Acta diurna : le premier quotidien de l’Histoire était romain

À partir du Ier siècle av. J.-C., les Acta diurna, qui relatent les faits du jour à Rome, sont diffusés dans tout l’empire par des copies.

De Miguel Ángel Novillo
Publication 17 avr. 2020, 17:21 CEST
Outre les Acta diurna, César crée les Acta senatus. Paraissant sans réelle périodicité, ils constituent une ...

Outre les Acta diurna, César crée les Acta senatus. Paraissant sans réelle périodicité, ils constituent une sorte de minutes des sessions du sénat, incluant les lois approuvées et les discours des sénateurs. Il s’agit d’une source précieuse d’informations.

PHOTOGRAPHIE DE anzeletti, istock via Getty Images

Alors que Rome se transforme en capitale d’empire, la vie dans la ville se déroule à un rythme effréné. À chaque instant, des événements pouvant changer le destin de l’État se produisent : un pacte entre des chefs de factions, un discours au sénat, une révolte éclatant quelque part en Italie, une guerre à l’étranger… Les habitants de la ville sont toujours à l’affût de nouvelles et de rumeurs, et ceux qui vivent loin de la capitale se désespèrent du manque d’information. Pour ces derniers, le moyen le plus efficace de s’informer est l’envoi de lettres, qui circulent rapidement grâce au réseau dense des voies romaines. Lorsque la nouvelle est suffisamment importante, le destinataire s’arrange pour faire passer la lettre de main en main. Néanmoins, ce système ne suffit pas à satisfaire une soif d’informations rapides et fiables.

C’est ainsi qu’au milieu du Ier siècle av. J.-C. apparaît à Rome ce qui peut s’apparenter à un journal. Ce sont les Acta diurna populi romani, créés vers 59 av. J.-C. par Jules César, comme l’affirme Suétone dans sa biographie dédiée au dictateur dans les Vies des douze Césars : « En prenant possession de sa dignité, César établit, le premier, que l’on tiendrait un journal de tous les actes du sénat et du peuple, et que ce journal serait rendu public. » 

 

AFFICHES SUR LE FORUM

Inspirés par de précédentes compilations quotidiennes d’accords juridiques et d’édits, les Acta diurna rassemblent des évènements de différente nature se déroulant quotidiennement dans la ville de Rome. Manifestement, ces nouvelles sont publiées sous l’autorité d’un magistrat, même si les sources ne précisent pas lequel. Selon certains historiens, des professionnels spécialisés, appelés diurnarii, étaient chargés de leur rédaction, et nous pouvons par conséquent les considérer comme les tous premiers journalistes de Rome.

Le forum, centre névralgique de la Rome antique, était le lieu où l’on affichait les Acta ...

Le forum, centre névralgique de la Rome antique, était le lieu où l’on affichait les Acta diurna.

PHOTOGRAPHIE DE Rudy Balasko, istock via Getty Images

Selon toute vraisemblance, les Acta diurna étaient inscrits sur des planches blanchies à la chaux ou gravés sur des planches en bois recouvertes de cire, et étaient affichés dans divers lieux publics du Forum, où ils étaient surveillés par des soldats. Compte tenu du pourcentage élevé d’analphabètes dans la Rome antique, peu de personnes devaient être capables de lire les nouvelles, d’où l’importance du praeco, le crieur public, un fonctionnaire d’origine servile qui était chargé pour une période de trois ans de parcourir la ville en communiquant oralement les nouvelles, notamment les décisions juridiques, les décrets et les projets de loi. 

Les Acta diurna publiés à Rome sont diffusés dans tout l’empire au moyen d’innombrables copies, réalisées le plus souvent sur du papyrus. Généralement, les copistes sont des esclaves érudits d’origine grecque, même si parfois des citoyens libres en font leur métier. Cette activité est organisée par des éditeurs appelés librarii, qui vendent les Acta diurna distribués en chapitres et en pages. 

Ces copies connaissent une diffusion importante, comme en témoigne Cicéron qui, en 45 av. J.-C., écrit à un ami : « Je suis sûr qu’on vous envoie les actes de la ville, ce qui me dispense de vous écrire des nouvelles. » Parfois, plutôt que des copies intégrales, les correspondants qui habitent à Rome, appelés nuntii (messagers), font des résumés. Ainsi, Caelius envoie à Cicéron un résumé des nouvelles tout en le prévenant : « Vous trouverez l’opinion de chaque orateur dans l’extrait des nouvelles de Rome. Prenez-en ce qui vous intéresse et passez une foule d’articles, tels que les acteurs sifflés, les cérémonies funèbres, d’autres frivolités. Je crois cependant que les choses utiles l’emportent. Et puis, j’aime mieux vous envoyer tout, même des détails dont vous n’avez pas besoin, que d’en supprimer des nécessaires. »

Cependant, aucune copie des Acta diurna ne nous est parvenue, et nous ne connaissons leur contenu que par les mentions qu’en font des auteurs antiques tels que Cicéron, Suétone, Pline ou Tacite. Bien évidemment, les informations qui se distinguent le plus dans les Acta diurna sont celles de nature politique, que ce soient les décisions prises par l’empereur, les magistrats ou le sénat, ou des faits d’intérêt public liés à la famille impériale. Mais nous y trouvons également des annonces sur la construction et la consécration de monuments, l’achat et la vente d’esclaves sur le Forum, les phénomènes météorologiques ou les prodiges avérés dans la ville et ses alentours... En revanche, il semble qu’aucune référence à la situation politique internationale ou aux guerres extérieures n’y soit mentionnée, les informations se limitant à Rome, comme pour les quotidiens locaux actuels. 

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    Indubitablement, les informations qui apparaissent dans les Acta diurna sont dictées par les puissants. Par exemple, en 45 av. J.-C., selon Dion Cassius, « César fait insérer dans les actes que la royauté lui a été offerte par le consul au nom du peuple et qu’il ne l’a pas acceptée », un geste que le dictateur, accusé par la rumeur de vouloir devenir roi, désire mettre en avant. 

     

    UNE RUBRIQUE « PEOPLE » 

    Avec l’instauration de l’empire, les Acta diurna acquièrent encore plus d’importance comme instrument de propagande. De Livie, l’épouse d’Auguste, on dit qu’elle « surpassa toutes les femmes en vanité : lorsque les sénateurs, lorsque des gens même du peuple se présentaient chez elle pour la saluer, elle les accueillait toujours, et avait soin que les journaux publics donnassent leurs noms ». Agrippine fait de même, elle qui « admettait publiquement à la saluer tous ceux qui le voulaient ; et la chose était consignée dans les Actes ».

    Certains empereurs préfèrent en revanche la propagande de la terreur, comme Commode, qui « prenait un insolent plaisir à faire raconter par les journaux de Rome toutes ses cruautés et toutes ses infamies », ainsi que le rapporte l’Histoire auguste.

    Les Acta diurna possèdent également une section « people », dédiée aux mariages, aux divorces, aux naissances ou aux décès dans les familles les plus connues de la ville. Pour beaucoup, c’est une question d’honneur (ou de vanité) que ces évènements apparaissent dans les Acta diurna ; ainsi, dans une satire de Juvénal, une épouse dit à son mari, à propos de leur fils nouveau-né : « Tu es heureux de semer dans les actes publics les preuves de ta capacité virile. » 

    Pétrone, dans son Satiricon, donne une idée du style que devait avoir ce premier quotidien romain lorsque, lors d’un banquet, un personnage lit des nouvel les « du ton dont il eût publié des actes officiels » : « Le VII des calendes de juillet sont nés dans le domaine de Cumes, appartenant à Trimalcion, 30 garçons et 40 filles. On a transféré de l’aire dans les greniers 100 000 boisseaux de froment et mis sous le joug 500 bœufs. Le même jour, l’esclave Mithridate a été mis en croix pour avoir blasphémé le génie tutélaire de Caius notre maître. Le même jour, on a mis en caisse 10 millions de sesterces dont on n’a pu trouver le remploi. Le même jour s’est propagé dans les jardins de Pompée un incendie qui a pris naissance chez le fermier Nasta. » 

     

    Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine

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