La « forêt » de Notre-Dame, une fragile structure partie en fumée

Les flammes qui ont embrasé la cathédrale de Notre-Dame lundi 15 avril ont emporté sa célèbre charpente en bois, à qui l'on donnait le surnom romantique de « forêt ».

De Romy Roynard, Elia Quint
PHOTOGRAPHIE DE Benoit Tessier, Reuters

Cette emblématique cathédrale gothique qui semble défier les lois de la gravité rappelle à chacun de ses spectateurs l'envie que l'Homme a de se rapprocher du ciel. Notre-Dame est depuis huit siècles le sujet d'un amour trouble, fait de périodes d'adoration et de rejet, de destruction et de reconstruction. Sans la déclaration littéraire de Victor Hugo, qui l'a transformée en sujet artistique, peut-être n'aurait-elle pu survivre. 

Pourtant la cathédrale où reposent les reliques de la Sainte couronne trône toujours sur l’Île de la Cité, comme un phare au milieu de la Seine.

Lundi 15 avril dernier, un incendie a ravagé une partie de l'édifice, plus précisément sa partie la plus fragile et la plus délicate soutenue par une « forêt » architecturale dont les fondations boisées étaient à la merci des flammes. Le procureur de la République Rémy Heitz a indiqué hier en conférence de presse que « rien [n'allait] dans le sens d'un acte volontaire » et qu'une enquête avait été ouverte pour déterminer dans les jours ou les semaines qui viennent les circonstances exactes de l'incendie. Il a par ailleurs indiqué que les « auditions d'ouvriers, d'employés des entreprises [chargées des travaux en cours] » avaient d'ores et déjà commencé pour permettre de faire la lumière sur cet événement.

Comme le rapportent nos confrères du Monde, de nombreuses œuvres d'art conservées dans la cathédrale ont pu être sauvées dès l'apparition des première flammes, emportées, comme le rappelait hier le ministre de la Culture Franck Riester, par les équipes de la mairie de Paris, du ministère de la Culture et des pompiers en collaboration avec l'archevêché.

La plupart d'entre elles ont pu être déplacées à la Mairie de Paris quand d'autres, dont les mays, ces grands tableaux offerts à Notre-Dame presque chaque année entre 1630 et 1707 par la Corporation des orfèvres parisiens, seront décrochés et transportés au Louvre. Toujours selon les déclarations du ministre de la Culture, ces toiles de maîtres n'avaient pu être retirées pendant l'incendie. Si ces œuvres n'ont pas été directement touchées par les flammes, elles ont cependant subi les affres de la fumée. Entreposées dès vendredi 19 avril dans les réserves du musée du Louvre, elles y seront déshumidifiées avant d'être restaurées.

 

LA « FORÊT » PARTIE EN FUMÉE

La plus grande perte constatée pour le moment est la charpente, dont rien ou presque n'a survécu aux flammes. Avec celle de Saint-Pierre de Montmartre, principal vestige de la grande abbaye des Dames de Montmartre, elle était certainement l’une des plus anciennes charpentes parisiennes. Elle était surnommée presque amoureusement la « forêt » en raison du très grand nombre d'arbres qui avaient été nécessaires à sa construction ; chaque poutre provenait d’un arbre différent.

Comment cette structure si fragile était-elle protégée ? Faisait-elle l'objet d'un entretien particulier ? Pour le savoir, nous avons interrogé Véronique Soulay, docteure en archéologie médiévale, spécialiste du bâti qui a étudié une partie de la cathédrale et a co-signé le livre La Grâce d'une cathédrale.

 

Pourquoi la structure appelée la « forêt » était-elle en bois et n’avait-elle pas été renforcée ou modifiée au fil des restaurations ?

Les charpentes en bois étaient une tradition au Moyen âge, et celle-ci, par son enchevêtrement impressionnant de poutres en chêne et sa densité, était unique. Ce sont d’ailleurs ces caractéristiques qui lui valent le surnom de « forêt ». Elle a été mise en place dans la première moitié du XIIIe siècle, faisant suite à une première charpente installée au début de la construction de la cathédrale vers 1170. L’idée était qu’elle soit particulièrement résistante pour couvrir la nef. Et, finalement, elle a tenu ses promesses, puisqu’elle a résisté 800 ans, en restant relativement saine ! Malheureusement, de nombreuses cathédrales ont été victimes d’incendies, comme celle de Chartres en 1836 ou celle de Strasbourg qui a vu sa charpente partir en fumée lors du conflit franco-prussien en 1870.

Quelles étaient les mesures de sécurité existantes pour prévenir les risques d’incendies dans cette partie de la cathédrale ?

Dans ce type de construction, la charpente est évidemment un lieu à haut risque. Elle était surveillée et contrôlée régulièrement. Mais, surtout, l’endroit était particulièrement préservé, fermé au public et ouvert au compte-goutte pour des occasions exceptionnelles, notamment pour des travaux scientifiques. J’ai eu l’occasion de faire des relevés d’archéologie du bâti dans les tourelles d’escalier du transept. Pour s’éclairer, nous n’utilisions pas de branchement électrique, uniquement des lampes de poche.

 

Pourquoi les parties en pierre ont, elles, pu résister aux flammes ?

Ce n’est pas un hasard, les bâtisseurs du Moyen-Âge avaient déjà pleinement conscience des risques d’incendies. Ils ont construit l’édifice en prenant en compte cette éventualité. Les pierres utilisées sont des calcaires parisiens de bonne qualité et très résistants, tirés de carrières proches. Par ailleurs, l’usage du bois est limité. On en retrouve seulement dans les charpentes, contrairement à d’autres édifices de la même époque où il pouvait aussi servir d’éléments de renfort dans les fondations ou dans la maçonnerie. Ici, c’est le fer, dont l’usage était déjà bien maîtrisé à l’époque, qui a été utilisé pour renforcer certains assemblages de pierres, rendant le bâtiment plus solide encore.  

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    Les savoir-faire nécessaires à la reconstruction de Notre-Dame sont-ils encore maîtrisés aujourd’hui ?

    Tout à fait. Les restaurateurs du patrimoine, qui sont diplômés d’Etat, connaissent et utilisent les techniques de construction d’époque. Lors de la rénovation de la Tour Saint Jacques (4e arr.), non loin de Notre-Dame, par exemple, qui s’est achevée en 2008, les tailleurs de pierre ont travaillé avec les mêmes outils et gabarits que leurs prédécesseurs du Moyen-Âge.

    Par ailleurs, nous avons une chance inouïe : des mesures et relevés exhaustifs de la charpente ont été réalisés récemment et une vue très précise en 3D de tout l’édifice a été faite à l’aide de scanners, sous la direction du professeur d’art américain Andrew Tallon. On peut la visualiser sur le site mappinggothic.org. Nous disposons donc de données stratégiques pour évaluer précisément l’étendue des dégâts et permettre une éventuelle reconstruction. Concernant la « forêt », la structure étant désormais malheureusement perdue, est-il souhaitable de la reconstruire à l’identique ou choisira-t-on de la remplacer par une charpente métallique pour éviter une nouvelle catastrophe ?   

     

    MISE À JOUR SEPTEMBRE 2019

    Propos recueillis par Florent Lacaille-Albiges

    Début septembre 2019, la stabilisation de l’édifice est toujours en cours. Du fait de l’effondrement de la toiture, de la flèche et de portions de voûte, la structure entière de la cathédrale est fragilisée. Dans ce type d’édifice, tout est maintenu en place par un équilibre entre la poussée vers l’extérieur de la voûte et celle vers l’intérieur des arcs-boutants. En l’absence d’une de ces deux forces, les murs sont déstabilisés.

    Les travaux en cours ont pour but de d’empêcher la chute d'arcs-boutants entraîne un mur. Les quatorze arcs-boutants du chœur ont déjà été consolidés ; le cintrage des quatorze arcs de la nef devrait être fait dans les prochaines semaines.

    Suite à cette étape de sécurisation, les architectes pourront commencer l’inspection des pierres pour calculer avec précision quelle portion a disparu dans l’incendie et décider des travaux nécessaires à conduire. À l’automne, l’échafaudage, qui entourait la flèche et s’est effondré dans le chœur, devrait être démonté. Une étape délicate puisque la structure a été fragilisée par l’incendie, la chute de la flèche puis une tempête au mois de mai.

    Ces multiples travaux de sécurisation devraient s’achever au printemps 2020 par la mise en place de parapluies pour protéger les murs et le chantier des intempéries. Les travaux de reconstruction pourront alors commencer.

    Qu'en est-il de l'accueil des touristes ? Interrogé par National Geographic, André Finot, responsable communication Notre-Dame (diocèse de Paris), indique que pour le moment, les touristes peuvent apercevoir la cathédrale depuis le quai de Seine ou depuis l’Hôtel-Dieu, mais le parvis reste fermé en attente de la fin de la dépollution. Dans les jours qui viennent, le parvis devrait être de nouveau accessible. Le diocèse de Paris prévoit d’y installer une tente avec une reproduction de la Vierge du Pilier, la célèbre statue du 14e siècle, un espace de confession et une boutique.

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