Osiris, le dieu des morts qui redonne la vie
Ce n’est qu’après l’époque des grandes pyramides de Gizeh qu’apparaissent les premières mentions d'Osiris. Mais, dès lors, sa popularité va croître pour faire de lui le plus grand des dieux égyptiens.
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine
Osiris est certainement le dieu qui a connu la plus grande popularité dans l’Égypte ancienne. Pourtant, il est apparu relativement tard. En effet, ce n’est qu’au
milieu de la Ve dynastie (environ 2400 av. J.-C.) qu’il commence à se répandre dans toute l’Égypte en s’imposant dans les formules gravées sur les monuments funéraires.
Il se substitue à d’antiques divinités comme Ândjty à Bousiris, ou fusionne par syncrétisme avec d’autres sous des formes composites, ainsi Ptah-Sokar-Osiris à Memphis, et surtout Osiris-Khenty-Imentyou. KhentyImentyou, dont le nom signifie « Celui qui préside aux occidentaux [les morts] », était vénéré à Abydos, un lieu que, depuis l’époque protodynastique, les Égyptiens jugeaient éminemment sacré parce que sa topographie particulière semblait le relier au monde des morts.
Le temple et le culte d’Osiris connurent dans cette ville une renommée panégyptienne, surtout au Moyen Empire et au Nouvel Empire. Sésostris III fit creuser dans la montagne un immense monument funéraire, et Séthi Ier fit édifier un complexe comprenant un temple et un cénotaphe au symbolisme architectural sophistiqué. Les particuliers, quant à eux, souhaitaient ardemment y venir en pèlerinage, assister aux panégyries du « dieu grand » et y établir des monuments funéraires à vocation de cénotaphes. Ils croyaient que participer à la sainteté du lieu profiterait à leur destinée funéraire.
Certes, aux époques tardives, l’attrait pour Abydos décrut quelque peu au profit de Philae. Mais Osiris pouvait se consoler en constatant la place prééminente que tenaient désormais ses cultes dans toute l’Égypte. Les écrivains grecs et romains considéraient qu’il y était universellement adoré. Et c’était vrai. Chaque région, chaque ville avait son culte osirien avec lieux saints, sanctuaire, relique du dieu, rites, fêtes, buttes, arbres sacrés, bons génies, tabous et officiants spécifiques ! Un bon exemple en est le temple de Dendérah : si Hathor – maîtresse des lieux depuis des temps immémoriaux – en conserva la maîtrise, sur son toit furent édifiées pas moins de six chapelles consacrées à Osiris et fonctionnellement indépendantes du reste de l’édifice.
FRATRICIDE CHEZ LES DIEUX
À quoi tient cette extraordinaire popularité ? Aux croyances qu’implique ce que l’on appelle « le mythe osirien ». À dire vrai, de ce mythe, les Égyptiens n’ont laissé aucune narration suivie. Il faudra attendre le penseur et biographe grec Plutarque (46-125 apr. J.-C.) pour avoir un récit cohérent, même s’il ne saurait être tenu pour canonique, loin de là. Auparavant, une multitude d’épisodes et d’allusions, souvent contradictoires, permettaient d’en retracer les grandes lignes.
Osiris appartient à la quatrième génération de l’Ennéade, les neuf dieux primordiaux égyptiens. À sa tête, le dieu créateur Atoum, qui rompt sa solitude en tirant de sa propre substance le premier couple, Shou et Tefnout, lequel en produit un second, Geb (la Terre) et Nout (le Ciel). De leur union naissent quatre enfants : deux frères, Osiris et Seth, et deux soeurs, Isis et Nephthys. Comme souvent, la famille est source de conflits. Osiris, bon roi protecteur de la végétation et découvreur des céréales nourricières, est jalousé par son frère Seth. Une jalousie dévorante, qui va pousser celui-ci au meurtre pour prendre la place de celui-là.
De fait, il abat Osiris sur la rive de Nédit (ou de Gehesty), dépèce son cadavre et en jette les morceaux au fleuve. Isis, épouse aimante d’Osiris, ne se résigne pas la perte d’un être chéri. Au terme d’une quête acharnée, elle parvient à collecter les restes de son époux et à les rassembler pour recomposer le corps. Selon une tradition, seul le phallus aurait été dévoré par un oxyrhynque, une variété de brochet. Pourtant, Isis parvient à revivifier assez son époux martyrisé pour s’unir à lui et concevoir un fils, Horus. En se cachant dans les marais, elle réussit à soustraire le jeune enfant à la haine meurtrière de Seth, qui a pressenti en lui un danger. Non sans raison : Horus, devenu un jeune homme plein de vigueur, châtie l’assassin de son père et en prend la succession.
Dans ce mythe complexe, susceptible de diverses lectures, on distingue trois thématiques majeures, qui se développeront de manière relativement autonomes tout en s’entrecroisant et en se recoupant les unes les autres : la thématique de la femme, épouse dévouée et bonne mère, qui sait user de subterfuges face aux difficultés, incarnée par Isis ; celle, cristallisée autour d’Horus, du dieu enfant en butte à l’hostilité et aux persécutions, mais voué à triompher malgré sa faiblesse et à faire prévaloir la succession de père en fils sur la succession entre frères ; enfin, et surtout, celle de la possible renaissance après la mort, symbolisée par Osiris.
DES ÉPIS SUR LE CORPS MOMIFIÉS
Fondamentalement, Osiris symbolise en effet cette espérance bien humaine que la mort, loin d’entraîner un total et inéluctable anéantissement, soit juste la phase d’un cycle où elle précède la renaissance. Le nom même d’Osiris demeure énigmatique. On l’a rapproché de la racine ouser (« être puissant »), mais les graphies laissent la porte ouverte à d’autres interprétations spéculatives. Certains tiennent par exemple qu’il signifie « principe de création ». Quoi qu’il en soit, il représente la puissance de régénération qui anime la nature. Le cycle végétal, où le retour à la terre prépare une nouvelle germination, en fournit un excellent exemple. Il est illustré notamment par l’image d’épis poussant dru sur le corps momifié d’Osiris. Elle était mise en oeuvre concrètement dans le rituel du mois de Khoiak, nom du quatrième mois de la saison de l’inondation dans le calendrier égyptien, quand la crue atteignait son maximum, de la seconde moitié de septembre à la première moitié d’octobre. Au cours de ces cérémonies célébrées du 21 au 30 de Khoiak, on mettait à germer dans une cuve en forme du dieu du grain dans un mélange terreux. De tels objets, appelés « Osiris végétants », faisaient aussi partie du mobilier funéraire, tant leur symbolisme prégnant semblait promesse d’efficacité.
Osiris était aussi identifié au Nil : les fluides ruisselant de son cadavre en décomposition étaient censés provoquer la crue annuelle, grâce à laquelle les végétaux et les cultures croissaient à nouveau après une période de dormance.
L’occident de la Vallée, où étaient enterrés les morts, donnait accès au monde souterrain de la Douât, une campagne fertile, sillonnée de cours d’eau et où poussaient abondamment des céréales. Ce monde avait son roi, Osiris sous forme humaine, coiffé d’une mitre entourée de plumes d’autruche et parfois posée sur des cornes de bélier. Ses chairs sont noires (symbole de la terre) ou vertes (symbole de la croissance). En ce royaume, chaque défunt, bien sûr, entend immigrer.
MOT DE PASSE POUR L'AU-DELÀ
Pour ce faire, il doit passer une épreuve d’admissibilité : le jugement des morts. Il comparaît devant un tribunal présidé par Osiris. Son cœur est placé sur un des deux plateaux d’une balance (la « psychostasie », ou pesée du cœur), l’autre étant chargé d’une effigie de Maât, déesse de la Justice. Puis il dénie avoir commis une kyrielle de fautes dans la « confession négative ». Il ne s’agit pas de se purifier de ses péchés en les avouant, mais de se faire agréer dans le cercle des dieux en assurant n’avoir violé aucun tabou, aucune prohibition. En fait, le succès de cette épreuve, loin de reposer sur l’observance scrupuleuse des lois morales durant la vie, tient simplement à la connaissance des noms et des formules qui permettent de neutraliser la balance, le tribunal et Osiris !
Osiris incarnait avant tout le principe de survie contenu dans la terre et dans l’eau. Mais il en vint assez vite à étendre son domaine. C’est encore à lui que l’on attribuait la réapparition de la nouvelle lune dans le ciel et le lever de l’étoile Sirius, coïncidant avec la crue du Nil. Bien plus : il existait depuis longtemps une croyance selon laquelle une renaissance était possible en participant au cycle solaire, soit en s’identifiant au dieu solaire Rê, soit en naviguant avec lui dans sa barque. Cette survie « solaire » entra en concurrence avec la survie osirienne, dite « chthonienne » (c’est-à-dire souterraine). Les théologiens entreprirent très tôt de les concilier à travers des synthèses où l’une était transposée dans le système de l’autre et réciproquement. En témoigne une célèbre scène de la tombe de Néfertari dans laquelle il est dit d’un bélier portant le disque solaire et momifié – donc cumulant les attributs de l’un et de l’autre dieu – : « Osiris se trouvant au repos sous la forme de Rê, c’est Rê se trouvant au repos sous la forme d’Osiris ».