Un nouveau tronçon de la Voie Domitienne vient d'être dévoilé
La célèbre route antique qui traversait le sud de la Gaule, du Rhône aux Pyrénées, se révèle sous un nouveau jour dans l’Hérault.
Situation du chantier dans les garrigues des collines de la Mourre, commune de Loupian.
Sous la garrigue reposait la voie antique. C'est au milieu de collines tapissées de chênes verts, dans la campagne environnant Loupian, dans l'Hérault, que des archéologues de l'INRAP ont exhumés l'un des plus longs tronçons connus de la Via Domitia. Cette voie antique a été la première que les Romains ont aménagée en Gaule. Des grands travaux menés entre la fin du 2e siècle et le début 1er siècle avant notre ère pour relier le Rhône et l'Espagne. À la manoeuvre, Domitius Ahenobarbus, proconsul et fondateur de la colonie de Narbonne, a légué son nom à la route.
Les vestiges ont été découverts à la faveur d'un projet d'enfouissement d'une canalisation d'eau. Des sondages préalables en ont repéré les premières traces, avant que des fouilles de l'INRAP ne confirment qu'elles appartenaient bien à la célèbre chaussée. « On supposait qu'elle avait pu passer dans le massif, mais son tracé n'était pas très bien attesté dans cette zone. Elle aurait aussi pu longer le littoral », note Cécile Jung, archéologue à l'INRAP qui a dirigé le chantier de fouilles. Celui-ci a permis de mettre au jour un vaste tronçon de 100 mètres de long sur 18 mètres de large, témoignant de l'inscription monumentale de cette voie dans le paysage.
La découverte apporte un éclairage inédit sur la Voie Domitienne. Son tracé général est connu grâce à la Table de Peutinger, une copie médiévale d'une carte antique figurant les principaux itinéraires du monde romain, et grâce aux gobelets de Vicarello, qui recensent les grandes étapes de la Via Domitia et les distances les séparant. Il est aussi parfois encore préservé sur certaines portions, entre Narbonne et le Rhône, où de petits chemins vicinaux épousent des pans de l’antique parcours.
Photographie zénithale des recherches archéologiques menées sur la Voie Domitienne.
Recherche des objets métalliques sur l’un des bas-côtés de la voie.
Mais les vestiges qui matérialisent encore la Via Domitia dans le paysage restent très ponctuels. Ils sont composés principalement de modestes sections en contexte urbain, comme à Narbonne, où un tronçon de quelques mètres figure devant la cathédrale, ou près d'anciennes stations routières, des relais d'étape où les voyageurs pouvaient changer de chevaux et passer la nuit.
Outre l’intérêt de leur localisation en pleine campagne, les vestiges exhumés à Loupian sont aussi remarquablement préservés. « On a la chance d'être dans un secteur de la Voie Domitienne qui a peu été mis en culture par la suite, donc peu détruit par les travaux agricoles pendant 2000 ans. Les vestiges étaient quasi sous nos pieds. À certains endroits, on a travaillé presque à même le sol, explique Cécile Jung. Leur très bonne conservation nous a permis de voir l'emprise très conséquente de l'ouvrage sur le paysage, que l’on n’arrive pas forcément à percevoir ailleurs. »
La portion de voie mise au jour se compose de trois parties. Une chaussée centrale d'au moins 6 mètres de large, constituée de galets et d'éclats de calcaire et deux chaussées latérales un peu moins bien aménagées. « Elles ont l'air d'être des bas-côtés, mais elles étaient très utilisées. On a retrouvé beaucoup de clous et d'éléments de charrettes et d’harnachement sur ces bandes latérales, ainsi que des traces d’ornières qui attestent du trafic qui existait sur ces zones-là. »
Vue en plan d’un des états du bas-côté nord (niveau sableux) avec les traces linéaires des ornières qui marquent le passage de charrois. Partie droite, aménagement de la voie centrale avec le remblai de pierres soutenant la chaussée constituée de blocs calcaires concassés et compactés. Ils sont maintenus par des murets latéraux.
Vue aérienne du décapage de la voie Domitienne, avec au centre la voie principale délimitée par des murets, et de part et d’autre les chaussées secondaires.
Pourquoi les bords de la Via Domitia étaient-ils si larges et si fréquentés ? « Nous n’avons pas de réponse certaine. Le faisceau central devait être réservé au départ aux troupes, aux officiels et au cursus publicus (le service acheminant les informations de l’État, ndlr). Les marchands devaient certainement emprunter aussi la chaussée centrale, mais également se mettre sur les côtés s’il y avait un passage officiel. » Et faire place, en particulier, au passage des légions. Car la Voie Domitienne avait d’abord une raison d’être militaire. Instrument de contrôle du territoire, elle avait été aménagée pour asseoir la domination romaine sur les terres fraîchement conquises de la Gaule transalpine et de l’Hispanie.
Sous l’Empire, elle demeura l’un des chaînons de l’immense réseau routier qui permettait de gouverner le monde romain. Après sa chute, elle resta encore un axe de premier plan jusqu’à l’époque carolingienne, avant de tomber en désuétude, victime de l’essor de nouveaux centres de population et de pouvoir.