« Je suis terrée chez des amis» : la panique des LGBTQ+ afghans face au retour des talibans
Avant l’arrivée des talibans au pouvoir, les personnes LGBTQ+ risquaient la prison. Aujourd’hui, si les talibans les trouvent, elles seront condamnées à mort. Nombreuses sont celles qui tentent de fuir, mais la route de l’exil s’annonce difficile.
Avant l’arrivée des Talibans au pouvoir, les personnes LGBT+ risquaient la prison. Aujourd’hui, si les Talibans les trouvent, elles seront condamnées à mort.
Les messages arrivent au compte-goutte, rythmés par une connexion Internet vacillante. Marwa*, jeune femme lesbienne, témoigne depuis une province du nord de l’Afghanistan. Depuis la chute du pays aujourd'hui aux mains des talibans, la vie de cette Afghane a changé. « Je suis terrée chez des amis, inquiète et terrifiée. Des membres de ma famille se sont joints aux talibans, et ils vont les aider à me trouver. Je change de lieu de vie régulièrement, pour éviter qu’ils me repèrent et qu’ils me tuent, mais ma situation est précaire. J’ai peur aussi qu’ils tuent les amis qui m’hébergent. La semaine dernière, ils ont déjà fouillé l’ancien appartement où je me cachais » écrit-elle.
Car appartenir à la communauté LGBTQ+ sous le règne des talibans condamne à mort. « La charia étant la loi suprême, l’exécution de ces personnes relève de l’évidence pour les talibans » souligne Karim Pakzad, chercheur associé à l'IRIS (Institut de Recherches Internationales et Stratégiques) spécialiste de l’Afghanistan. Les seules divergences portent sur les modalités de mises à mort, entre la lapidation, l’écrasement par un mur ou l’exécution par les armes.
Cette situation dramatique s’inscrit dans un continuum de violence envers les LGBTQ+ en Afghanistan. Lors du régime démocratique qui a précédé le nouveau règne des talibans, l’homosexualité était aussi considérée comme un crime. Les personnes concernées risquaient alors la prison. De nombreuses familles rejetaient leurs membres appartenant à la communauté LGBTQ+. « La police pouvait interpeller des personnes gays ou lesbiennes. Donc je cachais mon identité sexuelle aussi à l’époque. Mais au moins je pouvais sortir de chez moi, voir des amis et m’amuser » affirme ainsi Marwa.
« LES TALIBANS NOUS SONT TOMBÉS DESSUS »
Une époque révolue. « Aujourd’hui, les talibans ont des groupes spécifiquement dédiés à cette chasse aux LGBTQ+ » affirme Faraz*. Ce jeune homme homosexuel vit l’équivalent d’un confinement – l’ennui terrible de rester des journées entières sans sortir – doublé d’une peur panique : celle d’une mort certaine. Il n’avait confié à personne son homosexualité. Cela ne l’a pas empêché d’échapper de justesse aux griffes des talibans.
« Certaines personnes nous ont dénoncés, mon compagnon et moi. Je ne sais pas ce qui leur a mis la puce à l’oreille. Peut être nous avaient-ils surpris dans un moment d’intimité quand nous sortions encore de chez nous, avant les talibans, ou bien à cause de notre allure...Toujours est-il qu’un jour en allant au marché tous les deux – sans montrer la nature de notre relation – les talibans nous sont tombés dessus. Ils étaient dissimulés dans la foule. J’ai pu m’enfuir, mais mon copain s’est fait battre violemment avant de réussir à s’échapper lui aussi. J’ai eu vent de plusieurs personnes déjà tuées parce qu'elles étaient homosexuelles » témoigne-t-il.
DES FOUILLES DE TÉLÉPHONES PORTABLES
Face à une telle brutalité, difficile de savoir combien de personnes LGBTQ+ se cachent à l’heure actuelle en Afghanistan. « Des dizaines de milliers ont besoin d’aide de manière urgente » estime Nemat Sadat, figure de proue du mouvement pour les droits des personnes LGBTQ+ et romancier afghan exilé aux Etats-Unis.
Ce bégaiement de l’histoire - les talibans ont été au pouvoir de 1996 à 2001 en Afghanistan - épouse tout de même les particularités de son époque. « Les talibans exigent de fouiller le contenu des téléphones portables. Ils surveillent la présence d’images ou de messages qui peuvent laisser penser qu’une personne appartient à la communauté LGBT+. Je conseille à tout le monde d’effacer régulièrement leurs données » indique Artemis Akbakry, animateur d’une émission de radio spécialisée sur les questions LGBTQ+ et diffusée vers l’Afghanistan depuis la Turquie.
DES MESSAGES DE DÉTRESSE
Effacer les traces et brouiller les pistes : c’est l’une des préoccupations quotidiennes des personnes LGBTQ+ en Afghanistan. D’autant plus que ceux qui dénoncent les personnes LGBTQ+ sont bien vus des talibans.
L’autre urgence, c’est celle de fuir. « Je vais tenter de quitter le pays dès que possible » écrit Marwa. « Pour cela, je me suis mariée avec un ami homosexuel, deux jours après la chute de Kaboul. Simplement pour les documents – nous n’avons rien célébré ! Avec ces papiers, plus ma burqa, je peux espérer sortir du pays en compagnie de mon nouveau mari, vers l’Iran ou le Pakistan. Mais il faut encore que je trouve quelqu’un pour nous y conduire » poursuit-elle. Faraz, lui, compte sur l’aide de Nemat Sadat. L’écrivain et militant afghan cherche désespérément une solution pour les plus de 400 personnes LGBTQ+ rentrées en contact avec lui. Parmi elles, certains activistes n’ont pas pu bénéficier d’un pont aérien, alors que leurs noms étaient inscrits sur des listes les identifiant comme prioritaires pour l’évacuation.
La faute à la panique et au désordre qui ont caractérisé ces évacuations du mois d’août. « Beaucoup m’écrivent pour me dire que je suis leur dernier espoir. Je ne les abandonnerai pas » souffle l’écrivain. Quitte à voir son quotidien rythmé par des messages paniqués qui arrivent jour et nuit.
Pour l’instant, la France n’a pas annoncé de nouvelles évacuations, après celles d’août et une autre mi-septembre. « Nous n’avons pas d’informations à communiquer sur le sujet » fait savoir le Ministère des Affaires étrangères. Sans annonces de pont aérien, ni pour beaucoup l’espoir de figurer sur les listes de personnes à évacuer, certains envisagent donc de fuir sans assistance.
« Une possibilité pour les personnes LGBTQ+ qui veulent venir en France pourrait être de demander un visa au titre de l’asile dans les ambassades françaises. Mais cela impliquerait de se rendre par leurs propres moyens dans les pays voisins. C’est un voyage dangereux et compliqué sans garantie de résultat : les visas sont délivrés au compte-goutte » explique Hélène Soupios-David, directrice des plaidoyers pour l’association France Terre d’Asile.
L'ÉPREUVE DE L'EXIL
Car après la terreur, viennent les difficultés de l’exil et des demandes d’asile. Pour résider en France légalement, les personnes LGBTQ+ afghanes devront convaincre l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) de leur appartenance à la communauté LGBTQ+, afin d’obtenir le statut de réfugié au titre de la Convention de Genève. Une épreuve supplémentaire pour des gens qui ont passé leur vie entière à dissimuler leur identité. L’étape clé de ce processus : le récit de vie, déroulé au cours d’un entretien.
« C’est une étape difficile car beaucoup d’Afghans sont toujours dans le tabou, y compris en France » souligne Eric Lejeune, membre de l’Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour (ARDHIS). Ce dernier a accompagné une vingtaine d’Afghans LGBTQ+ rejetés et brutalisés par leurs familles qui demandaient l’asile avant même l’arrivée des talibans. « Nous préparons ceux qui viennent à l’ARDHIS à ces entretiens avec l’OFPRA. Nous leur apprenons à parler de leur sexualité. Nous le ferons aussi avec les personnes qui vont très vraisemblablement arriver suite à la prise de pouvoir par les talibans. Il y a toujours des réticences à parler, car ils ont extrêmement peur que d’autres Afghans, même en France, découvrent leur homosexualité. Dans les foyers d’hébergement , il est arrivé que des Afghans LGBTQ+ soient insultés ou agressés par des compatriotes homophobes ».
Pour l’instant, les personnes LGBTQ+ voulant fuir les talibans n’en sont pas à ces étapes-là. Longue est encore la route qui reste à parcourir pour assurer leur survie.
Toujours coincés à l’intérieur d’un pays qui veut leur mort, les Afghans LGBTQ+ oscillent entre le désespoir et les rêves d’une vie meilleure à l’étranger. Marwa, en pianotant sur le clavier tactile de son smartphone, veut y croire. Elle répond aux journalistes comme on lance une bouteille à la mer. « Les médias sont le seul moyen de porter notre voix. J’espère que le monde nous entendra ».
*Les prénoms des témoins ont été modifiés pour assurer leur sécurité.