Sur les traces d’Ibn Battuta : la Jordanie

Après s'être rendu à la Mecque, but initial de son pèlerinage, Ibn Battûta poursuivit son exploration en Jordanie.

De Romy Roynard
Publication 23 avr. 2020, 16:06 CEST
Ar Rimal – Wadi Rum, Jordanie, 2018 - Après avoir installé leur campement au milieu des ...

Ar Rimal – Wadi Rum, Jordanie, 2018 - Après avoir installé leur campement au milieu des dunes de sable rosé, Saleh et ses fils se réchauffent près du feu. Un dernier moment de complicité partagé avant que la nuit ne commence à tomber.

PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

« Je voyageai ensuite vers la ville d’Adjloûn ; c’est une belle ville, qui possède beaucoup de marchés et un château superbe, et qui est traversée par un fleuve dont l’eau est douce et agréable. Puis je quittai cette ville pour me rendre à Lâdhikiyah et je traversai d’abord le Ghaour, qui est une vallée entre des collines. »

Le château d’Ajlun, ville haut-perchée du nord de l’actuel Royaume hachémite de Jordanie, située à 41 km au Nord-Ouest de Amman, force aujourd’hui encore l’admiration des voyageurs. Lorsqu’Inb Battûta entre dans la ville au XIVe siècle, le château ne surplombe la vallée du Jourdain que depuis deux siècles. Il a déjà été agrandi, comme pour asseoir un peu plus la domination de l’Homme sur les alentours montagneux, par les Mamelouks, des membres d'une milice composée d'esclaves affranchis qui servaient alors divers souverains musulmans.

Cette mention de l’édifice rappelle, entre autres choses, la valeur documentaire inestimable des Voyages. Les écrits de l’explorateur musulman ont été largement étudiés par les géographes, les ethnologues et les historiens. Pour certaines régions du monde, comme le Mali ou l'Afrique de l'Est, son récit confié au poète Ibn Juzayye et compilé dans le recueil Tufat an-Nuẓẓār fī Gharāʾib al-Amār wa ʿAjāʾib al-Asfār (littéralement « Un cadeau pour ceux qui contemplent les splendeurs des villes et les merveilles des voyages »), est même la seule source dont nous disposons aujourd'hui encore pour le XIVe siècle.

Les témoignages sont plus nombreux sur le territoire jordanien, très convoité en raison de sa situation géographique, entre le croissant fertile et le désert d'Arabie. Pour Ibn Battûta, la Jordanie aurait pu n’être qu’une parenthèse de son exploration au long cours. Mais les merveilleux paysages jordaniens tour à tour désertiques et foisonnant de vie ont marqué ce voyage extraordinaire et alors inédit de par sa durée (29 ans) et les distances parcourues (120 000 kilomètres), qui permit au voyageur d’origine berbère de relier du sud au nord Tombouctou à l’ancien territoire du Khanat bulgare de la Volga et, d’ouest en est, Tanger à l’Extrême-Orient.

Sept siècles plus tard, le photographe Yan Bighetti de Flogny s’est lancé sur les traces d’Ibn Battûta pour raconter le monde musulman moderne, pour en cristalliser la beauté faite de lumières, de couleurs, de visages.

Le photographe arrive en Jordanie par Amman, sa capitale, où se mêlent ruines antiques et éléments architecturaux modernes. Construite sur sept collines, la ville offre autant de points de vue sur une partie est pittoresque et une partie ouest plus ancrée dans la modernité. L’équipe de tournage aime à se perdre dans les rues et les chemins qui conduisent à la citadelle historique au sommet de la colline de Jabal al-Qal'a. Les rayons du soleil illuminent les piliers du temple romain d’Hercule et le palais d’Umayyad, dont le dôme est le point de mire de nombre de visiteurs. Non loin de là, l’amphithéâtre, rémanent de la gouvernance romaine de la région, continue d’accueillir jusqu’à 6 000 personnes pour des événements ponctuels.

Au milieu de ces magnifiques vestiges, l’œil - et l’objectif- de Yan Bighetti de Flogny se pose bientôt sur la singulière mosquée Abu Darwish, érigée en 1961. Son impressionnante façade de pierres noires et blanches est un point d’horizon pour le moins graphique au sommet du Jebel al-Ashrafiyeh. Les non-musulmans ne sont généralement pas autorisés à y pénétrer mais l’imam, un Egyptien installé depuis quelques années à Amman, ouvre dans un sourire ses portes à l’équipe de tournage pour, après la visite des lieux, laisser la voie libre au photographe souhaitant capter ce lieu au style architectural si atypique.

Amman, Jordanie, 2019 - Dôme de la mosquée King Abdullah

Amman, Jordanie, 2019 - Dôme de la mosquée King Abdullah

PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

Autre jour, autre lieu : l’équipe prend la route pour rejoindre Al Karak, à quelques kilomètres seulement de la Mer Morte, où a été érigé au XIIe siècle un château fort croisé, le Kerak de Moab, auquel Ibn Battûta fait référence dans ses Voyages.

Le château est une destination touristique très populaire et l’équipe peine à trouver un angle de vue pouvant rendre hommage au lieu sans tomber dans l’écueil de la carte postale. La visite devient plus culturelle que photographique, offrant une respiration dans ce reportage pour le moins chargé.

Les contours d’Al Karak s’éloignent peu à peu pour laisser place à ceux de la ville de Dana et de sa fameuse réserve naturelle. Plus grande grande réserve naturelle du pays, elle a été créée en 1993 autour de Dana et de Wadi Dana, et couvre un peu plus de 300 kilomètres carrés. Parmi les espèces endémiques qu’elle abrite et protège, on trouve le bouquetin de Nubie (Capra nubiana), le faucon crécerellette (Falco naumanni), la plus grande colonie reproductrice de serins syriaques (Serinus syriacus), et environ 600 espèces de plantes, 37 espèces de mammifères et 190 espèces d'oiseaux.

Tout dans cette réserve de biosphère de l’Unesco est spectaculaire. Le lieu est sauvage, les lumières sublimes. Environ 100 sites archéologiques ont été identifiés à Dana, dont les anciennes mines de cuivre de Wadi Feinan, considérées comme le complexe archéologique le plus important du sud de la Jordanie, à l’exception de Petra.

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    Réserve de Dana, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, Jordanie, 2019

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    PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

    Petra, la cité perdue aux mille visages, est justement la prochaine destination - incontournable - de ce tour de Jordanie. Sculptée à-même la roche rouge et vibrante des falaises, la cité jordanienne de Petra a échappé au regard du monde occidental pendant des centaines d'années. Située au milieu des montagnes du désert, Pétra était autrefois une ville prospère, capitale de l'empire nabatéen entre 400 et 106 av. J.-C.

    La cité est restée à l'état de vestiges pendant des siècles. Ce n'est qu'au début du 19e siècle qu'au cours d'un voyage un Européen s'est déguisé en bédouin pour se faufiler dans la mystérieuse ville antique mêlant styles architecturaux nabatéens et gréco-romains à la richesse exceptionnelle. Les tombes de la cité sont toujours visibles, mais ont depuis longtemps été pillées et les trésors et artefacts qu’elles contenaient sont perdus.

    En 1985, le parc archéologique de Petra a été ajouté à la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO, et en 2007 il a été ajouté à celle des sept nouvelles merveilles du monde.

    L’équipe, impatiente de découvrir ce lieu mythique, part aux premières lueurs du jour, vers 5h30 du matin. Un long chemin encadré d’immenses parois rocheuses mène jusqu’au joyau nabatéen. Sur place, un profond sentiment d’immensité, d’absolu envahit les visiteurs.

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    Enclave secrète, Khazneh - Petra, Patrimoine mondial de l’Unesco, Jordanie, 2018 Le Trésor - emblème de la Jordanie - est l’un des monuments les plus connus et les plus visités de la région. Situé à un carrefour, il constitue un emplacement stratégique où les bédouins attendent pour offrir leurs services. Suleiman, Majed et Harun sont tous les trois guides ; ils ont trouvé un endroit au calme sur les hauteurs où ils peuvent se détendre.

    PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

    Dans les hauteurs du site, une scène de la vie quotidienne s’organise : trois Bédouins se réunissent autour d’un feu, et partagent un thé bienvenu. La fumée qui s’élève donne un aspect mystique au cadre déjà si empreint d’histoire et de mystère. Comme pour les pyramides de Gizeh, il n’est pas aisé de photographier un lieu si connu, si emblématique. Et pourtant cette image donne à voir Petra sous un jour nouveau, où l’humain prend toute sa place pour continuer à la faire vivre et à raconter son histoire.

    Un peu plus au Nord se dresse Siq al-Barid, surnommé la « Petite Pétra ». Ce site archéologique classé au Patrimoine mondial de l’Unesco abrite lui aussi des ruines nabatéennes mais est beaucoup moins fréquenté que sa grande sœur, ce qui lui confère un attrait d’autant plus important.

    Depuis un balcon naturel que le temps a creusé dans la roche, trois Bédouins se rassemblent autour d’un jeu de société, le mancala, à la lumière du feu. Le soir tombe, la magie opère.

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    Jeu au coin du feu, Petite Petra - Patrimoine Mondial de l’Unesco, Jordanie, 2018 Moins célèbre que son aînée, la Petite Petra aussi connue sous le nom de Siq al-Barid (le canyon froid) servait à l’époque de caravansérail. Musa, Raed et Khaled y sont nés tous les trois et connaissent l’endroit aussi bien que les règles du Mancala. Ce jeu traditionnel auquel ils jouent se compose de graines, de coquillages, ou de petits cailloux en guise de pion qui sont disposés et déplacés (“semés”) selon des règles précises

    PHOTOGRAPHIE DE Yan Bighetti de Flogny, Projet Al Safar

    La roche aux teintes chaudes se confond bientôt avec des tons de sables exceptionnellement divers dans le désert de Wadi Rum. Là, des canyons, des arches naturelles, des falaises et des grottes se parent de jaune, de rouge, de rose et même de noir. « Se perdre dans Wadi Rum, c’est entrer dans une peinture » sourit Yan Bighetti de Flogny.

    Cette peinture est le terrain de jeu de Jenna Barhoush, une jeune alpiniste jordanienne. « Quand j'étais petite, mes parents m'emmenaient camper à Wadi Rum, et nous étions très excités à l'idée d'escalader des montagnes », sourit la jeune femme. « J'ai commencé à m'impliquer plus sérieusement il y a deux ans... Lorsque je fais de l'escalade, je me déconnecte de la cohue quotidienne et je me sens bien en hauteur sur ces murs. J'aime aussi grimper en extérieur, dans les montagnes de Jordanie, qui m'apportent un point de vue différent. » 

    Héros ordinaires : la Jordanie

    À l’image de la Jordanie, ce complexe paysage montagneux est le témoin du temps géologique de cette région, riche d’une histoire aux influences multiples, et aux sites à l’exceptionnelle beauté.

     

    « Sur les traces d'Ibn Battuta » est un projet d'exploration artistique porté par l’Association Al Safar en partenariat avec l’UNESCO et le Misk Art Institute. Le photographe et directeur artistique Yan Bighetti de Flogny et le réalisateur Damien Steck reconstituent le voyage légendaire de l'explorateur marocain du 14e siècle, Ibn Battuta, afin de témoigner en images de la diversité des cultures et des communautés d’Islam à travers 38 pays.

    Le projet souhaite mettre à l'honneur la jeunesse, l'innovation et la création dans les pays traversés.

    Retrouvez le projet sur FacebookInstagram et Twitter et sur les hashtags suivants : #IbnBattuta #AlSafar #FollowAlSafar

    Directeur artistique et Photographe : Yan Bighetti de Flogny (Retrouvez-le sur Facebook)

    Réalisateur : Damien Steck

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