Nabuchodonosor, le despote réformateur

Le grand roi de Babylone fut-il le tyran implacable décrit dans la Bible ? Que nous disent les dernières recherches historiques ?

De Francis Joannès
Nabuchodonosor et Semiramis faisant élever les jardins de Babylone pour plaire à son épouse Amytis - ...
Nabuchodonosor et Semiramis faisant élever les jardins de Babylone pour plaire à son épouse Amytis - oeuvre de René-Antoine Houasse.
PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

Nabuchodonosor : les six syllabes de ce nom royal, tel que nous l’a transmis la tradition biblique, ont traversé les siècles, évoquant un roi de Babylone prestigieux, grand bâtisseur et conquérant impitoyable, tout autant qu’ennemi implacable du peuple de Yahvé et destructeur de l’État de Juda et du temple de Jérusalem. La Bible voit en lui l’instrument du châtiment des Judéens, mais elle le montre aussi sensible à l’action du prophète Daniel. Elle lui attribue même sept années d’exil dans le désert, dans un état de semi-folie, anecdote qui est en fait un emprunt au règne du dernier roi de Babylone, Nabonide.

Pour les historiens gréco- romains, qui ont du mal à cerner son règne, Nabuchodonosor a clairement été un despote oriental dans toute sa démesure : chez Hérodote, il est probablement le modèle de la reine Nitocris et de ses gigantesques travaux. Mais c’est à lui que l’on attribue aussi la création des jardins suspendus de Babylone, pour atténuer la mélancolie de son épouse d’origine iranienne. Modelant à son gré les forces de la nature et le destin des peuples, selon les sources extérieures, restaurateur des temples et du pouvoir royal et de sa puissance impériale, selon les inscriptions babyloniennes, Nabuchodonosor permit à Babylone de fleurir encore plusieurs siècles dans son berceau mésopotamien.

Dans sa forme babylonienne, son nom se présente comme Nabu-kudurri-usur, « Ô Nabu, protège mon héritier ». Si l’on connaît les dates exactes de son règne (605-562 av. J.-C.), il reste pourtant des points d’incertitude concernant ce souverain, dont ne subsiste qu’une seule représentation, très standardisée, sur une stèle de pierre trouvée à Babylone. La recherche historique récente a cependant fait beaucoup progresser nos connaissances sur ce représentant majeur de la dynastie néobabylonienne (626-539 av. J.-C.), la dernière d’un empire de Babylone indépendant.

Cette miniature du 8e siècle, réalisée par le moine espagnol Beatus de Liébana, représente l'histoire biblique ...
Cette miniature du 8e siècle, réalisée par le moine espagnol Beatus de Liébana, représente l'histoire biblique du roi babylonien Nabuchodonosor II, condamné par Dieu à manger de l'herbe.
PHOTOGRAPHIE DE Granger Collection, AGE Fotostock

On sait qu’il est le deuxième roi de Babylone à porter ce nom, et que le premier Nabuchodonosor, qui régna à la fin du XIIe siècle av. J.-C., jouissait d’un prestige particulier pour avoir rendu à la Babylonie son indépendance et son rang de grande puissance proche-orientale. Nabuchodonosor II, lui, était le fils de Nabopolassar, le fondateur de l’Empire néobabylonien, et il participa activement à l’émergence de la Babylonie et à sa délivrance de la tutelle des Assyriens.

La qualification, souvent faite, de « chaldéenne » pour désigner la dynastie de Nabuchodonosor n’a plus vraiment lieu d’être : on a récemment établi que sa famille était originaire de la ville d’Uruk, dans le sud de la Babylonie, et qu’elle appartenait à la notabilité locale : le père de Nabopolassar fut gouverneur de la ville au service des Assyriens, et Nabuchodonosor lui-même a commencé sa carrière comme administrateur du temple de la déesse Ishtar, le plus important de la ville.

À partir de 626, le pays fut engagé dans une guerre impitoyable contre les Assyriens : elle se termina en 612 par la prise et la destruction de leur capitale principale, Ninive, avec l’aide des Mèdes venus d’Iran. Si Nabopolassar conduisit les premières campagnes, c’est ensuite Nabuchodonosor, désigné comme prince héritier, qui fut en charge des campagnes militaires dans l’ouest du ProcheOrient, marquées par la prise et la destruction de la dernière capitale assyrienne, Harran, en 610. Parallèlement, Nabopolassar et son fils investissaient le produit de leurs victoires, en hommes et en butin, dans une gigantesque entreprise de restauration des monuments des villes de Babylonie et dans une remise en état économique du pays et de ses infrastructures.

 

UN PALAIS SUD DE 60 HECTARES 

La réorganisation des canaux d’irrigation et la remise en culture des terres agricoles permirent à la Babylonie de connaître une expansion économique et démographique qui allait se poursuivre pendant des siècles. Babylone fut l’objet de soins particuliers. Sa gigantesque enceinte fut relevée et restaurée. La porte principale de la ville, dédiée à Ishtar, fut pourvue d’un magnifique décor d’animaux en briques vernissées. Elle se prolongeait par une grande voie processionnelle, qui conduisait au principal temple de la ville, l’Esagil, consacré au dieu Marduk, et à la tour pyramidale de sept étages appelée l’Etemenanki, qui lui était associée.

Mais, si le centre de la ville était placé sous l’autorité de Marduk, la partie nord, en bordure de la porte d’Ishtar, relevait du pouvoir royal : Nabuchodonosor y fit restaurer et agrandir le palais sud, qui mesurait 60 hectares, et il le doubla d’un second palais, situé à l’extérieur de la muraille et appelé « palais nord », construit entre 586 et 576. Cet ensemble palatial était pourvu de sa propre enceinte et servait à la fois de résidence royale, de réserve pourvue des ressources les plus diverses et de centre du pouvoir. Dans l’une de ses inscriptions, Nabuchodonosor se vante « d’avoir entreposé, au cours de la septième année de son règne [598 av. J.-C.], à l’intérieur de l’Esagil, 180 millions de litres d’orge, 21,6 millions de litres de dattes, et 20 000 jarres de vin. Et d’avoir entreposé, à l’intérieur du palais royal, 360 millions de litres d’orge, 18 millions de litres de dattes et 70 000 jarres de vin ».

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    PHOTOGRAPHIE DE Bpk, Scala, Florence

    Cette affirmation de la puissance royale se doublait d’une politique centralisatrice, mettant sous l’autorité du roi toutes les administrations locales, en particulier celles des grands temples du pays. La Babylonie connut alors quatre décennies d’un gouvernement fort et efficace, qui s’appuyait aussi sur l’affirmation de la toute puissance de Marduk : dieu de la capitale, Babylone, il était aussi le roi du panthéon babylonien, ce qui reproduisait à l’échelle divine l’organisation hiérarchique mise en place par Nabuchodonosor lui-même dans son empire.

    Cet empire était, pour l’essentiel, l’héritier de celui des Assyriens. Il s’étendait sur un territoire presque identique, correspondant à l’Irak actuel, à la Syrie et à la plus grande partie du Levant (Liban, Israël, Palestine, Jordanie). Seule exception notable : l’Égypte échappa toujours au roi de Babylone. Une lutte sans merci s’était d’ailleurs engagée à partir de 610 av. J.-C. avec le pharaon Nékao II pour la domination du Proche-Orient occidental. Si Nabuchodonosor écrasa les Égyptiens en 605 av. J.-C., à Karkemish puis à Hamat, il ne put jamais soumettre leur pays et y renonça après une dernière tentative infructueuse en 601 av. J.-C. Il établit alors une sorte de zone tampon entre son empire et le territoire égyptien, à laquelle appartenait le royaume de Juda et des villes philistines comme Ascalon.

    Cependant, à la différence des Assyriens, qui avaient amorcé au VIIIe siècle av. J.-C. une politique associant certaines élites locales à la gestion impériale, l’empire de Nabuchodonosor fonctionnait sur un modèle tributaire : les territoires gagnés par la conquête servaient à produire les ressources nécessaires au fonctionnement de la Babylonie et de sa gigantesque capitale. Et l’Égypte ne se privait pas d’inciter les vassaux levantins de Nabuchodonosor à refuser le versement du tribut, en leur promettant un soutien militaire qui se révéla malheureusement illusoire.

     

    JÉRUSALEM PRISE PAR DEUX FOIS

    Joaquim, roi de Juda (609-598 av. J.-C.), se révolta ainsi contre Babylone, déclenchant une offensive de Nabuchodonosor qui conduisit à une première prise de Jérusalem en 597 av. J.-C. Le nouveau roi, Joachin, fut emmené en captivité à Babylone avec sa famille et une partie de sa cour. À Jérusalem, sa succession fut prise par son oncle Sédécias, qui se comporta en vassal fidèle de Babylone pendant plusieurs années. Mais lui aussi finit par se révolter, en 589 av. J.-C. La réaction de Nabuchodonosor fut terrible : Jérusalem fut prise en juillet 587 av. J.-C. Le temple fut pillé, et une bonne partie de la population emmenée en déportation d’ailleurs souche. Or, ce n’était pas la seule communauté installée de force en Babylonie et servant, pour l’essentiel, de main-d’œuvre pour les grands travaux royaux : des gens de Tyr, de Gaza, d’Ascalon, de Qadesh, de Neirab furent déportés de la même manière.

    La longueur du règne de Nabuchodonosor frappa les imaginations, mais ne créa pas pour autant de légitimité dynastique incontestable. Le roi fut lui-même menacé par un complot de son frère, Nabu-shum-leshir, et peut-être par son propre fils, le futur Amel-Marduk. Trois de ses successeurs périrent de mort violente et, entre 562 et 539 av. J.-C., il y eut deux coups d’État. Cependant, le nom de Nabuchodonosor était resté assez prestigieux pour être repris par deux usurpateurs, Nabuchodonosor III puis IV, en 521 av. J.-C.

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