La collection privée de la reine Elizabeth II révèle des œuvres méconnues de Léonard de Vinci
À l’occasion des 500 ans de la mort du peintre, le Louvre accueille jusqu'au 24 février 2020 une exposition consacrée à Léonard de Vinci.
Les dessins de Léonard de Vinci rassemblés dans la Royal Collection ne quittent que très rarement leur sanctuaire du château de Windsor. Cependant, 2019 n'est pas une année comme les autres, elle marque le 500e anniversaire de la mort de l'artiste. À partir du 24 mai, la Queen's Gallery du palais de Buckingham accueillera une exposition consacrée aux œuvres de Léonard de Vinci, la plus grande jamais organisée depuis 60 ans. Une opportunité sans précédent pour les visiteurs du palais qui pourront admirer les marques de craie et les coups de plume laissés par la main du grand maître.
Intitulée Leonardo da Vinci: A Life in Drawing, l'exposition lèvera le voile sur environ un tiers des pages détenues par la Royal Collection, soit plus de 200 dessins qui viendront mettre en lumière l'insatiable curiosité de l'artiste, les différents thèmes qu'il aimait aborder et son incroyable technique. La sélection comprend des esquisses de La Cène, des schémas d'armes et une étude de mains en lien avec son tableau inachevé L'Adoration des mages : deux pages réalisées à la pointe de métal, si estompées qu'elles ne sont visibles que sous ultraviolet. Également au programme : une page contenant des esquisses représentant les pattes d'un cheval sous différents angles, réalisée en préparation de l'une des trois statues équestres inachevées et un dessin à l'encre d'un homme pensif à la barbe ondulée. Un dessin identifié comme portrait de Léonard de Vinci il y a quelques semaines par Martin Clayton, commissaire de l'exposition et directeur des dessins et estampes du Royal Collection Trust. Ce portrait aurait été réalisé par l'un des assistants de l'artiste peu de temps avant sa mort.
Les reproductions des dessins de Léonard de Vinci témoignent de son extraordinaire capacité à capturer et visualiser l'information et sont largement accessibles en ligne ou dans les livres. Dans leur forme originale, les qualités artistiques de ce virtuose font vivre une expérience autrement plus intense à celui qui les contemple, une place que j'ai eu la chance d'occuper personnellement à l'automne dernier au château de Windsor, où j'ai pu admirer une sélection tirée de la collection royale. Les textures et les imperfections jaillissent des pages et il est alors possible de saisir toute la vigueur avec laquelle travaillait l'artiste, la profondeur des couleurs qu'il explorait à travers ses lavis et ses craies, l'énergie de ses coups de pinceaux et sa remarquable dextérité.
Dans un dessin, il réalise à la plume et à l'encre une étude pour Léda de quelques centimètres. Dans un autre, il travaille le drapé du bras de Marie en préparation du tableau La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne, dans une transparence époustouflante, à l'aide de coups de craies noire et rouge rehaussés de blanc. « Aucune reproduction n'est capable de capturer la palette de nuances, la subtilité et la vivacité de ces dessins, » m'assure Clayton.
De même, une reproduction ne pourra jamais reproduire le sentiment de spontanéité provoqué par les originaux qui transportent l'observateur et lui font vivre un rapport privilégié avec l'artiste. On se sent connecté. Cette relation couplée aux efforts constants de l'artiste pour faire sens de tout ce qui l'entoure contribuent à rendre plus humain le génie de Léonard de Vinci. C'est à travers les hachures, griffonnages et autres dégradés que son talent a évolué pour lui permettre de comprendre l'astronomie, l'architecture, l'anatomie et bien d'autres domaines d'études. Sur la même page que son célèbre dessin d'un fœtus en position siège dans l'utérus, on trouve des ébauches plus petites qui montrent les efforts fournis par l'artiste pour comprendre la biologie du placenta et les lois par lesquelles un bébé recroquevillé se présente tête la première à la naissance. Ses dessins étaient ses propres expériences. « Il jouait avec son imagination, » commente Clayton.
L'un des aspects les plus saisissants des originaux de Léonard de Vinci réside dans les compléments laissés à la main par les héritiers de ses créations. L'artiste avait légué ses dessins à Francesco Melzi, son élève dévoué, qui les a reçus après sa mort, le 2 mai 1519, et les a conservés pendant près de 50 ans. Selon Clayton, Melzi s'est efforcé de classer certains des sujets abordés par son professeur qui étaient parfois éparpillés de façon incompréhensible d'une page à l'autre. Il s'est employé à marquer les différents travaux de Léonard, ses drapés, ses cartes et ses dessins du déluge avec la ferme volonté d'y mettre de l'ordre. Dans certains cas, Melzi est même allé jusqu'à découper les portraits et les petites silhouettes dispersés sur différentes pages avec l'intention de regrouper les thèmes similaires, notamment pour la célèbre série des « grotesques » du grand maître dans laquelle il ébauche des visages humains déplaisants avec leurs mentons saillants et leurs lèvres bulbeuses.
Au cours de ma visite, Clayton m'a présenté l'une de ces pages pour me montrer le résultat final. « Il y a un dessin comme celui-ci, où Melzi a coupé certains morceaux, » dit-il en pointant des trous aux angles nets en haut et sur le côté de la page. Les parties manquantes ne font qu'amplifier la complexité de l'assortiment de divers sujets dessinés au recto et au verso de la page : le profil d'un jeune homme, une tenue ornementale, un œsophage et un estomac.
Les travaux de Leonard de Vinci ont subi d'autres altérations après la mort de Melzi, vers 1570. Les dessins de l'artiste ont ensuite été rachetés par le sculpteur Pompeo Leoni qui les a immédiatement rassemblés dans au moins deux albums, l'un desquels a rejoint les œuvres de la Royal Collection. Regrouper 600 dessins dans un unique volume relié en cuir ne contenant que 234 folios a dû être un réel tour de force. Le plan d'Imola, une ville du nord de l'Italie, porte encore les cicatrices de cet exploit : des marques horizontales et verticales révèlent en effet les endroits où la page avait été pliée en quatre, l'usure a même fini par percer un trou au centre de la carte.
La somptueuse carte du Valdichiana au sud de la Toscane présente d'autres idiosyncrasies. En effet, les inscriptions se lisent de gauche à droite, dans le sens commun donc, plutôt que de droite à gauche comme c'était souvent le cas pour Léonard de Vinci, adepte du procédé appelé écriture spéculaire ou écriture en miroir. Cette particularité suggère que la carte avait été réalisée pour un comité professionnel plutôt que pour l'artiste lui-même comme l'étaient ses autres dessins, m'informe Clayton. Sur le verso de la page, on trouve un portrait grossièrement dessiné (en aucun cas de la main de Léonard de Vinci, me garantit Clayton) ainsi que des traces de cire à cacheter rouge, probablement utilisée pour accrocher la carte à un tableau de présentation. « L'aspect archéologique de ces dessins est fascinant, » ajoute-t-il.
Qu'ils soient cornés ou tachés, marqués par la pâte à papier ou filigranés, les originaux de Léonard de Vinci portent l'empreinte des siècles qu'ils ont traversés. Observer de près tous ces détails est une expérience hors du commun et les mois à venir regorgent d'occasions d'assister à ce spectacle depuis les premières loges. Par exemple, les musées Royaux de Turin exposent actuellement plus de 50 œuvres de l'artiste dont son Codex sur le vol des oiseaux, les Gallerie dell’Accademia de Venise présenteront quant à elles le légendaire Homme de Vitruve aux côtés de divers autres dessins. Cette liste des expositions consacrées au grand maître est loin d'être exhaustive.
L'exposition à la Queen's Gallery du palais de Buckingham s'achèvera le 13 octobre 2019 et les visiteurs sont attendus en masse. Cette année déjà, 12 expositions plus petites des dessins de la Royal Collection organisées dans divers établissements du Royaume-Uni ont attiré un million de visiteurs, un chiffre bien supérieur aux prévisions. Après Londres, la phase finale de cette commémoration se tiendra à la Queen's Gallery du palais de Holyrood à Édimbourg, en Écosse, où seront présentés 80 dessins à partir de fin novembre et jusque mi-mars 2020.
Pris dans leur ensemble, les dessins de Léonard de Vinci témoignent de son infatigable passion pour la découverte et l'apprentissage. « Ce que nous pouvons apprendre de Léonard aujourd'hui, c'est qu'en regardant au-delà de notre propre discipline, on trouve l'inspiration, » conclut Clayton. « On accède à tous les possibles. » Une façon de voir les choses qui provoque l'émerveillement en chacun de nous.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.