Iran : retour sur l'évolution de la condition féminine

Les femmes iraniennes sont à la fois emblèmes, actrices et victimes des évolutions sociales d'un pays à l'histoire tourmentée.

De Lou Chabani
Publication 4 nov. 2022, 19:46 CET
Dès la fin de la révolution islamique et avant même l'instauration officielle du régime, les femmes ...

Dès la fin de la révolution islamique et avant même l'instauration officielle du régime, les femmes d'Iran sont descendues en masses dans les rues de Téhéran le 8 mars 1979, pour protester contre l'obligation de porter le hijab, déclarée par l'ayatollah Khomeini.

Photographie d'époque fournie par Dr. Manhaz Shirali

Fonctionnant depuis près de quarante ans sous un régime théocratique connu pour sa poigne de fer et ses idéaux patriarcaux marqués, l’Iran est aujourd’hui touché par d’intenses mouvements de révolte, suite au décès de Mahsa Amini (Zhina, de son prénom kurde utilisé par sa famille et ses amis proches). Cette jeune femme de 22 ans, arrêtée par la police des mœurs pour mauvais port de son hijab en septembre dernier, a tragiquement trouvé la mort dans des conditions floues au cours de sa détention. Ce drame, malheureusement loin d’être isolé, s’ajoute à la liste de nombreux autres dans un pays où la place des femmes est souvent rediscutée par les lois religieuses en place : une situation épineuse qui a connu une évolution chaotique depuis la révolution iranienne de 1979.

 

LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION ISLAMIQUE

« "Le Shah veut faire de vos filles des prostituées" : c’est avec ce discours que l’ayatollah Khomeini est arrivé au pouvoir », se souvient la docteure Mahnaz Shirali, sociologue et politologue iranienne, professeure à Sciences Po Paris. « La société iranienne de l’époque était encore très traditionaliste et ils [tombèrent] dans le piège. »

Aux origines de ce discours se trouvent pourtant des avancées particulièrement modernes, apportées par la Révolution blanche, aussi appelée la Révolution du Roi. Loin d’un soulèvement populaire, il s’agit en réalité d’une série de mesures avant-gardistes portée par le Shah Mohammad Reza Pahlavi dans l’objectif de moderniser l’Iran et sa société.

Parmi ces réformes, on retrouve nombre de mesures économiques ambitieuses, mais surtout une évolution importante des droits des femmes. « Il leur [donna] le droit de vote, leur [ouvrit] les portes des universités […] et des postes ministériels », explique Mahnaz Shirali. « [Le Shah modernisa] le pays et [cela provoqua] la rage des religieux, qui ne lui [pardonnèrent jamais] de leur avoir accordé le droit de vote. C’était le sujet qui fâchait le plus [l’ayatollah Kohmeini]. »

Malgré ces avancées, l’Iran connut par la suite une révolution d’un autre genre, lors de la prise de pouvoir du parti islamiste en 1979. Cette révolte, portée par un fort investissement populaire, fut notamment appuyée et permise par la nature encore conservatrice de la société iranienne. « [L’ayatollah Kohmeini construisit] tout un discours autour des femmes […], les religieux [travaillèrent beaucoup] dessus, et [développèrent] finalement une véritable peur », déplore la sociologue et politologue. « Il y avait des hommes qui étaient royalistes, antireligieux, mais qui étaient contents quand Khomeini [imposa] le voile. Ils disaient que la pudeur était revenue dans le pays. […] Ils étaient très modernes, allaient aux États-Unis, mais ils avaient toujours ces idées arriérées. »

Cette fracture s’observait également entre les femmes elles-mêmes, partagées entre traditions et avancées sociales ; de nombreuses femmes se trouvaient ainsi au sein des manifestations antiroyalistes.

Appelées en 1978 par l’ayatollah lui-même, ce furent alors les femmes des classes sociales les plus basses qui descendirent dans les rues. Originaires de milieux plus ruraux, des milliers de manifestantes se joignirent au soulèvement révolutionnaire, avec notamment des religieuses traditionalistes, pour lesquelles sortir du foyer sans être accompagnée d’un mari ou d’un père semblait jusqu’alors impensable.

À l’issue de ces soulèvements et avec la mise en place de l’État islamique, la place de la femme se trouva à nouveau régie par la charia, sécularisée pendant la Révolution blanche.

Les hautes fonctions politiques leur furent retirées, le port du voile rendu obligatoire, et leur statut réduit à celui de simple propriété du chef de famille, mari ou père. Le droit de vote, qui avait tant scandalisé les traditionalistes, ne leur fut cependant jamais enlevé.

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    PHOTOGRAPHIE DE Alamy Stock Photos

     

    UNE ÉVOLUTION EN DENTS DE SCIE

    En mars 1979, soit un mois après la fin de la Révolution et avant même l’institution officielle de la République islamique, des milliers de femmes sortirent protester dans les rues de Téhéran. « Quand [les religieux chiites vinrent] en Iran et qu’ils [prirent] le pouvoir, ils voulaient asseoir le régime politique dans un pays qui était déjà moderne », explique Manhaz Shirali. « Ils [utilisèrent] la femme comme bouc émissaire. C’était la première étape de l’installation d’une domination religieuse. En assujettissant les femmes, ils [purent] le faire avec les hommes et l’ensemble de la société. »

    En effet, la religion et l’aliénation des pays étrangers devinrent par la suite des arguments majeurs pour le régime iranien, malgré une situation économique et géopolitique périlleuse. Les relations de plus en plus tendues du pays avec le reste de la communauté internationale aboutirent ainsi à plusieurs sanctions économiques et à une limitation des échanges commerciaux avec le monde occidental.

    En parallèle, le pays se retrouva également opposé à l’Irak pendant près de sept ans : un conflit extrêmement rude pour l’Iran, d’autant plus après la perte de 60 % de ses forces militaires pendant la Révolution, soit par désertion, soit lors des purges khomeinistes organisées pour punir la neutralité de l’armée au court de la Révolution islamiste. Pour tenir le coup face aux forces de Saddam Hussein, le Corps des Gardiens de la Révolution islamique compta alors sur un intense culte du martyr pour approvisionner ses effectifs, principalement chez les jeunes Iraniens.

    Cette période, particulièrement sombre pour l’Iran, se stabilisa en 1988, à la suite de la fin du conflit irano-irakien, qui ne vit la victoire d’aucun des deux camps. La nécessité de reconstruction et la mort de Khomeini l’année suivante permirent alors un début d’évolution du statut des Iraniennes.

    Bien que le port du tchador fût toujours obligatoire, l’accès aux études supérieures et aux filières médicales fut à nouveau permis à partir de 1992, grâce à l’intervention du nouveau Bureau des affaires des femmes. En 1997, durant le mandat de Mohammad Khatami, chef d'État modéré et réformateur, le nombre de femmes dans les filières universitaires augmenta de plus en plus. Néanmoins, malgré ces progrès, la situation reste très complexe, et la pression traditionaliste extrêmement forte.

    Ségréguées dans les transports en commun, toujours sujettes à la peine de mort en cas de légitime défense ou d’adultère, la place des femmes dans le monde politique est également très discutable. « Les femmes présentes dans le gouvernement sont très rares, de l’ordre de 2 % », indique Shirali. « [Elles] sont défenseuses du patriarcat religieux [...] et surtout, [elles ont été placées là] à titre décoratif, afin que la République islamique donne le change au monde libre. »

    Du 7 au 13 mars 1979, dans plusieurs villes d'Iran, des manifestations presque exclusivement féminines envahissent les rues ...

    Du 7 au 13 mars 1979, dans plusieurs villes d'Iran, des manifestations presque exclusivement féminines envahissent les rues en protestation contre l'obligation de port du tchador, mais aussi contre le recul brutal de la condition féminine. Éloignées des sphères politiques et universitaires, les femmes iraniennes sont réduites au rang de femmes-épouses et de simples propriétés de leurs époux.

    Photographie d'époque fournie par Dr. Manhaz Shirali

     

    LA LUMIÈRE AU BOUT DU TUNNEL ?

    Si les répressions violentes du gouvernement islamique ont permis le maintien d’un contrôle strict sur le peuple iranien, les soulèvements de ces dernières semaines viennent ébranler cette emprise. « L’Iran est une chose. La République islamique en est une autre », déclare Manhaz Shirali. « Les femmes sont solidaires au sein des mouvements actuels […], même les femmes religieuses sortent dans la rue pour défendre [celles qui sont] non voilées. C’est du jamais vu en Iran. [...] Nous avions de très mauvais souvenirs du comportement des femmes religieuses. »

    Ce changement de mentalité s’observe également chez les hommes iraniens : minoritaires dans les manifestations anti-tchador de 1979, ils constituent à présent une part non négligeable des cortèges de manifestants. « L’économie du pays s’est effondrée, et [les hommes iraniens] ont vu, pendant des années […], les humiliations que les femmes subissaient », poursuit la sociologue. « Ils ont fait la liaison entre l’humiliation, le mépris et la violence qu’ont subi les femmes. Ils ont compris qu’une société qui humilie ses femmes humilie ses hommes aussi. »

    Privés d’avenir dans un pays au taux de chômage de 9 % et au niveau de vie resté inférieur à celui précédant la Révolution, les hommes iraniens ont également de nombreuses demandes face à un discours religieux qui semble atteindre ses limites. « Ils ont compris que la voie royale pour sortir de la République islamique passe par la libération des femmes », conclut Mahnaz Shirali. « Aujourd’hui, ils soutiennent les femmes et sont solidaires, et ce n’est pas par charité. Ils savent que leur sort est lié à celui des femmes, alors ils défendent [leur] liberté pour se débarrasser du régime en place. »

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