Homme de Néandertal : une analyse ADN sème le doute sur sa migration
Des échantillons ADN prélevés sur des os âgés de 120 000 ans créent la surprise et apportent un nouvel éclairage sur l'histoire de ce proche parent de l'Homme.
En 1856, de curieux ossements ont été mis au jour dans une carrière de calcaire de la vallée de Néander en Allemagne. Bien que les fragments de crâne et d'os ressemblaient vaguement à ceux de l'Homme moderne, le front était trop robuste et les os trop lourds. Il aura fallu attendre huit ans pour que les scientifiques identifient les fossiles comme la première trace d'une toute autre espèce humaine éteinte, l'Homo neanderthalensis.
Année après année, découverte après découverte, les chercheurs ont complété le portrait de l'Homme de Néandertal en exposant son lieu de vie, son attitude bienveillante envers les plus jeunes et peut-être même son art. Aujourd'hui, l'analyse d'échantillons ADN prélevés sur deux Hommes de Néandertal européens permet aux scientifiques d'en savoir plus sur le voyage de cette espèce à travers le monde préhistorique.
Les prédécesseurs des Néandertaliens se seraient séparés des ancêtres de l'Homme moderne il y a au moins 500 000 ans avant de se disperser à travers l'Europe, l'Asie Centrale et l'Asie du Sud-Ouest. Publiée le 26 juin dans Science Advances, la nouvelle étude suggère que deux de ces anciens Hominini qui auraient vécu il y a 120 000 ans disposaient d'un patrimoine génétique étrangement similaire à celui des Néandertaliens bien plus récents. Par ailleurs, l'un des deux Néandertaliens étudiés présentaient également une fraction inhabituelle d'ADN laissant supposer des interactions avec un autre groupe d'hominini qui reste à identifier.
Ces découvertes rendues possibles par le progrès des analyses ADN sèment le doute sur l'histoire migratoire de l'Homme de Néandertal et ses interactions avec nos premiers ancêtres, rapporte Kay Prüfer, auteur de l'étude et chercheur à l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionniste en Allemagne.
« Sans cette technologie, nous n'aurions pas pu faire le lien entre ces différents pans de l'histoire, » dit-il.
PUZZLE DE NÉANDERTAL
Des recherches antérieures suggéraient que l'Homme de Néandertal avait un patrimoine génétique plutôt mixte, fruit des croisements à travers l'Europe et l'Asie. Cependant, les données indiquant cette similarité génétique étaient largement restreintes à la période de disparition de l'Homme de Néandertal, il y a environ 40 000 ans.
D'autres éléments ont également poussé l'équipe à se demander ce qui avait pu être négligé par le passé. Les restes d'un Homme de Néandertal estimés à 120 000 ans ont par exemple été découverts dans la grotte sibérienne de Denisova, celle qui a donné son nom au cousin à longues dents des Néandertaliens : l'Homme de Denisova. Cet individu connu sous le nom de Néandertalien de l'Altaï possédait un génome très différent des Hommes de Néandertal européens plus récents.
Son patrimoine génétique différait même de la moitié néandertalienne du génome d'une femme hybride mise au jour dans cette même grotte, née d'une mère néandertalienne et d'un père denisovien il y a environ 90 000 ans. Les gènes de la mère étaient plus proches de ceux des Néandertaliens apparus plus tard. Tout cela suggère qu'à un certain point, la population néandertalienne de cette région fut remplacée par un autre groupe de la même espèce. Mais alors, d'où venaient ces successeurs ? Cette mutation s'est-elle limitée à la partie est de leur aire de répartition ?
Pour résoudre ce mystère, l'équipe s'est tournée vers un fémur vieux de 120 000 ans découvert dans la grotte d'Hohlenstein-Stadel ainsi qu'une mâchoire d'un âge similaire provenant de la grotte Scladina en Belgique. Ils ont ensuite procédé à l'extraction de l'ADN mitochondrial, un fragment génétique transmis de la mère à l'enfant, et de l'ADN nucléaire transmis par les deux parents et donc porteur d'une information plus dense.
Vint ensuite l'étape complexe d'analyse génétique. De par leur nature fragile, les brins d'ADN ont tendance à se décomposer avec le temps et les échantillons sont facilement contaminables.
« Nous avons dû faire preuve de créativité pour que cela fonctionne, » rapporte Prüfer, en ajoutant qu'ils ont eu recours à diverses techniques pour s'assurer que la contamination n'influençait pas les résultats.
Les résultats qu'ils ont obtenus les ont surpris : les deux Hommes de Néandertal européens datés à 120 000 ans étaient plus proches des néandertaliens qui parcouraient l'Europe des dizaines de milliers d'années plus tard que du Néandertalien de l'Altaï découvert en Sibérie vivant à la même époque. Les deux individus plus vieux étaient par ailleurs remarquablement similaires d'un point de vue génétique à la mère de la femme hybride.
Cette similarité génétique entre les Néandertaliens d'Europe et la moitié néandertalienne de la femme hybride montre que ces individus étaient peut-être membres du groupe qui a remplacé les premiers résidents de la grotte de Denisova. Et puisque ces deux spécimens ont un âge similaire à celui du Néandertalien de l'Altaï, il est possible que le remplacement avait déjà démarré il y a 120 000 ans, indique Adam Siepel, biologiste spécialiste en biologie computationnelle au Simons Center for Quantitative Biology du Cold Spring Harbor Laboratory.
« Ces deux individus semblent être liés à l'origine de cette population remplaçante étant donné qu'ils ont plus ou moins vécu au moment où s'effectuait la transition. » explique-t-il par e-mail.
DES RACINES ENCHEVÊTRÉES
Alors que l'analyse a permis d'éclaircir certains chapitres de l'histoire des Néandertaliens, quelques doutes subsistent. Tout d'abord, en dépit de la similarité de l'ADN nucléaire des Hommes de Néandertal à travers le temps et l'espace, l'ADN mitochondrial du fémur de la grotte de Stadel diffère en tout point de celui des Néandertaliens étudiés jusque-là, observe le coauteur de l'étude Stéphane Peyrégne, qui a mené cette analyse dans le cadre de ses recherches doctorales à l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionniste.
Ce mystérieux ADN mitochondrial avait déjà été évoqué dans une étude publiée en 2017 dans la revue Nature. Dans la dernière étude, l'équipe a confirmé la précision de cette analyse et a eu recours à des tests numériques démontrant que la variation génétique n'était pas uniquement due au hasard. Ils ne sont toutefois pas en mesure d'expliquer comment elle apparue.
Peut-être qu'elle provient d'un autre groupe d'anciens Néandertaliens qui se serait séparé du reste de la population il y a bien longtemps. Ou peut-être, proposent les chercheurs, que les ancêtres des premiers humains s'étaient immiscés dans le patrimoine génétique de l'Homme de Néandertal. Bien que les membres de cette longue lignée européenne de néandertaliens aient disparu depuis très longtemps, nous savons qu'ils se sont reproduits avec l'Homme moderne qui a quitté l'Afrique il y a environ 55 000 ans, transmettant au passage 2 % d'ADN néandertalien dans le génome de l'Homme moderne d'origine non-africaine. (À lire : La lignée de l'Homme de Denisova pourrait représenter trois espèces humaines.)
Il se pourrait également que le scénario inverse se soit produit et qu'un groupe antérieur d'humains modernes ait transmis de l'ADN aux Néandertaliens. Dans ce cas, l'Homme moderne aurait légué au moins deux types de mitochondrie aux Hommes de Néandertal, explique Prüfer. L'un aurait évolué vers la séquence identifiée dans le fémur de la grotte de Stadel alors que l'autre aurait donné naissance à toutes les autres séquences mitochondriales néandertaliennes découvertes à ce jour.
Cet écart dans les résultats entre les ADN nucléaire et mitochondrial est surprenant mais peut-être qu'il ne devrait pas l'être, fait remarquer Qiaomei Fu de l'Académie chinoise des sciences de Pékin, spécialiste de l'ADN préhistorique, non impliqué dans l'étude.
« Étant donné que l'on retrouve le même scénario chez les Dénisoviens, avec d'autres preuves de ce type, je pense qu'il devient de plus en plus clair que les croisements survenus au cours de l'histoire des hominini sont assez complexes et qu'ils pourraient bien avoir eu lieu fréquemment, » explique Fu par e-mail.
Même entouré de tous ces mystères, cette dernière étude apporte de nouveaux détails à l'histoire d'un ancien parent de l'Homme avec lequel nous commençons seulement à faire connaissance mais qui avec chaque découverte nous apparaît de plus en plus familier.
« Je pense que cela change notre perception dans une certaine mesure, » conclut Prüfer, « pour comprendre qu'il existait vraiment un parent qui aurait pu nous ressembler et qui… habitait les mêmes régions que nous peuplons actuellement. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.