Avant la mise au point d'un vaccin, la variole tuait 30 % des malades

Meurtrière impitoyable pendant des siècles, la variole ne faisait aucune distinction et infligeait les mêmes sévices aux rois et aux roturiers avant qu'un médecin anglais ne fasse une prodigieuse découverte : celle de la vaccination.

De Juan José Sánchez Arreseigor
Publication 9 sept. 2020, 17:00 CEST
La vaccination est entrée dans les mœurs au début du 19e siècle, elle est ici représentée par ...

La vaccination est entrée dans les mœurs au début du 19e siècle, elle est ici représentée par Constant Desbordes dans une peinture à l'huile datant de 1820.

PHOTOGRAPHIE DE White Images, Scala, Firenze

Depuis des millénaires, l'humanité craint la variole, l'une des maladies les plus dangereuses au monde avec un taux de mortalité supérieur à 30 %. L'un des premiers cas documentés de variole était celui d'une momie égyptienne du 3e siècle avant notre ère. Les civilisations asiatiques, africaines et européennes regorgent toutes de témoignages historiques vieux de plusieurs siècles au sujet des malades de la variole. Les descriptions de forte fièvre, de douleurs et des pustules recouvrant l'ensemble du corps foisonnent dans la littérature médicale. Les survivants étaient bien souvent défigurés par la cicatrisation des pustules et lorsque ces derniers se formaient à proximité des yeux, ils entraînaient parfois une cécité.

AVANT JENNER

Au moins cinq médecins avaient mené des recherches sur la vaccination avant Jenner. Pendant l'épidémie de variole de 1774, l'agriculteur anglais Benjamin Jesty utilisa le virus de la vaccine, ou variole de la vache, pour inoculer sa femme avec succès, sans toutefois rendre publique son expérience.

PHOTOGRAPHIE DE Sm, Sspl, AGE Fotostock

Les médecins de l'époque avaient mis au point différentes stratégies pour traiter la maladie, mais la véritable révolution médicale arriva à la fin du 18e siècle, lorsqu'un médecin de campagne anglais, Edward Jenner, créa le vaccin contre la variole grâce à ses observations scientifiques et un remède arrivé en Angleterre depuis la Turquie.

 

TECHNIQUES TURQUES

En 1716, Lady Mary Wortley Montagu débarque sur le sol turc en compagnie de son mari Lord Montagu, le nouvel ambassadeur de Grande-Bretagne en Turquie. Lady Montagu porte encore les cicatrices laissées par un combat contre la variole mené deux ans plus tôt. Elle apprend la langue locale et se lie d'amitié avec les femmes turques, grâce auxquelles elle fait une extraordinaire découverte : ses nouvelles amies utiliseraient le pus des variolés pour s'infecter volontairement, elles et leurs enfants. Par la suite, après avoir développé une forme modérée de la maladie, elles seraient immunisées contre ses effets mortels.

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    Cette stratégie fait forte impression sur Lady Montagu. Femme indépendante et autodidacte en grec, latin et français, elle avait également choisi de faire un mariage d'amour en épousant Sir Edward contre la volonté de son père. Sans hésitation, Lady Montagu inocula ses propres enfants, en déclarant : « Je suis suffisamment patriote pour prendre le risque d'apporter cette invention salutaire en Angleterre. »

    En réalité, ce genre de méthodes était déjà utilisé en Europe, mais la grande contribution de Lady Montagu est d'avoir diffusé la technique, baptisée variolisation, et de l'avoir fermement défendue contre l'hostilité viscérale manifestée par quelques médecins et même certains prêtres. Grâce à sa campagne, plusieurs personnalités de haut rang se sont elles-mêmes inoculées en suivant la méthode turque, notamment les rois du Danemark et de la Suède ainsi que l'impératrice Catherine II de Russie.

    Cependant, la variolisation n'était pas sans imperfection : entre 1 et 3 % des personnes inoculées tombaient malades et mourraient. Ce taux de mortalité explique pourquoi la procédure n'est jamais devenue une pratique à part entière. Après avoir consacré tant d'années et d'énergie à la lutte contre la variole, Lady Montagu décède des suites d'un cancer en 1762.

     

    VACHES ET COUCOUS

    Edward Jenner est né en 1749 d'un père vicaire de campagne, à Berkeley, dans le Gloucestershire en Angleterre. À l'âge de cinq ans, il perdit sa mère, morte en couches, puis son père deux mois plus tard. Le jeune Edward partit alors vivre avec son frère. Plus tard, il devint apprenti auprès d'un chirurgien dans un hôpital où il étudia et pratiqua la médecine. En tant que membre de l'association médicale locale, il publia des études détaillées sur une variété de troubles médicaux. Il s'intéressa dans ses écrits à d'autres sujets tels que l'ornithologie ou les aérostats. En 1789, il rejoignit l'élite académique britannique après avoir été nommé membre de la Royal Society pour ses recherches sur les coucous.

    Maison natale d'Edward Jenner à Berkeley. Jenner a vécu et pratiqué la médecine dans cette région ...

    Maison natale d'Edward Jenner à Berkeley. Jenner a vécu et pratiqué la médecine dans cette région rurale anglaise la plus grande partie de sa vie.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy, ACI

    Dans les années 1970, loin des oiseaux et des ballons, Jenner consacra son temps à la recherche d'un traitement pour protéger l'humanité de la maladie qui tue près de 80 000 Britanniques par an. Il était convaincu de la nécessité d'une méthode plus efficace que la variolisation et moins risquée pour les patients. Des scientifiques avaient déjà suggéré que la vaccine, une forme modérée de la variole qui affecte le bétail, pourrait offrir une solution. Médecin en zone rurale, Jenner se trouvait dans une position idéale pour mener des recherches sur cette maladie et ses effets sur les ouvriers agricoles. Il remarqua alors que les laitières avaient tendance à contracter la variole de la vache après être entrées en contact avec les pustules qui recouvraient les pis de l'animal. Durant les épidémies de variole humaine, il arrivait que les familles des laitières tombent malades, mais les laitières qui avaient elles-mêmes déjà contracté la variole de la vache étaient épargnées.

    Le 14 mai 1796, Jenner franchit le pas qui changera à jamais la science médicale. Il décida d'extraire du pus de l'une des plaies d'une femme infectée par la vaccine et l'utilise pour inoculer un jeune garçon, le fils de son jardinier. Une semaine plus tard, l'enfant tomba malade. Pendant quelques jours, la tension fut immense et Jenner suivit l'évolution de son jeune patient, jusqu'à sa guérison. Six semaines plus tard, il l'exposa au virus de la variole mais l'enfant ne montra aucun symptôme de la redoutable maladie. Par la suite, Jenner réitéra son expérience sur 22 patients. Là encore, aucun des sujets inoculés à la vaccine ne montra les signes d'une forme sévère de la maladie. C'était la preuve que Jenner attendait pour confirmer l'efficacité de sa méthode, déjà baptisée vaccination.

     

    CONTROVERSES

    Bien que le succès de Jenner ait reçu un accueil globalement chaleureux, il s'est tout de même attiré de vives critiques sur les plans scientifiques et idéologiques. L'opposition est notamment venue d'une alliance entre le clergé et certains philosophes parmi lesquels Emmanuel Kant.

    Pour ne rien arranger à la situation, il arrivait que des praticiens peu expérimentés reproduisent la procédure de Jenner sans réellement la comprendre, ce qui contribua à propager la maladie au lieu de la contenir. L'une des précautions les plus importantes stipulées par Jenner était que les prélèvements devaient être réalisés sur les pustules de vaccine au plus tôt 7 jours après leur apparition, le temps pour la maladie de se faire moins virulente. Même si Jenner ne vivra pas assez longtemps pour le découvrir, cet accent mis sur l'affaiblissement de la souche de vaccine se révélera plus tard être un élément essentiel du combat contre d'autres maladies. En l'absence de forme animale relativement bénigne d'une maladie, un vaccin peut désormais être mis au point à l'aide de micro-organismes affaiblis directement liés à la maladie en question.

    Correctement appliquées, les méthodes de Jenner furent couronnées de succès et s'établirent progressivement à travers toute l'Europe. En 1803 naissait en Grande-Bretagne la Royal Jennerian Society dont le dessein était d'offrir la vaccination à tous les volontaires. En 1805, Napoléon Bonaparte ordonna la vaccination de son entière armée. Le Gouvernement espagnol lança une mission philanthropique étalée sur trois ans pour diffuser la vaccination à l'ensemble de l'Empire espagnol, notamment aux Amériques, aux Philippines, à Macao et en Chine. « Je n'imagine pas les annales de l'histoire offrir un jour un exemple de philanthropie aussi noble et étendu que celui-ci, » écrivait Jenner à propos de cette expédition remarquable. En 1840, le gouvernement britannique promulgua une série de lois visant à vacciner gratuitement l'ensemble de sa population.

    Le combat contre la variole s'est poursuivi durant le siècle suivant et le vaccin mis au point par Edward Jenner a contribué à éradiquer la maladie, dont le dernier cas connu remonte à 1978.

     

    L'HÉRITAGE DE JENNER

    Edward Jenner reçut de nombreux titres et honneurs pour sa découverte. Le Parlement britannique lui versa une récompense de 10 000 livres sterling, une coquette somme pour l'époque, plus tard rehaussée de 20 000 livres sterling. Pourtant, malgré la gloire dont il était auréolé, Jenner sut rester un homme aux habitudes relativement modestes. Il regagna son village de Berkeley, où il continua d'exercer la médecine. Le 25 janvier 1823, il fit une attaque cérébrale dans son sommeil et fut retrouvé mort le lendemain matin, à l'âge de 73 ans.

    Les recherches de Jenner lui ont survécu dans les travaux de scientifiques comme Louis Pasteur et Robert Koch, qui se sont intéressés aux modes de transmission des maladies entre individus. Leurs découvertes ont ouvert la voie à la « théorie microbienne », qui attribue la cause des maladies aux micro-organismes. En s'appuyant sur ces fondations, d'autres vaccins ont pu être développés au fil des décennies pour mettre un terme au fléau de maladies contagieuses qui ont tourmenté l'humanité comme la rage, la poliomyélite ou la rougeole.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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