L'empire sassanide : l'ultime éclat de la Perse antique

En 224, le chef d’une puissante famille du Fars met à bas le pouvoir des rois parthes. Ainsi naît la dynastie sassanide, aussi guerrière que raffinée. Une dynastie qui se revendique des Perses achéménides, mais qui pose les bases du futur monde iranien.

De Francis Joannès
Publication 19 mars 2020, 12:11 CET
Située à 12 km de Persépolis, la nécropole de Naqsh-i Roustem abrite les tombes de quatre ...
Située à 12 km de Persépolis, la nécropole de Naqsh-i Roustem abrite les tombes de quatre monarques achéménides : Darius Ier, Xerxès Ier, Artaxerxès Ier et Darius II. Les souverains sassanides ont quant à eux fait sculpter dans la partie inférieure des sépultures de leurs prédécesseurs de grands bas-reliefs commémorant leurs propres exploits. C’est le cas de Châhpuhr Ier, qui mit en déroute l’empereur romain Valérien, lequel apparaît agenouillé aux pieds du roi des rois. Sont également représentées les conquêtes réalisées par Ohrmizd II et par Vahram II, et la proclamation comme souverain d’Ardashir Ier, fondateur de la dynastie, par le dieu Ahura Mazda.
PHOTOGRAPHIE DE tunart, istock via Getty Images
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

 

Les Sassanides, qui régnèrent de 224 à 651, furent les premiers à appeler leur pays Eranshahr, « l’empire des Aryens », en se réclamant de l’héritage des Grands Rois perses achéménides. Au début du IIIe siècle, une riche famille du Fars profite de sa puissance financière pour s’allier à la noblesse perse des environs de la ville d’Istakhr, près de Persépolis. 

Son représentant le plus illustre, Ardashir Ier (224-241), se réclame d’un grand-père nommé Sassan, gardien du temple du feu de la déesse Anahita, à Istakhr ; il se dit également issu de la lignée du dernier grand roi achéménide, Darius III (336-330 av. J.-C.). Sassan donne donc son nom à cette famille, qui associe respectabilité religieuse, prestige seigneurial et puissance économique.

Dès ce moment, le rapport à l’origine perse est un élément-clé de l’identité de la dynastie sassanide, qui vise à rétablir la puissance et le prestige des Achéménides, éliminés cinq siècles plus tôt lors des conquêtes d’Alexandre le Grand. Mais il lui faut, pour ce faire, s’affranchir de la tutelle des rois parthes arsacides, qui dominent l’Iran et une grande partie de la Mésopotamie depuis le milieu du IIe siècle av. J.-C. En 208, Ardashir se proclame roi indépendant de Perside et fait construire une nouvelle capitale sur le site de l’actuelle Firuzabad. L’extension rapide de son pouvoir aux territoires voisins amène le roi arsacide Artaban IV à conduire une action militaire, qui s’achève en déroute en 224 : Artaban IV est tué, les Sassanides revendiquent la souveraineté sur l’ensemble de l’Iran et ils établissent leur capitale à Ctésiphon. Par leurs conquêtes, Ardashir Ier puis son fils Châhpuhr Ier (241-272), qui portent le titre iranien de shahanshah (« roi des rois »), reconstituent une grande partie de l’Empire achéménide jusqu’en Bactriane, à l’est, où ils annexent une partie de l’Empire kouchan. Le royaume sassanide s’appuie sur une administration d’État efficace et compétente, et sur une aristocratie guerrière composée de grandes familles de propriétaires terriens. 

À l’ouest, les Sassanides affrontent avec des fortunes diverses l’Empire romain et le royaume d’Arménie. Châhpuhr Ier a illustré sur ses reliefs et ses inscriptions rupestres de Naqsh-i Roustem le sort des empereurs romains qu’il a vaincus (Gordien III en 244, Valérien en 259). Les Sassanides parviennent ainsi en 252 jusqu’à Antioche de Syrie, dont ils déportent une grande partie de la population, réinstallée avec les prisonniers de l’armée de Valérien à Gundishapur, une ville nouvelle édifiée par Châhpuhr dans le Khuzistan. Mais ils doivent finalement renoncer à s’étendre en Anatolie et au-delà de l’Euphrate ; ils sont notamment harcelés en Syrie par les troupes d’Odénat de Palmyre (260-267).

Pièce datant du règne d'Ardashir Ier.
Pièce datant du règne d'Ardashir Ier.
PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

Les siècles suivants sont marqués par les attaques régulières des populations voisines des territoires orientaux du royaume, comme les Kouchans ou les Huns Hephthalites. Ces derniers, qui occupent le nord de l’Afghanistan actuel, parviennent même à imposer un tribut aux Sassanides, après leur victoire en 476 sur le roi Pérôz Ier (459484). Cependant, sous le règne de Khosrô Ier (531-579), le royaume rétablit spectaculairement sa situation et connaît son apogée : des réformes dans le système des impôts et dans l’orga nisation administrative, qui s’appuie désormais sur la petite noblesse, lui permettent de s’étendre à l’est jusqu’au bassin de l’Amou-Daria, de prendre pied en Arabie méridionale et de contrôler une grande partie du commerce entre l’Extrême-Orient et la Méditerranée byzantine.

Le règne de Khosrô II (590, puis 591-628) est tout aussi glorieux, avec des poussées jusqu’en Palestine et en Égypte. Mais des troubles politiques internes secouent le royaume, et le roi est déposé puis assassiné à Ctésiphon. Byzance, héritière de l’Empire romain, combat l’Iran sassanide avec vigueur, jusqu’à ce que la paix soit conclue en 628 entre les deux adversaires épuisés. Mais il est trop tard pour les Sassanides. Minés par l’instabilité dynastique, ils ne peuvent résister à l’expansion musulmane : ils sont chassés de Mésopotamie après la bataille de Qadisiyya, en 636. Ctésiphon est prise en 637 et Yazdgard III (632-651) doit se replier en Iran du Nord, qu’il perd définitivement après la bataille de Nehavend, en 642. Il se maintient quelque temps dans le Sud, avant de finir assassiné en 651 à Merv. 

 

TERRE D'ACCUEIL DES PAÏENS EN EXIL

La période sassanide fut un moment particulièrement brillant de l’histoire de l’Iran. Sur le plan culturel, c’est alors que se fixe le pahlavi, qui fut la langue officielle et religieuse des Sassanides. C’est en pahlavi que furent mis par écrit les grands textes religieux du zoroastrisme sous Châhpuhr II (310-379) ou sous Khosrô Ier (531-579), de même que certains hymnes manichéens. Mais la période sassanide fut aussi celle d’une littérature savante et surtout d’une brillante littérature de cour, qui inspira nombre d’auteurs des périodes postérieures. Le Livre des Rois (Shahnameh) de Ferdowsi, écrit vers 1000, puise ainsi dans une tradition issue des chroniques royales et de la littérature romanesque sassanides.

La partie du Livre des Rois qui traite des Sassanides s’appuie sur des données historiques très romancées, mais cite des personnages réels. Les règnes des grands rois sassanides ont d’ailleurs vite pris des traits légendaires : certains souverains ont intégré le patrimoine culturel iranien, comme Khosrô II, connu pour les rebondissements romanesques de ses amours avec la princesse arménienne Shirin, narrés par Ferdowsi puis par le poète Nezami au XIIe siècle.
 

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    PHOTOGRAPHIE DE SKAMAN/GETTY IMAGES

    Malgré la prééminence attribuée à son identité perse, le royaume sassanide ne restait pas à l’écart des courants intellectuels propres à la civilisation gréco-romaine. Au moment où le christianisme triomphant éliminait dans l’Empire romain tout ce qui était lié au paganisme, les Sassanides accueillirent nombre de philosophes et de savants grecs. Ce fut le cas en particulier après 529, lorsque la fermeture de l’école néoplatonicienne d’Athènes par l’empereur Justinien contraignit plusieurs d’entre eux à l’exil. Les Sassanides participèrent ainsi, au travers de ce que l’on a appelé la translatio studiorum (autrement dit le « transfert des savoirs »), à la sauvegarde et à la transmission d’une grande partie de l’héritage de l’Antiquité classique. De son côté, l’Église chrétienne nestorienne de tradition syriaque, qui avait elle aussi recueilli une part de l’héritage philosophique et scientifique grec, créa des foyers d’étude actifs à Nisibis, en Haute- Mésopotamie, mais aussi dans les capitales sassanides, à Ctésiphon et à Gundishapur.

    La période sassanide fut aussi un moment intense du point de vue religieux. Le zoroastrisme, issu de l’enseignement de Zarathoustra et repris de l’époque achéménide, devient sous Châhpuhr II (310-379) la religion officielle. Il dispose d’un clergé influent, bien introduit auprès des autorités civiles, et se présente comme un monothéisme associé aux éléments naturels et à la notion de pureté, autour du dieu Ahura Mazda. Il repose aussi sur l’antagonisme entre les esprits du Bien et du Mal, entre lesquels balance une humanité dotée du libre arbitre, mais incitée à pratiquer la bonté et à rester aussi pure que le feu éternel qui symbolise le culte zoroastrien.

     

    MAÎTRES DE LA ROUTE DE LA SOIE

    À côté du zoroastrisme fleurissent d’autres religions dans l’Empire : le christianisme oriental, sous sa forme nestorienne, y est bien reçu, malgré des persécutions ponctuelles, et se développe jusqu’en ExtrêmeOrient. Aux marges de l’Iran, les mandéens du sud de la Mésopotamie ou les bouddhistes indiens sont aussi actifs. Mais c’est au cœur de l’Empire que se développe la prédication de Mani, sous Châhpuhr Ier. Le manichéisme reprend certains éléments zoroastriens, mais repose essentiellement sur l’opposition des principes du bien et du mal, tandis que l’âme humaine est invitée à rejoindre le monde de la lumière par une série de réincarnations. Sous le règne de Vahram Ier (273-276), Mani est en butte à l’hostilité déclarée du clergé zoroastrien : pourchassé, exilé, puis finalement emprisonné dans la résidence royale de Gundishapur, il y est supplicié en 277.

    Tête de cheval en argent et argent doré, provenant de Kerman, 4e siècle.
    Tête de cheval en argent et argent doré, provenant de Kerman, 4e siècle.
    PHOTOGRAPHIE DE Wiki Commons

    La richesse et la puissance du royaume sassanide étaient dues à la mise en valeur d’un vaste domaine agricole bénéficiant des techniques d’irrigation propres à la région, mais également de la maîtrise des ouvrages hydrauliques empruntée aux ingénieurs romains, comme à Shushtar, dans le Khuzistan. La maîtrise des flux d’une grande partie de la route de la soie procurait aussi d’importants revenus aux Sassanides, qui développèrent des centres locaux de culture du ver à soie. Par la suite, les pouvoir installés en Iran puisèrent abondamment dans le modèle sassanide pour élaborer leurs canons artistiques et culturels, ainsi que leurs modèles administratifs ou l’organisation de leur armée. Ils assurèrent ainsi à cette dynastie une postérité prestigieuse.

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