L'Homme aurait peuplé les Amériques 15 000 ans plus tôt que ce que l'on croyait

La présence humaine semblait impossible dans un lieu aussi aride et isolé que la grotte de Chiquihuite au Mexique. Cependant, des archéologues ont mis au jour des centaines d’outils en pierre qui risquent de changer toutes les estimations pré-établies.

De Kristin Romey
Dans la grotte de Chiquihuite, les chercheurs portent des équipements de protection pour éviter le risque ...

Dans la grotte de Chiquihuite, les chercheurs portent des équipements de protection pour éviter le risque de contamination avec de l’ADN moderne. Ils mènent des travaux de fouille à la recherche de signatures génétiques de plantes et d’animaux.

PHOTOGRAPHIE DE Devlin Gandy

Lorsque les chercheurs ont foulé pour la première fois le sol d’une grotte située dans les montagnes désertiques du Mexique, ils voulaient essayer de savoir à quoi ressemblait cet environnement il y a des milliers d’années. Ils y ont fait une découverte incroyable : une ancienne pointe de lance qui les a poussés à mener des travaux de fouille pendant une décennie. De quoi réécrire l’histoire des Amériques.

Selon une étude publiée dans la revue Nature, le peuplement de l’Amérique du Nord remonterait à 30 000 ans et serait donc deux fois plus ancien qu’estimé jusqu’ici.

Quand est-ce que les êtres humains ont commencé à peupler les Amériques ? Cette question fait l’objet de débats longs de plus d’un siècle. Selon la thèse la plus communément acceptée, la présence humaine remonterait à 13 500 ans. Cependant, les découvertes récentes des archéologues ne font que chambouler ces estimations. Certains disent même avoir détecté des signes d’occupation humaine vieux de 30 000 ans. Certes, les résultats des recherches suscitent beaucoup de controverse.

Les chercheurs comparent les données sur la stratigraphie de la grotte de Chiquihuite en vue de ...

Les chercheurs comparent les données sur la stratigraphie de la grotte de Chiquihuite en vue de procéder à un échantillonnage des traces d’ADN de plantes et d’animaux dans les sédiments.

PHOTOGRAPHIE DE Devlin Gandy

« À ce stade, vous devez absolument avoir les preuves nécessaires pour convaincre », affirme Loren Davis, archéologue à l’université d’État de l’Oregon. « Pour ma part, c’est inévitable. Nous allons continuer de reculer l’âge des premiers peuplements aussi loin que possible. »

En creusant le sol de la grotte à trois mètres de profondeur, le directeur des travaux et auteur principal de l’étude Ciprian Ardelean, archéologue à l’Universidad autonoma de Zacatecas, ainsi que ses collègues chercheurs, ont réussi à déterrer des milliers de pierres qui auraient servi de lames, de pointes de lances et d’éclats. Certains outils sont faits à partir d’un type de calcaire qui n’a pas été retrouvé dans la grotte et y aurait donc été apporté d’ailleurs.

Les archéologues ont également découvert des morceaux de charbon à l’intérieur des couches de sédiments. Bien qu’il soit impossible de déterminer si le matériau brûlé est le fruit de phénomènes naturels ou d’activités humaines, les spécimens ont été datés au carbone sur une fourchette comprise entre 12 000 et 32 000 ans.

Les chercheurs n’ont trouvé aucun reste humain et très peu d’ossements d’animaux. Cependant, ils ont réussi à détecter la présence d’ADN humain dans les couches de sédiments. Impossible cependant de savoir à quelle époque remonte le matériel génétique : anciens peuples ou contamination avec de l’ADN moderne ?

« La grotte de Chiquihuite apporte ne serait-ce que de tout petits indices sur une certaine présence », dit Ardelean qui dirige les travaux de fouille dans la grotte depuis 2011.

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    L’archéologue Ciprian Ardelean dirige les travaux de fouille dans la grotte de Chiquihuite.

    L’archéologue Ciprian Ardelean dirige les travaux de fouille dans la grotte de Chiquihuite.

    PHOTOGRAPHIE DE Devlin Gandy

    Toute personne qui visite la grotte de Chiquihuite aujourd’hui présumerait que les êtres humains n’auraient jamais pu habiter dans un environnement aussi inhospitalier. Ils auraient pourtant bien tort.

    Après extraction de pollen et d’ADN des sédiments, les chercheurs ont découvert que les zones environnantes désertes étaient jadis plus fraîches, plus vertes et plus humides. Ils ont même mis en évidence la présence de Pseudotsuga menziesii, un arbre qui n’est désormais plus originaire du Mexique, ainsi qu’un morceau de pierre que les chercheurs pensent être une lame fabriquée par des mains humaines.

    Lorsque le maximum glaciaire a été atteint il y a 24 000 ans environ, les alentours de la grotte auraient été couverts de genévriers, de pins, d’épinettes et de sapins parsemés de lacs et de sources thermales. « La région aurait ressemblé à l’Oregon ou à la Colombie-Britannique », certifie Ardelean. « Croyez-moi, vous ne la reconnaîtriez pas du tout. »

     

    RIEN N’EST GRAVÉ DANS LE MARBRE

    L’âge attribué à la grotte de Chiquihuite ne va pas de pair avec l’idée largement admise qu’une population venue d’Asie aurait traversé un pont terrestre par le détroit de Béring pour atteindre les Amériques durant la dernière grande glaciation (il y a 26 000 à 19 000 ans), alors que l’eau retenue dans les glaciers avait fini par faire baisser le niveau des mers. Pour cela, et pour bien d’autres raisons, les chercheurs qui ont examiné les données fournies dans la revue Nature font preuve de réserve.

    Les pierres, qui seraient des outils façonnés par les êtres humains, ont été soigneusement analysées. Si les chercheurs ont démontré que les morceaux proviennent de l’extérieur de la grotte, certains experts remettent en question la nature des matériaux. Ils se demandent s’il s’agit vraiment d’artefacts humains ou s’ils sont le résultat de processus géologiques naturels.

    L’archéozoologue Joaquin Arroyo-Cabrales, à gauche, et l’expert en datation au carbone, Lorena Becerra-Valdivia, au centre, examinent ...

    L’archéozoologue Joaquin Arroyo-Cabrales, à gauche, et l’expert en datation au carbone, Lorena Becerra-Valdivia, au centre, examinent des ossements d’animaux retrouvés dans la grotte de Chiquihuite.

    PHOTOGRAPHIE DE Devlin Gandy
    Des outils en pierre, découverts dans la grotte de Chiquihuite, sont formés d’un type de calcaire ...

    Des outils en pierre, découverts dans la grotte de Chiquihuite, sont formés d’un type de calcaire cristallisé de couleur verdâtre, recueilli en dehors de la grotte.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciprian Ardelean
    Des outils en pierre, découverts dans la grotte de Chiquihuite, sont formés d’un type de calcaire ...

    Des outils en pierre, découverts dans la grotte de Chiquihuite, sont formés d’un type de calcaire cristallisé de couleur verdâtre, recueilli en dehors de la grotte.

    PHOTOGRAPHIE DE Ciprian Ardelean

    Loren Davis, l’archéologue de l’université d’État de l’Oregon qui dirige les travaux de fouille à Cooper’s Ferry dans l’Idaho, signale que les alentours de la grotte sont propices à la formation de pierres naturellement fracturées qui peuvent accidentellement être confondues avec des artefacts.

    « Il faut garder en tête que les êtres humains ne détiennent pas le monopole de la physique requise pour déformer les roches », précise Davis.

    L’archéologue est également préoccupé par l’absence d’autres signes de présence humaine dans les dépôts de la grotte, comme les foyers et les ossements d’animaux portant des coupures.

    « La liste des objets qu’on s’attend à retrouver dans un tel site est longue. Les chercheurs n’ont en leur possession que quelques morceaux de pierre », indique Davis. « Si on retire les pierres, il ne nous reste rien. » Selon lui, la recherche est certes « intrigante » mais il préfère se montrer prudent.

    Vue sur la Sierra del Astillero près de l’entrée de la grotte de Chiquihuite. Il y ...

    Vue sur la Sierra del Astillero près de l’entrée de la grotte de Chiquihuite. Il y a des dizaines de milliers d’années, la région était dotée d’arbres luxuriants et parsemée de lacs.

    PHOTOGRAPHIE DE Devlin Gandy

    Le style de fabrication des outils, à savoir la forme particulière des pierres, est des plus surprenants.

    « L’assemblage est très différent de tout ce qu’on a pu voir auparavant », explique Tom Dillehay, archéologue à l’université Vanderbilt. « Comment se fait-il qu’on n’ait jamais vu de pièces du genre ? Eh bien, c’est possible. »

    Selon des preuves fournies par Dillehay en 1997, les premiers peuples auraient atteint l’Amérique du Sud il y a 14 500 ans, soit 1 000 ans plus tôt que les estimations communément admises. Ses résultats ont suscité beaucoup de controverse avant d’être finalement confirmés.

    Dillehay affirme qu’il avait reçu des critiques similaires en lien avec les objets en pierre découverts à Monte Verde. Selon lui, les pointes de lances de Chiquihuite pourraient être les précurseurs d’autres, retrouvées au centre-nord du Mexique.

    Cependant, il exprime également des doutes sur l’absence d’évolution des artefacts. Selon la datation au carbone du charbon retrouvé dans le sol, la grotte aurait été utilisée par les êtres humains il y a 20 000 ans environ. Dillehay note que les outils retrouvés à Monte Verde ont connu une évolution remarquable au fil des millénaires alors que, sur une période beaucoup plus longue, les pierres de Chiquihuite n’ont montré aucune évolution au niveau de la technique de fabrication des outils.

    Les immenses galeries de calcaire de la grotte de Chiquihuite ont une température constante de 12 ...

    Les immenses galeries de calcaire de la grotte de Chiquihuite ont une température constante de 12 degrés Celsius, même en plein hiver lorsque les chercheurs mènent des travaux de fouille.

    PHOTOGRAPHIE DE Devlin Gandy

    Dennis Jenkins, professeur à l’université d’Oregon qui dirige les travaux de fouille dans les grottes de Paisley, s’inquiète que nombre des prétendues lames ne semblent pas particulièrement tranchantes en se basant sur les photos publiées dans la revue Nature. « Certains objets ressemblent cependant à de potentiels artefacts », précise-t-il. Le fait que la pierre provienne de l’extérieur de la grotte renforce la théorie selon laquelle elle aurait été façonnée pour usage humain, dit Jenkins.

    Plusieurs autres chercheurs externes contactés par National Geographic ont refusé de se prononcer sur les résultats, proposant plutôt d’entrer en contact avec Michael Waters, directeur du Centre d’études des premiers Américains à l’université A&M du Texas et expert en peuplement des Amériques. Waters a passé l’étude en revue mais a également refusé de donner son avis, demandant plutôt à National Geographic de consulter un article qu’il avait publié dans la revue Science en 2019 et selon lequel les données génétiques et archéologiques ne permettent pas de conclure que les Amériques étaient occupées il y a plus de 17 500 ans.

     

    PROCHAINES DÉMARCHES

    L’équipe de Chiquihuite est actuellement en train d’élaborer une autre étude et Ardelean est convaincu que les nouvelles données permettront de confirmer leurs résultats. Cependant, Ardelean répète souvent à son équipe que la grotte de Chiquihuite n’est qu’un site parmi tant d’autres qui fournissent des informations plus exhaustives et plus complexes pour déterminer quand et pourquoi les peuples ont atteint les Amériques.

    Des membres de l’équipe de fouille de la grotte de Chiquihuite arrivent sur place. Au début ...

    Des membres de l’équipe de fouille de la grotte de Chiquihuite arrivent sur place. Au début de la période d’excavation qui dure deux mois, des mules transportent plus d’une tonne d’équipements – y compris tout le matériel de camping, la nourriture et l’eau pour une équipe de huit personnes.

    PHOTOGRAPHIE DE Devlin Gandy

    Cette étude montre que nous devons remettre en question ce que nous croyons savoir sur le peuplement des Amériques et, surtout, être ouverts à l’idée qu’il puisse remonter à très, très longtemps », dit Devlin Gandy, archéologue à l’université de Cambridge et membre de l’équipe de Chiquihuite.

    Les dates fournies par l’équipe de recherche de Chiquihuite seront « fortement contestées », conclut Jenkins. « Il n’y a aucun doute là-dessus. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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