Magellan a-t-il vraiment été le premier à faire le tour du monde ?

Cinq cents ans après son odyssée, l'héritage de l'explorateur reste complexe… et contesté.

De Erin Blakemore
En septembre 1519, Magellan quittait l'Espagne avec une flotte de cinq navires. Trois ans plus tard, ...
En septembre 1519, Magellan quittait l'Espagne avec une flotte de cinq navires. Trois ans plus tard, seul l'un d'entre eux, le Victoria (peint ici sur une carte de 1590), regagne l'Espagne après avoir fait le tour du monde.

Il y a cinq cents ans, Fernand de Magellan se lançait dans un voyage historique autour du monde. Facile, non ? Pas vraiment, l'explorateur et son voyage sont l'incarnation même de la contradiction. Magellan était portugais mais il naviguait pour le compte de l'Espagne. C'était un capitaine hors pair mais son équipage le détestait. Son expédition fut la première à faire le tour du monde à la voile mais lui-même n'y parvint pas. Son nom n'était même pas Magellan.

Comme Christophe Colomb avant lui, le navigateur portugais Fernand de Magellan proposa de rejoindre l'Asie et les Moluques, les îles aux épices, en naviguant vers l'ouest depuis l'Europe.
PHOTOGRAPHIE DE De Agostini Picture Library, M. Seemuller, Bridgeman Images

Quoi qu'il en soit, son expédition de 1519 a très clairement changé la face du monde. Son périple fut le « plus grand et le plus influent voyage en mer jamais entrepris, » déclare l'historien Laurence Bergreen, auteur du livre Par-delà le bord du monde : l'extraordinaire et terrifiant périple de Magellan. « Et ce n'est pas une hyperbole. »

Brutal, belliqueux et courageux, Magellan a transformé un voyage commercial en une effrayante confrontation avec un monde sauvage que peu d'Européens osaient imaginer. Au début de son odyssée, ses contemporains pensaient qu'il était impossible de faire un tour complet du monde et suspectaient l'existence de toutes sortes de créatures, des monstres des mers aux grenouilles tueuses, prêtes à ne faire qu'une bouchée de quiconque était assez écervelé pour s'y risquer. « Pour beaucoup, c'était un projet suicidaire, » indique Bergreen.

Né Fernão de Magalhães vers 1480, ce noble d'origine portugaise vécut un temps à la cour de Lisbonne en tant que page au service de la reine consort Éléonore et du roi Manuel Ier. Déjà, le jeune homme rêvait d'aventures et s'enrôla dans une série d'expéditions portugaises visant à découvrir et mettre à profit les très lucratives routes des épices en Afrique et en Inde.

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    À l'époque, le Portugal et l'Espagne entretenaient une rivalité acharnée dans la conquête de nouveaux territoires où ils pourraient se procurer les épices dont raffolaient tant les aristocrates européens. En 1505, Magellan fit son entrée dans la compétition entre les deux puissances et voyagea en Inde, en Malaisie et en Indonésie. Cependant, ses jours au service du Portugal étaient comptés : il fut accusé de commerce illégal et s'attira les foudres de Manuel Ier qui rejeta sa proposition d'ouvrir une nouvelle route des épices.

    Magellan était convaincu qu'en naviguant vers l'ouest plutôt que l'est, il trouverait un détroit qui, selon la rumeur, lui permettrait de traverser l'Amérique du Sud et de tracer une nouvelle route pour atteindre l'Inde et l'Indonésie. Il renonça donc à sa loyauté envers le Portugal et se tourna vers l'Espagne qui lui accorda à la fois la nationalité et la bénédiction du roi Charles V pour une expédition de cinq navires en direction de l'ouest.

    Le voyage allait offrir au capitaine un rang et une remarquable richesse : le roi lui avait octroyé un monopole de dix ans sur toutes les routes qu'il trouverait, une part des profits et un titre de noblesse. En revanche, la position de Magellan vis-à-vis de sa mission royale et de son équipage, principalement constitué d'Espagnols, était assez délicate. « Les Castillans répugnaient l'idée de naviguer sous le commandement d'un Portugais et pour les Portugais, l'explorateur était un traître, » peut-on lire dans l'œuvre de Lincoln Paine.

    Cette gravure du 16e siècle représente Magellan entouré de créatures mythologiques et d'animaux fantastiques qui témoignent de la vision qu'avaient les Européens des Amériques encore méconnues à l'époque.
    Photo Josse, Bridgeman Images

    Après un hiver impitoyable qui paralysa ses navires plusieurs mois sur les côtes de l'actuelle Argentine, une mutinerie éclata. L'un des vaisseaux fut détruit, un autre laissa tomber l'expédition et rebroussa chemin pour regagner l'Espagne. Le capitaine eut beaucoup de mal à reprendre le contrôle de ses hommes mais une fois son autorité rétablie, les répercussions ne se firent pas attendre et elles furent brutales. Il ordonna la décapitation et l'écartèlement de certains insurgés alors que d'autres furent abandonnés à leur sort ou contraints au travail forcé.

    Le voyage put finalement reprendre et Magellan parvint à se frayer un chemin à travers un passage périlleux qui porte aujourd'hui son nom, le détroit de Magellan. Ses ennuis n'allaient pas s'arrêter là. Alors que la flotte sillonnait l'océan Pacifique, la nourriture s'abîma et l'équipage dut faire face à la famine et au scorbut. Magellan et ses hommes s'arrêtèrent brièvement pour mettre pied à terre sur une île, probablement Guam, où ils tuèrent des indigènes et incendièrent leurs foyers en représailles du vol d'un petit bateau.

    Un mois plus tard, l'expédition atteignait les Philippines. À la surprise générale, Enrique, un esclave dont Magellan avait fait l'acquisition avant le voyage, comprenait et parlait la langue des autochtones. Il s'avéra qu'il avait probablement été élevé là avant d'être réduit à l'esclavage, ce qui fait de lui le premier homme à avoir fait le tour du monde, avant Magellan.

    L'explorateur revendiqua promptement les Philippines au nom de l'Espagne mais son engagement dans une guerre que Bergreen qualifie d'inutile le poussa à sa perte. « Il n'a pas été vaincu par les forces de la nature, » précise Bergreen.

    En mars 1521, l'expédition atteignait les Philippines où les relations avec le peuple indigène passèrent d'un échange pacifique de fruits à une bataille féroce. Magellan trouva la mort sur l'île de Mactan le 27 avril.
    PHOTOGRAPHIE DE Granger

    Au lieu de cela, il exigea du peuple mactan qu'il se convertisse au christianisme et se retrouva impliqué dans un conflit entre Humabon et Lapu-Lapu, deux chefs de tribus locales. Le 27 avril 1521, Magellan fut tué d'une flèche empoisonnée alors qu'il attaquait la tribu de Lapu-Lapu.

    Ils « se précipitèrent vers lui d'un seul tenant, armés de lances de fers et de bambou, » écrivait Antonio Pigafetta, un érudit italien qui avait pris part au voyage, « de telle façon qu'ils tuèrent notre miroir, notre lumière, notre réconfort et notre guide absolu. » L'équipage abandonna là son corps, peut-être une indication de leurs sentiments réels à l'égard de leur impitoyable capitaine.

    Après la mort de Magellan, son équipage continua le voyage à bord du dernier navire en état, sous le commandement de Juan Sebastian Elcano, un Basque. Ils regagnèrent l'Espagne en septembre 1522. Sur le retour, ils découvrirent un nouvel océan, tracèrent de nouvelles routes pour le commerce européen et posèrent les fondations du mondialisme moderne. Près de cent mille kilomètres plus tard et après la mort de 80 % de l'équipage initial, l'expédition avait prouvé qu'il était possible de faire le tour du monde à la voile et ouvert la voie à la colonisation du Nouveau Monde par les Européens, au nom du commerce.

    À l'époque de Magellan, les épices telles que les clous de girofle et la noix de muscade étaient des marchandises très prisées en Europe et leur unique source était les arbres exotiques natifs des Moluques.
    PHOTOGRAPHIE DE Purix Verlag Volker Christen, Bridgeman Images

    Une légende était née et en 1989, l'un des homonymes de Magellan repoussa encore plus les frontières de notre monde en rendant visite à Vénus. Au cours de son voyage qui dura cinq années, la sonde spatiale Magellan de la NASA nous procura des images de la planète avant de succomber aux flammes de son lointain atmosphère.

    Bien que le nom de Magellan soit associé à la découverte pour certains, d'autres préfèrent garder leur distance avec ce mot. « Lorsque j'écrirai mon manuel scolaire, j'indiquerai que Magellan est arrivé aux Philippines en 1521, » déclare l'historien Ambeth Ocampo, ex-président de la Commission historique nationale des Philippines. « Magellan ne doit pas être perçu comme point de départ de l'histoire des Philippines mais plutôt comme un événement dans une histoire qui devra toujours être écrite et réécrite pour les générations futures. »

    Cette carte de 1545 retrace l'itinéraire de Magellan autour du monde, une véritable pierre angulaire du processus de mondialisation qui s'étalera sur plusieurs siècles.
    PHOTOGRAPHIE DE John Carter Brown Library, Brown University, Bridgeman Images

    Pour les peuples indigènes qui croisèrent la route de Magellan, l'arrivée de l'explorateur fut annonciatrice d'un nouvel âge de conquête, de christianisation et de colonisation. Lapu-Lapu, le chef mactan dont les hommes tuèrent Magellan, est souvent crédité d'avoir lui-même assassiné l'explorateur. C'est ainsi qu'il est devenu un héros national aux Philippines, nous informe Ocampo.

    Bien que Lapu-Lapu n'ait probablement pas commis cet acte, il est largement commémoré comme symbole de la résistance et de la fierté des Philippins. Aujourd'hui, alors que le 500e anniversaire de l'arrivée de Magellan arrive à grand pas, les historiens conjuguent leurs efforts pour brosser un portrait plus fidèle du chef indigène. Au programme des célébrations qui se dérouleront en 2021 figure le remplacement d'une statue de Lapu-Lapu haute de 3 m dans la ville qui porte son nom. En lieu et place de cette statue sera érigé un monument qui représentera la bataille et l'effort de groupe déployé pour mettre en déroute un illustre explorateur.

    Magellan devrait-il être considéré comme un héros ou comme ce qu'Ocampo appelle le « premier touriste » des Philippines ?  À l'heure où Guam, les Philippines, l'Espagne et même le Portugal célèbrent et s'interrogent sur le 500e anniversaire, l'héritage de l'explorateur soulève toujours autant de questions.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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