Nagasaki n'était pas la première cible du bombardement atomique américain

De Amy Briggs
Publication 9 août 2021, 09:00 CEST
Deux camphriers gardent l'entrée du Sannō-Jinja, un sanctuaire situé à 900 m du site de bombardement atomique ...

Deux camphriers gardent l'entrée du Sannō-Jinja, un sanctuaire situé à 900 m du site de bombardement atomique sur Nagasaki. La chaleur et les débris de l'explosion ont dépouillé l'arbre de ses feuilles et fendu le tronc en deux. Considérés morts à l'époque, de nouveaux bourgeons avaient émergé de leurs branches écorchées dans les mois suivant le cataclysme. Aujourd'hui, les arbres se dressent tels des monuments naturels et vivants à la mémoire du bombardement.

PHOTOGRAPHIE DE Hiroki Kobayashi

Il y a 78 ans, à 11h02 le matin du 9 août 1945, une bombe nucléaire était larguée sur la ville japonaise de Nagasaki. À cet instant précis, Kazumi Yamada, jeune livreur de journaux alors âgé de 12 ans, finissait sa tournée et s'apprêtait à rentrer chez lui. Plus tôt ce matin-là, ses amis étaient allés nager dans un trou d'eau voisin, mais Yamada avait du travail et ne s'était pas joint à eux. Il a survécu au bombardement de Nagasaki ; ses amis sont morts de leurs blessures peu de temps après.

Un choix aussi banal, nager avec ses amis ou livrer des journaux, ne relève en rien d'une décision de vie ou de mort et pourtant, ce jour-là, c'en était une. Les témoignages du 9 août 1945 à Nagasaki regorgent d'histoires similaires, de vies épargnées de justesse, de coups du sort ayant entraîné la destruction d'un port japonais qui a failli ne jamais être le site de la seconde et dernière attaque nucléaire de l'histoire de l'humanité.

Les aiguilles de cette montre de poche retrouvée à Nagasaki sont restées figées à 11 h 02 du matin, l'heure de l'explosion nucléaire à Nagasaki le 9 août 1945.

PHOTOGRAPHIE DE Hiroki Kobayashi

CHOIX DE LA CIBLE

Au printemps 1945, l'armée des États-Unis étudiait plusieurs cibles pour le premier déploiement de la bombe atomique à l'été de la même année. Entre avril et juin, les chefs militaires avaient dressé une longue liste des villes japonaises satisfaisant trois critères : premièrement, la taille, plus de 5 km de diamètre avec une population conséquente ; deuxièmement, une « valeur stratégique élevée », motivée par la présence d'installations militaires ; et troisièmement, elles devaient avoir échappé à la série de bombardements incendiaires menée par les États-Unis dès le mois de mars 1945.

Parmi la poignée de villes qui remplissaient ces critères figuraient Kyoto, Hiroshima, Kokura et Niigata. Fin mai 1945, ces villes étaient devenues les finalistes de cette triste liste, avec Kyoto et Hiroshima comme cibles prioritaires. Les B-29 américains avaient pour ordre de ne pas larguer de bombes incendiaires sur ces deux zones et pour cause, une ville intacte serait une bien meilleure démonstration de la puissance destructrice des bombes atomiques.

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    Un champignon atomique flotte encore dans le ciel de Nagasaki 15 minutes après l'explosion de la bombe atomique.

    PHOTOGRAPHIE DE Prisma Bildagentur, Universal Images Group, Getty

    VILLE PORTUAIRE

    Nagasaki est nichée entre les montagnes sur la côte ouest de Kyushu, l'une des cinq îles principales du Japon. C'est l'une des plus anciennes villes portuaires japonaises et l'une des premières à s'être ouverte au commerce avec l'Occident. Les marchands et missionnaires portugais y ont afflué dès le 16e siècle avec l'espoir d'introduire le catholicisme dans la ville. La religion y est devenue populaire malgré l'opposition exprimée par l'empereur à travers l'expulsion des missionnaires étrangers et la persécution des catholiques locaux. Les fidèles de Nagasaki ont continué à pratiquer leur culte en secret et ce n'est qu'au 19e siècle avec l'ouverture totale du Japon à l'Occident qu'ils ont pu revendiquer publiquement leur foi.

    Forte de la qualité de ses infrastructures portuaires et de son histoire de port ouvert sur le monde, Nagasaki a développé une solide industrie de construction navale et s'est transformée en un centre commercial florissant. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la ville fabriquait des armes pour l'armée japonaise. Deux usines de munitions y étaient installées : la Mitsubishi Steel and Arms Works et la Mitsubishi-Urakami Torpedo Works.

    Malgré la présence d'installations militaires, Nagasaki ne figurait pas sur la liste finale des villes cibles retenues par les États-Unis au mois de mai 1945. Elle apparaissait en revanche sur une liste du mois d'avril mais avait ensuite été écartée. La géographie vallonnée de la ville et la présence d'un camp de prisonniers de guerre en faisaient une cible moins idéale pour la bombe atomique. De plus, les autorités américaines disposaient déjà de quatre villes répondant à leurs exigences.

    Surnommée « Fat Man », la bombe larguée sur Nagasaki a terrassé la majorité des habitations en bois, ne laissant derrière elle qu'une poignée de bâtiments en béton, endommagés mais debout. La topographie vallonnée de Nagasaki a largement contribué à contenir la force destructrice de la bombe sur une surface de 5 km².

    PHOTOGRAPHIE DE Bridgeman Images

    DERNIÈRE SUR LA LISTE

    Puis, au mois de juin, le sort de Nagasaki bascula. Le Secrétaire à la Guerre des États-Unis, Henry Stimson, souhaitait que Kyoto soit retirée de la liste au motif que la ville jouissait d'une importance culturelle bien trop grande aux yeux des Japonais pour être détruite. Pour certains, ce serait plutôt son affection personnelle pour la ville qu'il avait visitée dans les années 1920 et où il aurait passé sa lune de miel qui l'aurait poussé à demander son retrait de la liste auprès du président Harry Truman.

    Sa remplaçante ne fut sélectionnée que la veille de l'émission des ordres officiels de frappe. Le 24 juillet 1945, la note manuscrite « and Nagasaki », « et Nagasaki », apparaît sur une ébauche de l'ordre de frappe. La ville fut officiellement ajoutée à la liste le 25 juillet, en quatrième position, tout en bas.

    Le flash thermique généré par la bombe a atteint la moitié de la température de surface du Soleil. Les objets situés à proximité du point de déflagration ont été instantanément incinérés. Les bouteilles en verre et les diapositives de l'université voisine ont fondu sous ces températures extrêmes.

    PHOTOGRAPHIE DE Hiroki Kobayashi

    9 AOÛT 1945

    Plutôt que de se fier au radar, les bombes atomiques devaient être larguées visuellement et le ciel devait donc être dégagé. Après le bombardement d'Hiroshima le 6 août 1945, les États-Unis avaient programmé la prochaine attaque au 10 août, mais les prévisions faisaient état d'une météo nuageuse, ce qui les força à agir rapidement. Ils avancèrent l'attaque au 9 août, assemblèrent à la hâte la bombe au plutonium « Fat Man » avant de la charger sur le bombardier B-29 Bockscar. La mission décolla de l'île Tinian à 3 h 47 du matin à destination de Kokura, la cible escomptée.

    Également située sur l'île de Kyushu, Kokura avait été sélectionnée, car elle abritait l'immense arsenal de l'Armée impériale japonaise. Bockscar arriva sur Kokura vers 10 h du matin, mais la visibilité sur la ville était faible. À la recherche d'une fenêtre d'attaque à travers les nuages, le bombardier fit trois fois le tour de la ville sans jamais apercevoir clairement Kokura. Vers 10 h 45, l'équipe abandonna Kokura et mit le cap au sud vers Nagasaki.

    Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, une usine d'armement locale, Mitsubishi Heavy Industries, avait creusé six tunnels sous la montagne afin de fabriquer des torpilles à l'abri des raids aériens américains. Lorsque la bombe atomique explosa à moins de trois kilomètres de là, l'usine se transforma en refuge pour les ouvriers venus se protéger de la déflagration dans les tunnels. Les jours suivants, ces spécialistes des torpilles étaient les seuls services d'urgence et transportaient les blessés jusqu'aux trains d'évacuation.

    PHOTOGRAPHIE DE Hiroki Kobayashi

    Le 9 août, alors que Kazumi Yamada rentrait chez lui après sa tournée, Matsuyoshi Ikeda était avec ses camarades dans leur école primaire, et Sachiko Matsuo s'était réfugiée avec sa famille en dehors de la ville. Plus tôt dans la semaine, son père avait évacué la famille, car il était convaincu qu'une attaque américaine allait se produire. Sachiko et certains membres de sa famille commençaient à s'impatienter dans les collines et voulaient rentrer chez eux, mais le matin leur père avait insisté pour qu'ils restent avant de regagner lui-même la ville pour travailler.

    À 11 h 02, leur matinée fut interrompue par une lumière aveuglante qui inonda le ciel. La bombe au plutonium larguée par les États-Unis venait de libérer plus de 21 kilotonnes de puissance, une puissance monstrueuse qui avait foudroyé Nagasaki et tué pas moins de 70 000 personnes instantanément. Ikeda était l'un des 47 survivants de son école élémentaire ; 1 400 élèves furent tués et 50 autres portés disparus.

    Ce monument se dresse devant l'école élémentaire de Shiroyama en mémoire des 1 450 élèves perdus dans l'explosion. De nos jours, des milliers d'élèves en provenance du Japon tout entier se rendent à cet endroit pour connaître l'histoire du bombardement de Nagasaki.

    PHOTOGRAPHIE DE Hiroki Kobayashi

    Des milliers de personnes allaient trouver la mort dans les jours et semaines qui suivirent, du fait de leurs blessures ou des ravages de l'empoisonnement aux radiations. Le père de Matsuo était l'un d'eux ; elle assista à la perte de ses cheveux et au dépérissement de son corps. Il mourut une semaine après l'attaque.

    Les collines qui entourent Nagasaki ont fortement freiné la furie de la bombe en limitant notamment la destruction physique des villages voisins dans la vallée. Les cibles militaires ont été endommagées et détruites, mais les zones civiles proches de l'hypocentre ont été réduites à néant : la bombe a littéralement consumé les habitations, les hôpitaux, les universités, les écoles et des lieux sacrés comme le sanctuaire Sannō ou la cathédrale d'Urakami, une église catholique.

     

    RÉSILIENCE

    Au cours des 75 années qui nous séparent de l'attaque, Nagasaki a été reconstruite et s'impose de nouveau comme un port florissant. La ville est constellée de monuments érigés en mémoire des disparus du 9 août 1945. Devant l'école primaire de Shiroyama, une plaque porte les noms des camarades de Matsuyoshi Ikeda emportés par la bombe.

    Descendante des Japonais catholiques contraints de vivre leur foi dans le secret, Sachiko Matsuo témoignera plus tard de l'effroyable douleur provoquée par la destruction de la ville et de la cathédrale d'Urakami, située à 500 m à peine de l'hypocentre. Aujourd'hui, ce lieu de culte a été reconstruit et des messes y sont dites en l'honneur des défunts du 9 août 1945.

    Le neuvième jour de chaque mois, les fidèles sont conviés à une messe en la cathédrale d'Urakami pour prier en mémoire des victimes de la bombe atomique. La bombe a explosé au cœur de la communauté catholique dans le quartier d'Urakami.

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    Situé à environ 800 m de l'hypocentre, le Sannō-Jinja a été réduit en cendre par l'explosion. Fendus et noircis par le feu, les arbres qui l'entouraient ont dans un premier temps été considérés comme perdus, mais quelques années après le bombardement, de nouvelles pousses sont apparues. Aujourd'hui, ces camphriers ont une vie prospère, en témoignent leur épaisse canopée, leurs feuilles verdoyantes et leurs branches tortueuses.

    C'est à des facteurs aussi volatils que la météo ou le lieu de vacances du Secrétaire à la Guerre des États-Unis que Nagasaki et ses habitants doivent leur destin tragique. C'est à des choix sur lesquels ils n'avaient aucun contrôle que les survivants aux attaques nucléaires doivent la vie truffée d'obstacles qu'ils ont dû affronter.

    Quoi qu'il en soit, depuis cette journée du mois d'août 1945, la vie des hibakusha n'a été guidée que par leurs propres décisions. À l'instar des camphriers qui bordent le sanctuaire Sannō, ils sont revenus à la vie ces 75 dernières années pour raconter leur histoire. Tout comme les arbres, les survivants sont un exemple vivant des atrocités de la guerre et du pouvoir de la résilience.

    Amy Briggs est la rédactrice en chef du magazine National Geographic History et coanimatrice du podcast Overheard at National Geographic.

    Hiroki Kobayashi est un photographe basé à Tokyo qui s'intéresse principalement aux enjeux culturels et contribue régulièrement au magazine National Geographic.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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