Isis, une déesse égyptienne à la conquête du monde romain
Protectrice des défunts, Isis était adorée par les Égyptiens depuis déjà deux millénaires lorsque son culte a commencé à se propager au-delà du Nil pour gagner le reste de l'Empire romain.
Quelle ne fut pas la surprise des archéologues travaillant à Londres en 1912 lorsqu'ils tombèrent sur un vase romain daté du 1er siècle portant la mention Londini ad fanum Isidis (Londres, près du temple d'Isis). Principalement connue comme déesse égyptienne, la découverte d'artefacts associés au culte d'Isis dans une région aussi éloignée de l'Afrique du Nord leur paraissait étrange. Mais la popularité d'Isis était telle qu'elle l'avait propulsée par-delà les frontières de son Égypte originelle jusqu'aux confins du monde connu.
Isis était aimée des Égyptiens pour sa profonde dévotion envers son mari Osiris et son fils Horus. Son culte s'est installé sur le pourtour méditerranéen après l'avènement du règne hellénistique en Égypte au 4e siècle avant notre ère. Puis, avec l'expansion de la puissance romaine, l'adoration d'Isis a gagné de nouveaux territoires.
Au deuxième siècle de notre ère, l'écrivain romain Apulée allait même la couvrir de gloire en la qualifiant de « mère des étoiles, parente des saisons et maîtresse du monde entier. » Cela dit, même si de nombreux peuples du monde romain lui vouaient un culte pour diverses raisons, ses racines étaient précisément ancrées dans l'espace et le temps : le delta du Nil à l'aube de l'Égypte antique.
DES ORIGINES ÉGYPTIENNES
Isis provient en fait de la forme grecque du nom de la déesse, elle-même issue de l'égyptien ancien Aset, qui signifie « siège » ou « trône ». Représentée comme une jeune femme élancée vêtue d'une robe fourreau, elle portait souvent une coiffe en forme de trône. Son apparence allait plus tard connaître quelques changements avec la diversification de ses fonctions divines. Hathor, la déesse égyptienne de la maternité, était souvent coiffée d'un disque solaire posé entre deux cornes de vache. À mesure que le rôle d'Isis se rapprochait de celui d'Hathor, sa coiffe connut la même transformation. Cette capacité à absorber de nouveaux attributs allait se révéler décisive pour la longévité et l'étendue de son culte à travers le monde antique.
Dans l'une des versions les plus populaires du mythe d'Isis, elle est le fruit de l'union entre Geb, dieu de la Terre, et Nout, déesse du ciel. Elle épouse l'un de ses frères, le dieu Osiris, et ensemble ils règnent sur le monde. Osiris est assassiné par Seth, son jeune frère rongé par la jalousie qui dépèce le cadavre et disperse les lambeaux. Éplorée, Isis parcourt le monde à la recherche des différents membres pour reconstituer le corps. Osiris est finalement ramené à la vie mais après avoir régné sur les vivants il est désormais le dieu des morts. Isis donne naissance à un fils, Horus. Isis allaitant Horus est d'ailleurs un sujet artistique très répandu. En grandissant, Horus bannit Seth et rétablit l'ordre dans le monde.
La plus ancienne mention d'Isis apparaît dans les Textes des pyramides, les inscriptions sacrées gravées sur les parois des pyramides de Saqqarah érigées pendant l'Ancien Empire (2575 - 2150 avant notre ère). Figurant parmi les plus vieux textes sacrés, ils se concentrent principalement sur les rituels funéraires des pharaons et les croyances liées au voyage des Rois dans l'au-delà.
Au départ, Isis n'était vénérée que dans le delta du Nil, d'où elle était originaire, mais elle est devenue une divinité importante pour toute l'Égypte antique.
Connue pour sa magie, Isis exerçait sa puissance bienfaisante dans la vie quotidienne comme dans l'au-delà. Avec la démocratisation des notions de vie après la mort chez les Égyptiens, elle était considérée comme la protectrice de tous les défunts de la société égyptienne et n'était plus l'apanage des classes sociales les plus hautes auxquelles appartenaient les pharaons et leurs familles. Pour les femmes de l'Égypte antique, elle était un modèle d'épouse et de mère. Sa réputation de divinité la plus chaleureuse et la plus humaine d'entre toutes allait plus tard gagner le cœur des peuples extérieurs à l'Égypte.
DE L'ÉGYPTE À LA GRÈCE
C'est avec la conquête de l'Égypte par Alexandre le Grand en 332 avant notre ère que le culte d'Isis a pu s'étendre par-delà les frontières égyptiennes. Au lieu de censurer la religion locale des Égyptiens, Alexandre l'adopta. Pendant sa visite de la ville de Memphis, il offrit des sacrifices à Apis, un taureau sacré égyptien également associé à Osiris, et rallia la puissance de la divinité à son propre règne.
À la mort d'Alexandre en 323 avant notre ère, l'un de ses généraux, Ptolémée Iᵉʳ Sôter, prit le contrôle de l'Égypte tout en maintenant la tolérance religieuse. La dynastie ptolémaïque à laquelle il donna naissance continua d'unir la nouvelle élite macédonienne à la population égyptienne locale à travers la foi.
Située en Haute-Égypte près de la frontière actuelle avec le Soudan, l'île de Philæ était dédiée à Isis. Des temples y étaient construits en son honneur depuis le 6e siècle avant notre ère. La construction d'un nouveau temple grandiose voué à Isis commença peu de temps avant la conquête d'Alexandre et s'acheva sous le règne de Ptolémée II Philadelphe et de son successeur Ptolémée III Évergète Iᵉʳ au 3e siècle avant notre ère.
Sous la dynastie ptolémaïque, certains aspects d'Osiris et Apis fusionnèrent avec les traits de dieux grecs, notamment Zeus et Hadès, pour donner naissance à une divinité syncrétique : Sérapis. Sa connexion avec l'au-delà, et par conséquent Osiris, aida les créateurs du nouveau culte ptolémaïque à établir un lien entre Isis et Sérapi.
Le centre de leur dévotion était Alexandrie, un noyau commercial majeur de la dynastie ptolémaïque. Pour les marchands alexandrins, Isis et Sérapis étaient devenus associés à la prospérité en plus de la vie après la mort, la guérison et la fertilité.
AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
Avec la diffusion de l'influence ptolémaïque à travers l'est de la Méditerranée, le culte d'Isis se propagea par le biais des routes commerciales pour atteindre les côtes syriennes, israéliennes et turques actuelles où elle fut associée à diverses divinités locales. En Grèce, Isis fut dans un premier temps liée à Déméter, déesse de l'agriculture. Au Liban et dans les régions attenantes, c'est la déesse du Moyen-Orient Astarté qui lui fut associée. Les villes romaines la relièrent à Fortune, déesse de la chance, et Vénus, déesse de l'amour. L'écrivain du 1er et 2e siècle Plutarque l'assimila à Perséphone, épouse d'Hadès, dieu des Enfers.
Les Temples voués à Isis commencèrent à fleurir ici et là dans le monde méditerranéen. L'un d'entre eux fut érigé sur Délos en mer d'Égée, une petite île aride qui devint un important centre commercial sous la dynastie ptolémaïque. L'impressionnant temple dorique d'Isis, dont les ruines se dressent encore aujourd'hui sur l'île, fut construit au début du 2e siècle avant notre ère. Les marchands romains qui fréquentaient Délos pour leurs activités adoptèrent le culte d'Isis qu'ils y avaient trouvé et le diffusèrent à leur retour à Naples, en Campanie, à Ostie, à Rome ou en Sicile. Isis était devenue un symbole de l'hégémonie ptolémaïque et au 1er siècle avant notre ère, son culte s'était diffusé à l'ouest jusqu'en Espagne.
À mesure que le culte d'Isis gagnait du terrain, les responsabilités de la déesse se développèrent également. En plus de son rôle traditionnel d'épouse, de mère, de guérisseuse et de protectrice des défunts, Isis était vénérée en tant que déesse de la chance, de la mer et du voyage. Elle faisait l'objet de l'adoration des marins : un festival qui se déroulait chaque année au printemps lui fut associé et se fit connaître à travers le monde romain sous l'appellation Navigium Isidis. De nombreuses cités dépendantes du commerce maritime, comme Pompéi, se tournaient vers Isis pour les défendre contre les caprices de Neptune. L'un des temples d'Isis les mieux préservés se trouve d'ailleurs à Pompéi. Construit au premier siècle de notre ère, ses fresques représentaient Isis comme les adorateurs romains l'auraient imaginée : sous une forme hellénique plutôt qu'égyptienne.
CULTE À MYSTÈRES
Au 1er siècle avant notre ère, le culte d'Isis s'était installé sous la forme d'une « religion à mystères ». Puisant leurs racines dans la culture grecque, les cultes à mystères étaient centrés autour d'une figure divine, par exemple Déméter ou Dionysos, et impliquaient des rites et rituels tenus secrets.
L'implication dans ces sectes était hautement confidentielle et très peu de détails concernant leurs cérémonies nous sont parvenus. On en trouve quelques-uns dans les écrits de Plutarque. Les initiés portaient des toges colorées et rasaient leurs cheveux. Pendant les initiations ou les autres rituels, ils portaient un sistre, un instrument à percussion associé à la déesse. Les historiens ont encore de nombreux doutes en ce qui concerne certains détails tels que l'organisation ou la hiérarchie, s'il y en avait une, de la religion.
Les dirigeants romains n'étaient pas aussi dévoués à Isis que pouvaient l'être les généraux d'Alexandre le Grand des siècles plus tôt. Rome tenta de supprimer ce culte populaire à plusieurs reprises. Au premier siècle avant notre ère, la reine Cléopâtre VII d'Égypte se lia étroitement à la déesse Isis, allant même jusqu'à clamer être sa manifestation sur Terre. Lorsqu’avec l'aide de Marc Antoine elle défia l'autorité d'Octavien, le futur empereur Auguste de l'Empire romain, le culte d'Isis devint un symbole de corruption étrangère. Après la mort de Cléopâtre en 30 avant notre ère, la dynastie ptolémaïque d'Égypte toucha à sa fin, l'Égypte passa sous contrôle romain et l'adoration d'Isis fut supprimée à Rome.
Les empereurs suivants ordonnèrent la destruction de ses temples mais le culte d'Isis regagna Rome au premier siècle de notre ère. Le grand temple d'Isis et de Sérapis installé à proximité du Champ de Mars à Rome devint un important centre religieux. Le culte d'Isis prit de l'ampleur et atteignit son apogée dans l'Empire romain au 2e siècle de notre ère. L'adoration de la déesse se diffusa à travers le monde romain allant jusqu'à s'emparer de la Grande-Bretagne au Nord et de l'Asie à l'est.
L'avènement d'une nouvelle religion, le christianisme, entraîna le déclin progressif de la popularité d'Isis. Au milieu du 6e siècle, l'empereur Justinien ordonna la fermeture de son temple de Philæ au sud de l'Égypte et expulsa ses prêtres. Par cet acte, il souffla à jamais la flamme du culte d'Isis qui avait brûlé sans jamais vaciller pendant plus de 2000 ans en Égypte.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.