L'esclavage, un fléau toujours d'actualité
Selon un rapport de l'ONU, les minorités sont les premières victimes des formes contemporaines d'asservissement.
CHINE, décembre 2010, dans la province autonome du Xinjiang, un ouvrier ouïghour prépare des canaux d'irrigation pour une plantation de coton qui appartient à un investisseur chinois.
Esclavage. Le mot semble anachronique en ce premier quart de 21e siècle. Pourtant l'asservissement de l'homme par l'homme n'a toujours pas été renvoyé aux oubliettes de l'histoire. Selon l'ONU, environ 50 millions de personnes en seraient encore victimes dans le monde. Parmi elles, les minorités ethniques et religieuses sont surreprésentées.
Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines d'esclavage, Tomoya Obokata, s’est penché sur leur sort dans son dernier rapport. Selon ses conclusions, dans nombre de cas, le joug de la servitude relève d'une fatalité, héritée de génération en génération. Les formes d'esclavage contemporaines « dérivent principalement de formes de discrimination croisées profondément enracinées. Elles sont souvent héritées du passé, découlant de l'esclavage et de la colonisation, des systèmes de statut héréditaire et de la discrimination institutionnalisée », souligne-t-il. Le cas des dalits au Bangladesh, en Inde et au Népal, est à cet égard exemplaire. Au bas de l'échelle des castes, considérés comme impurs, ils sont encore contraints aux emplois les plus dangereux ou tenus pour dégradants, tels le balayage des rues, l'enterrement des morts et le ramassage des carcasses animales. Il en va de même pour les Muhamasheen, (« les marginaux »), une population minoritaire du Yémen, elle aussi vouée à la gestion des déchets.
Au Niger, plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de personnes sont victimes d'esclavage par ascendance. Les propriétaires d'esclaves ayant le monopole des terres, le servage reste l'horizon indépassable pour nombre de descendants d'esclaves. Le pays n’a pas l’apanage de cet esclavage traditionnel dans le Sahel. Il perdure aussi en Mauritanie et au Mali, où, au sein de groupes ethniques comme les Touaregs, les Songhaïs, les Soninkés, les Peuls ou les peuples arabes, des groupes de populations « continuent d’être considérés comme la propriété de leurs maîtres et, dans bien des cas, ne seraient pas payés pour le travail fourni » indique le rapport.
Autre visage de la servitude moderne, le travail forcé. Le rapporteur spécial pointe à cet égard la situation des Ouïghours et des Kazakhs dans l'agriculture et l'industrie dans la région autonome du Xinjiang, en Chine. Les dérives se sont multipliées au sein de deux systèmes mis en place par Pékin, des centres de formation professionnelle qui placent les minorités comme apprentis et le transfert de main d'œuvre des campagnes aux villes. Au Brésil, industries extractives et forestières recourent aussi à cette forme d'exploitation, qui touche principalement des hommes d'origine africaine. Corollaire du phénomène, l’esclavage pour dettes voit des travailleurs pauvres contracter des crédits dont le remboursement les rend vulnérables au travail forcé. Au Népal, les Haliyas, voués à des travaux agricoles payés une misère, ou rémunérés en nourriture, accumulent ainsi des dettes pour subvenir à leurs besoins auprès des propriétaires terriens, ce qui entretient le cercle vicieux de leur servitude.
La Commission européenne prend des mesures pour interdire les produits issus du travail forcé sur le marché de l'Union européenne.
Les filles et femmes issues des minorités subissent quant à elles souvent une double peine, victimes de « formes de discriminations croisées fondées sur le sexe et l’ascendance ». Elles sont ainsi touchées de manière disproportionnée par les cas de mariage d’enfant et de mariage forcé, telles les filles roms en Europe du Sud-Est ou les Kambaris et les Peuls au Nigéria. Au Niger, la coutume de la wahaya mêle esclavage par ascendance et esclavage sexuel; elle consiste à acheter des descendantes d’esclaves destinées à devenir une cinquième épouse.
Les femmes des minorités sont aussi particulièrement concernées par la servitude domestique. Au Brésil et en Colombie, celle-ci frappe en majorité des descendantes d’esclaves africains.
Les conflits récents ont également vu prospérer l’esclavage sexuel. L'organisation État islamique en Irak et Boko Haram au Nigeria en ont fait une arme de guerre. Au Myanmar, son usage systématique par les forces de sécurité contre les femmes Rohingyas relève des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, estime encore le rapporteur.
Autre variation tragique de l'asservissement, le travail des enfants n’épargne aucune région du monde. « Dans la région Asie et Pacifique, au Moyen-Orient, dans les Amériques et en Europe, entre 4 et 6 % des enfants seraient astreints au travail des enfants, indique le rapport, et ce pourcentage est beaucoup plus élevé en Afrique (21,6 %), le taux le plus élevé étant enregistré en Afrique subsaharienne (23,9 %). »
Outre les minorités, les migrants constituent l’autre catégorie de population particulièrement vulnérable aux diverses formes de servitude. Leur manque d'accès à l'éducation, mais aussi la barrière linguistique, la précarité de leur statut et la méconnaissance de leurs droits en font des cibles faciles. Comme les minorités, ils sont voués en grand nombre à l'économie informelle, du travail domestique à l'agriculture et à l'industrie, où ils risquent d'être victimes de formes contemporaines d'esclavage. Ainsi, du travail forcé dans l’agriculture au Canada, en Italie et en Espagne, ou de la servitude domestique des migrantes asiatiques et africaines dans les États du Golfe. La crise économique survenue dans le sillage de la pandémie de Covid19 a contribué à alimenter ces formes d'exploitation, ainsi que la servitude pour dettes.
Dans ce sombre tableau, le rapporteur dégage cependant quelques raisons d’espérer. L'enseignement dans les langues des enfants des minorités tend à se développer, favorisant l'égalité d'accès à l'éducation. La protection des droits des travailleurs migrants connaît aussi quelques avancées. La législation qui régit leur statut dans les États du Golfe a ainsi été amendée au Koweït, en Arabie Saoudite et au Qatar, et leur permet désormais de changer d'employeurs. Des accords bilatéraux avec les États d'origine de cette main d'œuvre, tels le Cambodge et le Népal, ont aussi été conclus avec les pays du Golfe, pour leur fournir des contrats de travail en bonne et due forme.
Autre enjeu, la régularisation de l'économie informelle, engagée dans des pays comme le Brésil, où la collecte des déchets est désormais encadrée, ou la Bulgarie, qui a réformé son code du travail en introduisant un contrat pour les travaux agricoles saisonniers.
Le boycott sur les marchés mondiaux des produits dont la fabrication implique de la main d'œuvre servile constitue aussi un levier de plus en plus actionné pour lutter contre le travail forcé. En 2021, les États-Unis ont ainsi adopté une loi interdisant l'importation de biens du Xinjiang. Plus récemment, en septembre dernier, la commission européenne a proposé l'adoption d'un règlement visant à bannir de l'Union européenne les produits dont la fabrication a alimenté ce fléau.