tombeau ne sera jamais retrouvé. Au milieu des supputations multiples, un historien britannique, Andrew Chugg, avance une thèse insolite, qui n’a pas été corroborée. La momie du roi macédonien aurait été échangée avec la dépouille de saint Marc, premier évangéliste d’Alexandrie, puis transportée par des Vénitiens au IXe siècle ; elle reposerait actuellement sous l’autel de la basilique Saint-Marc.
UN TUMULUS SANS PROPRIÉTAIRE
À l’été 2014, des archéologues découvrent un complexe funéraire monumental surmonté d’un tumulus de 497 mètres de circonférence à Amphipolis, en Macédoine. Ce tombeau colossal, qui se distingue par sa taille, son luxe et son marbre en profusion, est décoré de sphinges, de caryatides et d’une impressionnante mosaïque représentant l’enlèvement de Perséphone.
Même si tout indique qu’Alexandre a été enterré en Égypte, le monde entier espère que la tombe, enchâssée à 20 mètres de profondeur, recèle le corps du roi. Ou, du moins, celui de sa mère, Olympias, ou de son épouse Roxane, car on dénombre des ossements appartenant à cinq individus. Mais, après un an de feuilleton médiatique savamment orchestré, Katerina Peristeri, l’archéologue responsable du projet, fait tomber son verdict : les inscriptions sont sans appel, ce n’est pas le tombeau d’Alexandre ; il s’agirait d’un monument funéraire dédié à Héphestion, un général du roi mort en 324, qui fut à la fois son ami, son confident et peut-être son amant.
Puis, à l’automne 2015, Andrew Chugg démonte cette conclusion en réinterprétant les inscriptions, qui semblent appartenir à des blocs retaillés et réemployés pour édifier le tombeau d’Amphipolis. Elles ne permettent donc pas d’affirmer que ce tombeau est celui d’Héphestion, et il semble par ailleurs hasardeux d’affirmer que les successeurs d’Alexandre, en pleine guerre pour le pouvoir suprême, aient choisi de mener à terme un projet architectural aussi coûteux pour un simple général. Le tumulus d’Amphipolis garde donc tous ses mystères. Quant à l’emplacement de la sépulture d’Alexandre, il demeure un rêve inassouvi pour les archéologues.