La plus grande bataille de chars de l'Histoire a opposé Égyptiens et Hittites
Prenant de court ses ennemis, l'armée hittite semblait inarrêtable lorsqu'elle a affronté l'Égypte dans la plus grande bataille de chars de tous les temps.
Ce relief représente un char écrasant un ennemi. Il a été réalisé entre le Xe et le VIIIe siècle avant notre ère dans le royaume néo-hittite de Karkemish, en Syrie. Musée des civilisations anatoliennes, Ankara, Turquie.
Pour Égyptien contemporain de Ramsès II ou de ses successeurs directs, l'histoire était claire : dans une poussée héroïque visant à regagner les anciennes terres impériales en Syrie, leur grand pharaon avait combattu les Hittites lors de la bataille de Qadesh, en 1275 avant J.-C., qu'il avait remporté, s'auréolant de gloire.
Ramsès II maîtrisait aussi bien les relations publiques que l'art de la guerre, et les historiens savent maintenant que la bataille de Qadesh n'était qu'une victoire en demi-teintes contre les Hittites. La bataille s'est presque certainement conclu en match nul.
Maîtres d'un empire qui s'étendait sur une grande partie de la Turquie moderne dans certaines parties de la Syrie, les Hittites étaient des adversaires aussi estimés que redoutables. Depuis leur capitale fortifiée d'Hattusa (à environ 210 kilomètres à l'est d'Ankara, dans l'actuelle Turquie), ils ont assis leur domination sur la région grâce, pour partie, à leur grande maîtrise du char.
La porte du Lion était l'une des entrées de Hattusa, la capitale hittite. Après sa destruction
au début du 14e siècle avant J.-C., Hattusa a été reconstruite et fortifiée sous le roi Suppiluliuma Ier.
Écrit égyptien officiel relatant la « victoire », le Poème du Pentaour a été inscrit sur les temples de Ramsès II, y compris le temple d'Abou Simbel, dans le sud de l'Égypte. Le poème raconte comment le roi hittite Muwatallis II « avait envoyé des hommes et des chevaux, aussi nombreux que les sables… Les chars de Sa Majesté [Ramsès II] perdaient courage, mais Sa Majesté a tenu bon. »
La bataille opposant Hittites et Égyptiens est considérée par les historiens comme la plus grande bataille de chars de l'Histoire. Cet affrontement extraordinaire a parfait la réputation des Hittites, désormais acteurs régionaux de premier plan.
CHUTE ET RENAISSANCE
De nombreux chercheurs formulent l'hypothèse que les ancêtres du peuple hittite vivaient à l'origine en Asie centrale avant de se déplacer en Anatolie (Turquie moderne) au troisième millénaire avant notre ère. La région était déjà habitée par les Hattis et les Hurrites, qui parlaient des langues différentes de celles des nouveaux arrivants. La langue hittite appartenait à la famille des langues indo-européennes, comme de nombreuses langues parlées dans le monde.
Au 17e siècle avant notre ère, les Hittites ont émergé comme une puissance militaire en pleine expansion sous le roi Labarnas I. Son fils, Labarnas II, a choisi pour capitale le site déjà établi de Hattusa, et a changé son nom en Hattusili, en l'honneur du nouveau siège royal. Alors que son père avait renforcé l'État hittite, Hattusili l'étendit jusqu'aux confins de l'empire mitanni, une puissance de langue hurritienne à l'est.
Après l'expansion territoriale d'Hattusili vint le temps des guerres civiles. Alors que les princes hittites se disputaient la succession eu trône, leurs ennemis ont pu reconquérir les territoires durement gagnés par Hattusili.
Un édit du roi Télipinu du 16e siècle avant notre ère a normalisé la succession royale hittite. La loi comprenait notamment la lignée des anciens rois hittites, source historique précieuse pour les historiens. Malgré la tentative de Télipinu de rétablir l'ordre dans les rangs hittites, plusieurs dirigeants apathiques lui ont succédé au cours de cette période que les historiens appellent l'Ancien Empire hittite.
Un conducteur de char tiré par deux chevaux apparaît au sommet de cet artefact assyrien fabriqué au 19e siècle avant J.-C. Musée archéologique, Ankara, Turquie
Au 15e siècle avant notre ère, le pharaon Thoutmôsis III était devenu le grand bâtisseur de l'empire égyptien, étendant son royaume à l'est jusqu'en Syrie. Lorsque les Mitannis ont conclu une alliance avec les Égyptiens au début du 14e siècle avant J.-C., les rois hittites assiégés se sont inquiétés de cette nouvelle entente.
Assaillis de toutes parts, les Hittites auraient pu tomber, mais un grand chef de guerre leur a permis de se relever. Suppiluliuma Ier a eu un long règne (1380-1346 avant J.-C.) et a participé à transformer les Hittites en une nouvelle force impériale. Exploitant la faiblesse de Mitanni, Suppiluliuma a conquis le nord de la Syrie et installé ses fils comme rois d'Alep et de Karkemish.
S'ouvrant avec le règne de Suppiluliuma et se poursuivant avec celui de ses héritiers, une lutte de pouvoir tripartite s'est formée avec l'Égypte et la montée en puissance de l'Assyrie à l'est.
VICTOIRES SUR ROUES
Les premiers chars sont apparus en Mésopotamie vers 3 000 av. J.-C. Ils étaient très différents des véhicules tirés par des chevaux connus dans la Grèce antique et à Rome. Les premiers prototypes avaient souvent quatre roues solides, et leur principal usage se résumait aux défilés et aux rites funéraires.
Ces véhicules n'étaient pas tirés par des chevaux, mais par des bœufs et d'autres animaux de trait, ou des équidés tels que des ânes ou des mulets. Le Standard d'Ur, un cercueil de la ville sumérienne d'Ur datant d'environ 2 600 avant J.-C., présente un char qui ressemble à un chariot à roues solides tiré par des mules ou des ânes.
Détail du cercueil Standard d'Ur représentant un conducteur de char sumérien doté des roues en bois massif. Cette première forme de char a dominé l'art de la guerre à l'âge du bronze.
Le début du deuxième millénaire avant notre ère a été témoin d'une rapide évolution de la construction de chars. À cette époque, le cheval a d'abord été utilisé comme animal de trait, et les roues sont devenues de plus en plus rayonnées, et donc beaucoup plus légères. La vitesse et la mobilité qui résultaient de ces innovations ont fait du char un équipement militaire essentiel à l'âge du bronze.
Des modèles à deux roues ont été acquis à des fins militaires par les principales puissances de l'époque, notamment les Égyptiens et les Hittites. En 1650 avant J.-C., pendant le siège d'une ville appelée Urshu, le roi hittite Hattusili mentionne 30 chars hittites opposés à 80 chars appartenant à ses ennemis hurritiens. La flotte hittite de chars connaîtra une croissance exponentielle au cours des siècles suivants, passant de dizaines à des centaines, et plus tard, à des milliers.
Les techniques anatoliennes de pliage et de façonnage du bois ont aidé les Hittites à développer des modèles sophistiqués à deux roues. Les Hittites de l'époque impériale ont laissé peu de preuves illustratives de ces véhicules (bien que, après l'effondrement de l'Empire hittite, les artisans des enclaves hittites survivantes aient produit des œuvres d'art représentant des chars). D'autres preuves indiquent aux historiens qu'au 17e siècle avant J.-C., les chars hittites étaient dotés de roues plus légères.
Contrairement aux chars égyptiens à deux hommes, le modèle hittite pouvait transporter trois personnes : le conducteur, un guerrier armé de lances ou d'arc et de flèches, et un porteur de bouclier. Ce dernier était attaché à la partie arrière du chariot, conférant de la stabilité lors de manœuvres serrées.
DIPLOMATIE DE CHARS
Les progrès de la conception des chars hittites ont coïncidé avec la montée de l'empire hittite comme acteur majeur de la Méditerranée orientale. Instruments essentiels pour monter des attaques surprises rapides, les chars ont joué un rôle clef dans les conquêtes de la Syrie par le roi Suppiluliuma Ier et la forge de la suprématie régionale hittite au 14e siècle avant J.-C.
Signe que les Hittites étaient devenus incontournables d'un point de vue diplomatique dans la région : une lettre émanant d'une reine égyptienne à Suppiluliuma Ier. Le pharaon venait de mourir (les érudits pensent qu'il s'agissait très probablement de Toutankhâmon, mais il pouvait tout aussi bien s'agir de son père, Akhenaton). La reine, veuve, a demandé à Suppiluliuma d'envoyer l'un de ses fils en mariage. Malheureusement pour les relations hittites-égyptiennes, le fils envoyé par Suppiluliuma, a été tué à son arrivée par une faction égyptienne d'opposition.
Un roi chasse sur un char sur cette plaque d'or d'Ugarit, un royaume syrien étroitement lié aux Hittites. 15e ou 14e siècle avant notre ère, Musée du Louvre, Paris
Les Hittites ont inscrit cette offense dans l'une des « prières de peste » gravées pendant le règne du successeur de Suppiluliuma, Mursili II. Les mots choisis montrent le rôle central des chars dans la guerre et la diplomatie régionale :
Mon père a envoyé des chasseurs d'infanterie et de chars et ils ont attaqué le territoire frontalier. Et, de plus, il a envoyé (plus de troupes) ; et là encore, ils ont attaqué. [Les] hommes d'Égypte ont eu peur. Ils ont alors demandé à mon père d'envoyer son fils pour devenir leur roi. Et quand il s'est présenté, ils l'ont tué. Et mon père s'est mis en colère, et il est allé en territoire égyptien, et il a attaqué les chasseurs d'infanterie et de chars d'Égypte.
Suppiluliuma a été emporté par la peste, comme l'indiquent les poèmes dédiés à l'épidémie. Son fils Mursili II a accédé au trône, mais son règne a été éclipsé par la peste. Bien qu'il ait dû surmonter nombre de défis durant son règne, il a transmis un empire stable et en expansion à son fils, qui allait jouer un rôle fatidique dans l'histoire hittite. C'est le nouveau roi, Muwatalli II, qui affronta Ramsès II à Qadech en 1275 avant notre ère.
LA PLUS GRANDE DES BATAILLES
Le site de la ville de Qadech se trouve près de Homs, dans l'ouest de la Syrie. En 1275 avant notre ère, elle était aux mains des Hittites. En la leur ravissant, Ramsès II neutralisait la menace hittite à sa sphère d'intérêt nordique et revendiquait les territoires jadis conquis par Thoutmôsis III, et perdus depuis.
Les sources égyptiennes pour la bataille de Qadech racontent comment l'armée de Ramsès II a été induite en erreur, considérant que les Hittites étaient basés plus loin. À l'approche de la ville, les Égyptiens ont été surpris par l'ennemi qui les attendait en embuscade.
Près de 3 000 chars hittites et 40 000 fantassins se sont violemment lancés à l'assaut de la flotte égyptienne, qui, dépassée par le nombre, a dû se disperser. Le bilan égyptien de la bataille utilise l'imagerie des chars massifs pour souligner la solitude héroïque de Ramsès à ce moment-là : « Il n'y a personne à mes côtés... Mais la grâce d'Amon vaut mieux que dix mille chars. »
Bronze hittite représentant un homme et son cheval, daté du XIXe siècle avant J.-C. Louvre, Paris.
Ramsès a de fait réussi à mener la bataille vers un match nul respectable, revendiquant plus tard une victoire absolue. Malgré les revendications quelque peu prétentieuses, les Hittites ont continué à dominer la Syrie. En 1258 avant J.-C. (autre signe de la puissance régionale hittite) Ramsès II a conclu un traité de paix avec eux. En 1245 avant J.-C., il a même épousé une princesse hittite.
L'Empire hittite a décliné au 12e siècle avant J.-C., mais la cause précise de ce déclin reste inconnue. Certains archéologues pensent que les peuples de la mer, une confédération de puissances maritimes, en sont les principaux artisans. L'Empire hittite est tombé, mais des vestiges de la domination hittite ont perduré dans des enclaves telles que Karkemish, connues par les historiens comme les royaumes néo-hittites.
Alors que les égyptologues avaient construit une image complexe de la culture pharaonique millénaire, Hattusa n'a été fouillée qu'à partir du début du 20e siècle. Les découvertes de textes hittites ont contribué à donner aux historiens une perspective bien différente et plus nuancée de la bataille de Qadesh.
Cet article a initialement paru sur le site natonalgeographic.com en langue anglaise.