Typhoid Mary : le rôle des porteurs asymptomatiques dans la propagation de maladies infectieuses

Dans les années 1900, un inspecteur sanitaire remonte à la source d’une épidémie de fièvre typhoïde à New York. Une découverte inouïe qui a mis en évidence le rôle des porteurs asymptomatiques dans la propagation des maladies.

De Nina Strochlic
Une cuisinière irlandaise du nom de Mary Mallon a été identifiée comme la première porteuse saine ...
Une cuisinière irlandaise du nom de Mary Mallon a été identifiée comme la première porteuse saine de la typhoïde. Elle a été surnommée « Typhoid Mary » par la presse anglo-saxonne et sa mise en quarantaine a retenu l'attention de l'opinion publique. Ce croquis qui date de 1909 montre Mary Mallon en train de cuisiner des têtes de morts.
PHOTOGRAPHIE DE Chronicle, Alamy

Un détective hors pair. C'est ainsi que l'on décrit volontiers George Soper. Après une formation d’ingénieur civil, il devient inspecteur sanitaire. En 1906, une épidémie de typhoïde fait rage à Long Island, dans une maison de vacances qu’un riche banquier loue avec sa famille et ses domestiques. Craignant pour ses affaires, la propriétaire des lieux fait appel aux services de Soper. Fin août, six des onze occupants de la maison sont cloués au lit, en proie à la fièvre typhoïde.

Soper avait déjà été embauché par l’État de New York pour enquêter sur la propagation de la maladie. « On m’a surnommé le guerrier des épidémies », écrira-t-il par la suite. Il est convaincu qu’une personne porteuse de l'agent pathogène est responsable de la transmission de la typhoïde. À Long Island, son attention se tourne vers Mary Mallon, la cuisinière embauchée trois semaines avant que la première personne ne tombe malade.

Mary Mallon (ici au premier plan) ne présentait aucun symptôme de la typhoïde. Pourtant, elle a ...
Mary Mallon (ici au premier plan) ne présentait aucun symptôme de la typhoïde. Pourtant, elle a propagé la maladie en travaillant comme cuisinière dans la région de New York. Elle a été confinée dans un hôpital sur l'île North Brother où elle a séjourné pendant plus d'un quart de siècle.
Photograph from Bettmann, Getty

C’est la découverte de Soper qui permettra de savoir qu’un porteur asymptomatique peut être à l’origine d’une épidémie et sera, par la suite, au cœur du débat opposant l’autonomie personnelle à la santé publique.

Soper retrouve la trace des riches familles new-yorkaises qui ont employé Mallon dans leurs maisons de vacances entre 1900 et 1907. En tout, vingt-deux personnes ont été frappées par la maladie. La fièvre typhoïde est une infection causée par la bactérie Salmonella typhi qui se propage habituellement par l’eau ou les aliments contaminés. Les malades sont pris d’une forte fièvre accompagnée de diarrhée. Avant la mise au point des antibiotiques, la typhoïde provoquait le délire et parfois même la mort.

New York a dû faire face à plusieurs éruptions de la maladie, alors assez courante, en l’absence de pratiques strictes en matière d’hygiène. En 1906, l’année où Soper commence son enquête, six cent trente-neuf personnes ont déjà péri des suites de la typhoïde à New York. Cependant, jamais épidémie n’avait été attribuée à un seul porteur – encore moins à un porteur asymptomatique.

Un plat en particulier éveille les soupçons de Soper : une crème glacée aux pêches que Mary Mallon a l’habitude de servir les dimanches. Et il parvient à la conclusion suivante : « Contrairement aux plats chauds où les bactéries sont éliminées par la cuisson, Mary Mallon a infecté les membres de la famille avec les microbes présents sur ses mains non lavées. »

 

AUX TROUSSES DE LA COUPABLE

Quatre mois après le début de l’enquête, Soper finit par retrouver Mary Mallon dans une belle demeure située sur Park Avenue. « Un mètre soixante-huit. Blonde aux yeux bleus. Un teint resplendissant de santé. Une bouche et une mâchoire plutôt saillantes ». C’est ainsi qu’il décrit la cuisinière irlandaise alors âgée de trente-sept ans. Cependant, lorsqu’il lui réclame des échantillons de selles et d’urine, Mary Mallon le met à la porte sur-le-champ, brandissant une fourchette en guise de menace.

les plus populaires

    voir plus
    Mallon (quatrième à partir de la droite) a été placée en quarantaine avec d'autres détenues pendant ...
    Mallon (quatrième à partir de la droite) a été placée en quarantaine avec d'autres détenues pendant plus d'un tiers de sa vie. Mallon n'a sans doute jamais vraiment compris pourquoi elle était à l'origine de la propagation de la typhoïde. On lui attribue cinquante et un cas de typhoïde dont trois décès au cours de deux épidémies distinctes.
    Photograph from Sience History Images, Alamy

    Dr. S. Josephine Baker, qui prône ardemment l’hygiène et la santé publique, est envoyée sur place pour tenter de raisonner Mary Mallon et la convaincre de fournir des échantillons. Rien n’y fait. Elle subit le même sort que Soper. Baker, dont le père a été emporté par la typhoïde, a fait de la médecine préventive son cheval de bataille (devenant par ailleurs la première femme à décrocher un doctorat en santé publique). « En refusant de nous faire confiance, Mary s’est réservé un destin tragique », écrira Baker par la suite.

    Mary Mallon est emmenée de force à l’hôpital, accompagnée de Baker et de cinq policiers après une tentative d’évasion presque aboutie. Le verdict tombe : elle est porteuse de la bactérie Salmonella typhi, à l’origine de la typhoïde et d’autres tests prélevés sur d’autres échantillons confirmeront ces résultats. Elle est mise en quarantaine dans une petite maison dans l’enceinte du Riverside Hospital. L’établissement est isolé sur North Brother, une petite île au large du Bronx.

    Mary Mallon ne présente aucun symptôme de la typhoïde et refuse de croire que c’est elle qui propage la maladie. Elle n’a sans doute jamais vraiment compris le sens du mot « porteur ». Pour couper court à l’infection, le seul moyen est de lui ôter la vésicule biliaire mais elle refuse. Le quotidien New York American la surnomme « Typhoid Mary » en 1909, et le nom lui est resté.

    Dans une lettre écrite à la main et adressée à son avocat en juin de la même année, Mallon fait part de sa peine : « Un modèle de ‘vitrine’. Voilà ce que j’étais pour tout le monde. Même les stagiaires en médecine venaient me voir pour m’interroger sur les faits. Des faits que tous connaissent déjà. Les hommes atteints de tuberculose disaient : "La voilà, la femme kidnappée". Le docteur Park a même décrit mon cas dans la revue Chicago. Je me demande si le docteur William H. Park aimerait être humilié de la sorte. Je me demande s’il apprécierait qu’on publie un article sur lui ou sa femme, en qualifiant l’un ou l’autre de Typhoid William Park. »

    En 1909, elle intente un procès contre le département de santé de la ville de New York et l’affaire est portée devant la Cour suprême. Devant l’opinion publique, Mallon soulève un débat épineux sur l’autonomie individuelle et la responsabilité de l’État dans la gestion des crises de santé publique. Devant le tribunal, son avocat soutient qu’elle a été emprisonnée sans procès équitable.

    La Cour suprême refuse de la remettre en liberté, dans un souci de « protéger la communauté contre une éventuelle résurgence de la maladie ». Cependant, Mary Mallon est relâchée au début de l’année suivante par le nouveau commissaire à la santé de la ville à condition d’abandonner sa carrière de cuisinière.  

    N’ayant pas les compétences requises pour exercer d’autres métiers et ne pensant pas être réellement un danger public, elle décide de retourner aux fourneaux dans les régions de New York et de New Jersey. Elle cuisine pour un hôtel, un restaurant à Broadway, un spa et un pensionnat. En 1915, vingt-cinq personnes contractent la typhoïde au Sloane Maternity Hsopital. Quand George Soper est appelé sur place, il découvre que la cuisinière, Madame Brown, n’est autre que Mary Mallon.

     

    UNE VIE EN QUARANTAINE

    Mary Mallon est de nouveau confinée sur l’île North Brother, cette fois de manière permanente. Elle passe ses journées à lire et à préparer des tests médicaux au laboratoire. Elle meurt en 1938 d’un AVC, près d’un quart de siècle après sa mise en quarantaine. Elle n’a jamais admis qu’elle était porteuse de l’agent pathogène responsable de la fièvre typhoïde. Peut-être n'y a-t-elle même jamais cru, n’ayant reçu aucune formation en la matière. Neuf personnes ont assisté à ses obsèques en l’église St. Luke, dans le Bronx.

    Au cours des deux épidémies, on attribue au moins cinquante et un cas de typhoïde à Mary Mallon, dont trois décès. De nombreux autres cas sont sans doute restés inconnus. « L’histoire de Typhoid Mary montre à quel point il est difficile de convaincre les personnes atteintes de ne pas infecter les autres », avertit Soper. Les autorités avaient même changé leur manière de faire face à la menace. Au moment de la mort de Mallon, les agents de santé à New York ont identifié plus de quatre cents porteurs asymptomatiques de la Salmonella typhi, mais aucun n’a été mis en quarantaine forcée.

    C’est grâce à ce destin un peu tragique que la théorie des « super-propagateurs » a vu le jour. « Depuis l’histoire de Typhoid Mary, le rôle des porteurs asymptomatiques dans la propagation des maladies infectieuses revêt une importance primordiale », dit ainsi Soper dans un discours de 1913. « Une importance reconnue dans chaque pays où le système de santé publique est efficace mais aussi au sein de chaque armée où les maladies transmissibles sont maîtrisées. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

    les plus populaires

      voir plus
      loading

      Découvrez National Geographic

      • Animaux
      • Environnement
      • Histoire
      • Sciences
      • Voyage® & Adventure
      • Photographie
      • Espace

      À propos de National Geographic

      S'Abonner

      • Magazines
      • Livres
      • Disney+

      Nous suivre

      Copyright © 1996-2015 National Geographic Society. Copyright © 2015-2024 National Geographic Partners, LLC. Tous droits réservés.