Grâce aux archives de la Stasi, l'ex-Allemagne de l'Est renoue avec son passé

Les archives de la Stasi contiennent les dossiers de surveillance montés sur les citoyens de l’Allemagne de l’Est. Leur transfert aux Archives fédérales allemandes permettra de s’assurer que leur rôle clé dans la confrontation avec le passé perdure.

De Emily Schultheis
Publication 5 août 2021, 15:39 CEST
The national emblem of the former GDR stamped on a belt buckle which takes part of ...

L’emblème national de la République démocratique allemande, gravé dans la boucle d’une ceinture qui a autrefois appartenu à un membre du ministère de la Sécurité d’État. Ce service était également connu sous le nom de Staatssicherheitsdienst en allemand, abrégé Stasi.

PHOTOGRAPHIE DE /

BERLIN – Lorsque Siegfried Wittenburg a lu pour la première fois son dossier rédigé par des membres de la Stasi, le service de renseignement de l’Allemagne de l’Est, il ne savait pas réellement à quoi s’attendre. C’était en 1999, dix ans après la chute du mur de Berlin et la réunification allemande. M. Wittenburg, 68 ans et ancien citoyen de l’Allemagne de l’Est, avait passé dix ans à élaborer un rapport détaillé du régime. Parmi les images qu’il a immortalisées, on trouvait des scènes de pauvreté, de pénuries et de protestations, des aspects que le gouvernement de l’Allemagne de l’Est ne voulait pas voir à l’époque. De fait, certaines photographies de M. Wittenburg ont été censurées lors de ses expositions dans les années 1980. Naturellement, il était curieux, mais inquiet, des informations que son dossier pouvait contenir.

« Je l’ai lu comme un roman policier », confie-t-il.

GERMANY-HISTORY-STASI
Germany Stasi- observation screens
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Les dossiers des archives de la Stasi à Berlin. Plus de 110 km de documents sont stockés dans ces archives.

PHOTOGRAPHIE DE Tobias Schwarz, AFP/ Getty Images
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Ces écrans servaient à suivre les moindres déplacements des prisonniers au sein de l’ancienne prison de la Stasi, la Roter Ochse (Bœuf rouge) dans l’État de la Saxe-Anhalt. Aujourd’hui, la prison a été transformée en musée.

PHOTOGRAPHIE DE Schellhorn, ullstein bild/ Getty Images

M. Wittenburg fait partie des sept millions de personnes ayant demandé l’accès aux dossiers des archives de la Stasi depuis leur création en 1991. Ils sont entreposés dans les anciens quartiers généraux de la police secrète situés à Lichtenberg, un quartier de Berlin.

Aujourd’hui, plus de trente ans après la chute du mur de Berlin, les archives de la Stasi ont officiellement cessé d’exister. En juin, les dossiers ont été transférés aux Archives fédérales allemandes, à Berlin. Ces dernières se chargent ensuite de les déléguer vers d’autres établissements des cinq États de l’est de l’Allemagne. Le plus récent directeur des archives de la Stasi, qui a pris sa retraite en juin, aura été le dernier.

Lors de la Révolution pacifique de 1989, les manifestants ont protégé les archives de la Stasi et leurs millions de documents. Ils ont agi de la sorte pour garantir la conservation de l’ensemble des dossiers de surveillance généralisée menée envers les citoyens de la République démocratique allemande de 1949 à 1990. Ces archives ont joué un rôle crucial dans la réconciliation de l’Allemagne de l’Est avec son passé. Leur premier directeur, Joachim Gauck, est par la suite devenu président de la République fédérale d’Allemagne en 2012.

Pour M. Wittenberg, après des années à ignorer qui avait recueilli des informations sur lui ou s’il avait été surveillé de près, de nombreuses réponses à ses questions se sont soudainement trouvées sous ses yeux. Au cours des six heures passées à éplucher son dossier, il est passé par des émotions bien différentes. Parfois, il ne pouvait s’empêcher de rire face aux détails insignifiants contenus dans son dossier, inscrits complètement hors contexte. Une autre fois, les renseignements ont signalé la correspondance qu’il tenait en anglais, mais ont précisé qu’elle était impossible à évaluer en raison du niveau de langue.

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    A uniform from the secret police of the German Democratic Republic

    Un uniforme ayant appartenu à un membre du ministère de la Sécurité d’État de l’Allemagne de l’Est.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy Stock Photo

    En lisant d’autres notes, « mes cheveux se sont dressés sur ma tête », témoigne-t-il. Il était difficile de se rendre compte de l’ampleur même de la surveillance dont M. Wittenburg faisait l’objet. Parmi les personnes qui le surveillaient figuraient un collègue du syndicat auquel il appartenait, son directeur, des connaissances au sein d'organisations culturelles, et, plus surprenant encore, le compagnon de la meilleure amie de sa femme.

    En constatant la quantité d’informations rassemblées et la manière dont elles avaient été recueillies, il a commencé à comprendre qu'il s'était trouvé dans une situation délicate. Il a découvert des preuves attestant que la Stasi avait fouillé son appartement. Il a réalisé l’impact que cela aurait pu avoir sur sa famille. « Un seul pas de travers et je finissais en prison. »

    « Pour ceux appartenant au mouvement démocratique en 1989, il ne faisait aucun doute que les documents soient conservés », a déclaré M. Gauck lors d’une récente cérémonie de commémoration des archives. « Il était plutôt question de la manière dont cette conservation devait être entreprise. Nous voulions mettre en marche le processus politique, juridique et historique visant à confronter [le souvenir] de la dictature. »

    Ces trente dernières années, certaines révélations contenues dans les plus de 110 km de dossiers ont permis l’arrestation ou la démission de certains hauts responsables. D’autres se sont avérées essentielles pour la recherche sur l’histoire de la République démocratique allemande. D’un point de vue plus personnel, les documents ont fourni des informations cruciales et des éléments de réponses aux citoyens surveillés par la Stasi mais également à leurs enfants et leurs petits-enfants.

     

    L’ACCÈS AUX DOSSIERS

    En général, l’accès aux dossiers est réservé aux principaux concernés ainsi qu’aux membres de leur famille proche. Toute personne souhaitant consulter un document doit soumettre une demande. L’existence du dossier doit ensuite être confirmée et la demande approuvée. Cette procédure peut prendre plusieurs mois. Après l’autorisation obtenue, le demandeur doit se rendre à Berlin, ou dans certaines situations, dans l’un des sites annexes des archives situés dans les États de l’Est.

    Surveillance camera footage shown at the DDR Museum in Berlin, Germany
    Surveillance camera footage shown at the DDR Museum in Berlin, Germany
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    Les vidéos des caméras de surveillance enregistrées par la Stasi sont désormais diffusées au musée de la RDA à Berlin.

    Droite: Fond:

    D’autres enregistrements des caméras de surveillance. De 1949 à 1990, la Stasi a entrepris une surveillance globale de ses citoyens.

    Photographies de Dominic Blewett, Alamy Stock Photo

    « Les individus ayant pu consulter les dossiers montés par la Stasi sur eux ont pu obtenir des réponses. Ils ont compris comment la Stasi était intervenue dans leur vie. Ils ont découvert qui était responsable des injustices qu’ils subissaient. Ils ont appris qui étaient ceux qui fournissaient des renseignements sur eux », déclare Roland Jahn, l’ancien directeur des archives, aujourd’hui à la retraite. 

    Stefan Trobisch-Lütge est un psychologue basé à Berlin qui a monté un cabinet destiné à aider les personnes souffrant des conséquences psychologiques de la surveillance menée par la Stasi. Selon lui, l’appui que fournissent les archives aux personnes qui tentent de comprendre le déroulement de leur vie est difficile à estimer. Le stress post-traumatique, l’anxiété, la dépression et le manque de confiance sont des caractéristiques communes chez les patients avec qui il travaille.

    Pour ceux dont les répercussions des expériences vécues ont encore un impact aujourd’hui, les documents contenus dans les archives de la Stasi peuvent à la fois représenter un soulagement et un cauchemar. « Pour certains, c’est la preuve que toute cette situation est bel et bien arrivée et qu’il faut la prendre au sérieux », indique le psychologue. Ils voient ces informations comme la preuve que « ces choses leur sont réellement arrivées. Mais pour d’autres, soit à cause du contenu terrifiant [des dossiers] ou simplement du fait d’avoir à ressasser le passé de nouveau, les documents engendrent un sentiment d’angoisse considérable. »

     

    COMBLER LES MANQUES

    Ces dernières années, de nombreuses demandes d’accès aux archives de la Stasi ont été déposées de la part de personnes plus jeunes, désireuses de combler les manques dans les récits de leurs parents ou leurs grands-parents. Les médias allemands ont souvent mis l’accent sur les aspects négatifs de l’Allemagne de l’Est, au détriment d’un point de vue plus nuancé sur la vie quotidienne et les souvenirs des citoyens de l’époque.

    Human sweat smell samples in glass jars in the stasi museum in East Berlin
    An exhibit in the Stasi Museum, Berlin
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    Des échantillons de tissus, exposés aujourd’hui au musée de la Stasi à Berlin.

    PHOTOGRAPHIE DE Alamy Stock Photo
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    Une caméra espion déguisée en nichoir, exposée au musée de la Stasi.

    PHOTOGRAPHIE DE David Rice, Alamy Stock Photo

    Tilmann Löser avait à peine six ans lors de la chute du mur de Berlin. Il a grandi à Leipzig. Il n’a que peu de souvenirs de la vie en République démocratique allemande. Il sentait tout de même que le sujet semblait tabou.

    « Je ressentais comme un manque de conscience de ma part à propos de l’histoire de ma famille et de l’Allemagne de l’Est », indique-t-il.

    La lecture du dossier sur sa mère élaboré par la Stasi lui a permis de trouver des réponses à ses questionnements d’enfance. Les documents ne révélaient rien de très surprenant. Le dossier n’était pas très fourni et ne documentait que sa correspondance de recherche avec ses collègues en Allemagne de l’Ouest car elle était chimiste.

    Toutefois, ces informations ont permis de faciliter les discussions autour du passé dans la famille. « Au début des années 1990, je pense que mes parents avaient un peu peur d’en parler. Mais maintenant qu’ils sont à la retraite, c’est un bon moment pour reprendre contact et discuter. » Outre que sa fille a aujourd’hui le même âge que lui lorsque le mur est tombé, le dossier a contribué à favoriser la discussion à propos de de cette époque.

    M. Jahn souligne que le changement de statut des archives de la Stasi ne signifie pas pour autant que la confrontation avec le passé de l’Allemagne de l’Est est terminée.

    STASI listening station on display at DDR Museum

    Une reconstruction d’un poste d’écoute de la Stasi au musée de la RDA à Berlin.

    PHOTOGRAPHIE DE Iain Masterton, Alamy Stock Photo

    « C’est tout l’opposé », appuie-t-il. L’un des avantages du déplacement des dossiers aux Archives fédérales allemandes, c’est qu’ils seront numérisés, mieux conservés et disponibles un jour dans plusieurs sites d’archives dans tout le pays. Ces mesures assureront que les dossiers continueront en eux-mêmes à jouer un rôle clé dans la recherche pour les générations futures. « Nous construisons des structures durables pour les générations à venir », assure M. Jahn.

    Afin de prouver son engagement envers la compréhension et l’accompagnement pour remédier aux conséquences négatives du régime de l’Allemagne de l’Est, le gouvernement a nommé Evelyn Zupke, ancienne membre du mouvement d’opposition à l’ancien régime, au poste de Commissaire fédérale pour les Victimes de la dictature du Parti socialiste unifié d’Allemagne.

    En septembre, des élections fédérales se tiendront. Le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne prend de plus en plu d’ampleur dans l’est du pays. Cette région reste donc encore un sujet de débat dans la sphère politique allemande.

    « Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir », affirme M. Jahn. « Il est important que ces changements, ainsi que cette nouvelle localisation, renvoient un message qui témoigne qu’il y a eu une dictature et qu’il faut la prendre en considération. Mais ils doivent également signifier qu’il faut que nous nous éloignions de la focalisation sur la Stasi et que nous indiquons clairement que nous tentons toujours de faire ce qu’il y a de mieux pour les victimes. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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