L'épave du Mars retrouvée intacte après 450 ans dans la Baltique

En 2011, des chercheurs d’épaves ont eu la surprise de découvrir les vestiges d’un navire mythique, coulé en 1564 au large de la Suède.

De Xabier Armendáriz
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Le navire Mars se trouve dans les profondeurs de la mer Baltique, où il a coulé lors d'une bataille navale en 1564. En haut à droite, un plongeur donne une idée de l'échelle.
PHOTOGRAPHIE DE Tomasz Stachura, Ocean Discovery
Cet article a initialement paru dans le magazine National Geographic Histoire et Civilisations. S'abonner au magazine
 

Au milieu du XVIe siècle, le roi suédois Erik XIV (1560-1568), de la dynastie Vasa, se trouve plongé dans la guerre de Sept Ans opposant son pays à une coalition formée par le Danemark et la cité-État allemande de Lübeck. Alors que la Hanse teutonique – la ligue des villes marchandes de la région à l’époque médiévale – entame son déclin, ces trois puissances se disputent le contrôle des routes commerciales de la mer Baltique. 

Face à cet enjeu, Erik XIV ordonne de construire la machine de guerre ultime : le Mars. Baptisé en référence au dieu romain de la Guerre, il est le plus grand et le plus moderne des bateaux de guerre de son époque, avec près de 80 m de long – « dix pieds de plus que la cathédrale de Lübeck », écrit un contemporain impressionné –, 1 800 tonnes de déplacement et 120 canons répartis sur ses cinq ponts renforcés avec le meilleur bois de chêne de Suède. D’où son autre nom : le Makalös (l’« Incomparable »). Son équipage est composé de 350 marins et de 450 soldats. Lors de son achèvement en 1564, cette imposante forteresse navale, équipée de canons en bronze d’une taille qui, jusqu’à présent, n’a été utilisée que sur terre, semble destinée à révolutionner la conception des futures armées européennes. 

Très peu de temps après la mise à l’eau du Mars, le 30 mai 1564, la flotte suédoise et celle de la coalition du Danemark et de Lübeck s’affrontent près de l’île suédoise d’Öland. Lors du premier jour de combat, le Mars semble dominer la bataille. Gardant le dessus du vent, il manœuvre sans difficultés et repousse tout navire qui l’approche. Néanmoins, avec la tombée de la nuit, la flotte suédoise se disperse de manière inexpliquée et, à l’aube du 31 mai, seuls six navires restent en formation. La flotte ennemie investit alors tous ses efforts dans l’attaque du Mars, dont l’escorte est affaiblie. Elle concentre d’abord son feu sur le gouvernail, réussissant à priver le navire de toute possibilité de manœuvre, puis ses bateaux envoient des bombes incendiaires sur le pont. Enfin, 300 ennemis se lancent à son abordage. 

 

L'INCENDIE FATAL

Alors que le pont est en feu et qu’une masse d’hommes s’affrontent dans un corpsà-corps sanglant, un tir de canon ou un projectile incendiaire atteint un baril de poudre. L’explosion produit une réaction en chaîne qui fait voler en éclats la proue du Mars. À la tombée de la nuit, la fierté de la marine suédoise repose dans les profondeurs obscures de la Baltique. Elle y entraîne 600 membres d’équipage et des centaines d’assaillants ennemis. Seuls 100 naufragés en réchappent, dont l’amiral Jakob Bagge.

En Suède, peu sont surpris de la fin tragique du Mars : c’est un navire maudit. Le roi Erik, instable et arrogant, a ordonné de faire fondre les cloches des églises du pays pour équiper le navire de ses imposants canons en bronze. Indéniablement, un sacrilège grave aux yeux de Dieu et du peuple. 

Il semble que, 450 ans plus tard, le Mars soit en proie à une autre malédiction : son impossible localisation après sa disparition au fond de la mer. Depuis les années 1990, les frères Richard et Ingemar Lundgren, des plongeurs professionnels et passionnés d’archéologie sous- marine, ont découvert un grand nombre d’épaves dans la mer Baltique grâce à leur entreprise Global Underwater Explorers. Mais le légendaire Mars leur échappe.

Leur chance tourne enfin la nuit du 26 mai 2011, lorsqu’ils se trouvent à bord du bateau-laboratoire Princess Alice, à presque 30 km de l’île d’Öland. Le sonar du bateau commence à révéler sur le fond marin la présence de vestiges éparpillés à 75 m de profondeur. En suivant la piste, ils découvrent à 23h45 ce qui semble être la coque d’un grand navire en bois, incliné à tribord et entouré de planches détachées. L’euphorie éclate dans la salle d’opérations du Princess Alice. Richard Lundgren s’exclame : « On le tient ! » Mais il faut encore confirmer cette découverte, puisque la Baltique est un véritable cimetière à bateaux. 

 

VISIBILITÉ À DEUX MÈTRES

Les frères Lundgren et un collègue, Fredrik Skogh, se préparent à descendre les 75 m qui les séparent du Mars. Pour ce faire, ils doivent utiliser des équipements coûteux : des recycleurs à circuit fermé (CCR, ou Closed Circuit Rebreather) leur permettant de réaliser des immersions extrêmes, mais au prix de longs paliers de décompression à une température de 4 °C. La visibilité est de seulement 2 m, mais l’état de l’épave est optimal grâce aux propriétés chimiques des eaux de la Baltique, qui permettent aux bateaux de se conserver pendant des siècles. 

Alors qu’ils fouillent les vestiges, les plongeurs remarquent que la proue a disparu et que les bordages de la coque encore conservés présentent des traces de l’incendie qui s’est déchaîné à bord. Parmi les décombres, les plongeurs découvrent des armes, des coupes, des effets personnels ainsi que des ossements humains. Sur le fond sablonneux, un canon en bronze retient leur attention. En se rapprochant, ils découvrent le blason du roi Erik XIV, la preuve tant attendue qu’il s’agit bien du Mars. À ce moment-là, Richard Lundgren s’exclame dans son masque : « Nous avons atterri sur Mars ! » 

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    Le site a été photographié de manière exhaustive. L’équipe d’archéologues dirigée par Johann Rönnby, de l’université de Södertörn, a pris des milliers de clichés. La première vue intégrale de l’épave est offerte par le photographe polonais Tomasz Stachura qui, après 20 heures d’immersion et plus de 300 heures d’un travail rigoureux de numérisation, a combiné les 650 meilleures images pour créer une mosaïque de photos aidant les archéologues à réaliser des modèles en 3D complets de l’épave. 

    En raison de la législation stricte de l’État suédois en matière de patrimoine sous-marin, l’équipe n’a pu remonter à la surface que quelques planches, trois des 120 canons et trois thalers (une ancienne monnaie allemande) en argent en si bon état de conservation que Richard Lundgren a déclaré : « Nous avons pu les étudier immédiatement sans les nettoyer. » L’intégralité des vestiges du navire a été photographiée et géoréférencée in situ. Il n’est pas exagéré d’affirmer que le Mars a été le navire le plus puissant de son temps ; c’est également le mieux étudié à ce jour. Son analyse minutieuse a révolutionné les techniques de documentation et d’immersion des épaves profondes dans toutes les mers du globe.

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