Les talibans vont-ils de nouveau détruire les précieux trésors culturels de l’Afghanistan ?
Alors que la capitale afghane est tombée aux mains des talibans, les conservateurs s’inquiètent désormais pour l’avenir incertain des dizaines de milliers d’artefacts et pour les sites ancestraux du pays.
Les forces talibanes ont saccagé le musée national afghan début 2001. Ils ont brisé des artefacts comme ce Bouddha, dans les mains du conservateur.
Tout comme l’a fait Alexandre le Grand en 330 av. J.-C., les forces talibanes ont saisi cette semaine les villes stratégiques d’Hérat, de Kandahar ou encore de Kaboul. Ces soudaines victoires ont pris les conservateurs des musées du pays et les archéologues de court. Ils s’empressent de sécuriser les sites et les artefacts encore sous leur responsabilité. Le sort de ceux situés sur les territoires contrôlés par les talibans reste encore incertain.
« Nous ne nous attendions pas à ce que ça arrive si rapidement », déclare Noor Agha Noori, directeur de l’institut d’archéologie d’Afghanistan à Kaboul. Les autorités avaient l’intention d’acheminer les artefacts des villes comme Hérat ou Kandahar dans d’autres lieux pour les sécuriser. Toutefois, la chute brutale du gouvernement afghan ces derniers jours a empêché ces déplacements.
Désormais, les forces talibanes ont saisi Kaboul. La collection des plus de 80 000 artefacts du musée national afghan se voit menacée. « Nous sommes très inquiets quant à la sécurité de notre personnel et de nos collections », déclare Mohammad Fahim Rahimi, directeur du musée.
L’Afghanistan possède un héritage particulièrement riche, notamment pour avoir été un carrefour majeur pendant des millénaires. De là-bas, le bouddhisme s’est propagé jusqu’en Asie, alors que le zoroastrisme, le christianisme, le judaïsme et l’hindouisme prospéraient avant et après l’arrivée de l’islam au 7e siècle apr. J.-C. Artère majeure de la route de la soie, reliant l’Inde à l’Iran et la Chine, l’Afghanistan est truffé de vestiges de sites anciens, de monastères et de caravansérails qui accueillaient les voyageurs, y compris Marco Polo.
Toutefois, les talibans adhèrent à une version fondamentaliste de l’islam qui rejette toutes les représentations des Hommes et des animaux. Ils voient le passé préislamique d’un mauvais œil. Les responsables du patrimoine culturel sont divisés. Ils ne savent pas déterminer si le groupe va de nouveau semer la panique comme il l’a fait en 2001, lorsqu’il a détruit les célèbres Bouddhas de Bâmiyân ainsi que de nombreux objets et statues du musée de Kaboul.
Dans une déclaration en février, les chefs talibans avaient demandé à leurs fidèles de « protéger, surveiller et préserver fermement » les reliques, de mettre un terme aux fouilles sauvages et de préserver « tous les sites historiques ». Ils ont également assuré qu’ils interdiraient la vente de ces artefacts sur le marché de l’art.
Surplombant l’ancienne cité d’Hérat, la citadelle servait de fort, de palace, de trésorerie, de prison, de dépôt d’artillerie et de musée. Elle est désormais aux mains des forces talibanes.
Pourtant, de nombreux experts du patrimoine culturel de l’Afghanistan sont sceptiques. « Ils ont redoré leur image mais ils restent un groupe très idéologique et radical », estime Omar Sharifi, professeur de sciences sociales à l’université américaine d’Afghanistan. Il a fui à Kaboul le 12 août. Il a reçu des menaces directes des membres talibans. D’autres sources afghanes ont ajouté que, dans tout le pays, le personnel en relation avec l’héritage culturel a reçu des messages et des appels de dirigeants talibans, les accusant de travailler pour des organisations internationales.
M. Noori et M. Rahimi ont déclaré avoir été en contact avec leurs collègues dans les villes sous le contrôle taliban. D’après eux, ils sembleraient être en sécurité. Les talibans ont soutenu aux employés d’un niveau inférieur qu’ils conserveraient leur emploi. Seulement, puisque lesdits employés ont été contraints de s’enfermer chez eux, ils n’ont aucun moyen de se tenir informés du statut des sites archéologiques, des musées, ni de leurs artefacts.
« S’ils ont de mauvaises intentions, elles se feront de plus en plus évidentes », assure Cheryl Benard, directrice de l’alliance pour la restauration du patrimoine culturel, basée à Washington D.C. « Actuellement, ils s’occupent des questions de frontières et d’infrastructures. »
Pendant ce temps, les conservateurs de musée à Kaboul redoublent d’efforts pour exporter des objets pour une exposition prévue à Paris. Philippe Marquis, directeur de la Délégation archéologique française en Afghanistan, espère pouvoir revenir à Kaboul prochainement afin de superviser la préparation de ces artefacts à destination de Paris. « La situation est vraiment imprévisible. Les habitants de Kaboul craignent sincèrement les talibans. Mais une guerre rapide faisant peu de victimes est peut-être préférable à l’anarchie. »
Les autorités afghanes n’ont pas souhaité spécifier leur plan concernant la célèbre collection du musée national afghan. « Nous devons conserver ces artefacts mais la question reste de trouver un lieu sûr », soutient une source du gouvernement. « Il n’est pas question que [ces objets] ou le personnel quitte le pays. » Une autre source a ajouté qu’elle est convaincue que les Nations unies feront pression sur les talibans pour qu’ils protègent à la fois les responsables du patrimoine culturel ainsi que les artefacts et les sites anciens.
Les talibans ont d’ores et déjà pris le contrôle de Mes Aynak, un site archéologique aux abords de la capitale abritant l’un des plus anciens et grands monastères bouddhistes d’Asie centrale. Outre les innombrables stupas et statues, on y trouve dix-mille artefacts excavés du site, notamment plus de deux-mille-cinq-cents pièces. Le groupe supervise également le nouveau musée de la citadelle d’Hérat, ainsi que plusieurs autres petites collections à Kandahar, Ghazni et Balkh.
Maintenant que Kaboul est passée sous le contrôle des talibans, le sort de ses musées reste à déterminer. « Les talibans me connaissent et ce n’est pas une pensée rassurante pour moi et ma famille », regrette un expert du patrimoine culturel. Il ajoute que la ville tout entière est remplie de réfugiés. « Et pourtant, aucun visa ne peut être obtenu. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.