Faire parler la momie d'Henri IV
Des chercheurs viennent de modéliser le larynx d'Henri IV. Une première qui devrait permettre de reproduire la voix du souverain français.
Des chercheurs ont modélisé le larynx d'Henri IV.
Question repos éternel, Henri IV peut repasser. Le bon roi Henri aura connu un destin post-mortem aussi baroque que mouvementé. Dépouille profanée et décapitée à la Révolution, tête ballotée d'un collectionneur à l'autre pour finir dans un placard de cuisine, avant de revenir à la lumière entourée d'une controverse sur son authenticité qui dura plusieurs années. Dernier rebondissement en date, plus réjouissant, des chercheurs français ont scanné le larynx du monarque et réalisé une reproduction en polymère de l'organe. Objectif : redonner une voix d'outre-tombe au souverain dans les mois qui viennent.
Sa tête constitue aujourd'hui le principal vestige anatomique des rois de France. Des autres souverains ne demeurent que d'infimes traces, tels des mèches de cheveux. Comme eux, Henri IV fut embaumé à sa mort. « L'embaumement est quasi systématique depuis Charles II le Chauve, au 9e siècle. D'une part car les rois meurent assez souvent loin de chez eux. Il faut donc pouvoir conserver le corps dans un état agréable jusqu'à son retour sur son lieu de sépulture, d’autant qu’il doit sentir bon pour que s'ouvrent les portes du Paradis. D'autre part, il s'écoule souvent plusieurs dizaines de jours entre le décès et les funérailles, le temps que la pompe funèbre se mette en place et que les souverains étrangers fassent le déplacement. Seul Louis XV, qui a succombé à la variole, n'a pas eu d'embaumement, les chirurgiens ayant refusé de procéder à celui-ci en raison des risques de contamination », explique Philippe Charlier, médecin légiste et archéo-anthropologue, directeur du LAAB (Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie, à l’université Paris-Saclay), qui étudie la tête depuis 2010 et a dirigé les travaux actuels sur le larynx du monarque.
Vue latérale gauche de la tête momifiée d'Henri IV. Philippe Charlier et une équipe multidisciplinaire ont confirmé que la tête embaumée était celle du roi français Henri IV en utilisant une combinaison de techniques anthropologiques, paléopathologiques, radiologiques, médico-légales et génétiques.
Comme les autres dépouilles royales qui reposaient dans la basilique Saint-Denis, celle d'Henri IV a subi les outrages révolutionnaires en 1793. Exposé durant plusieurs jours dans la crypte de l’édifice, son corps a fait l'objet de prélèvements sauvages. Les témoignages de l'époque évoquent des poils de moustache et des cheveux arrachés, ainsi qu'une partie de la peau de la joue gauche. « Ces mutilations participent d'une volonté d’humiliation, mais elles visent aussi à faire des "reliques". La foule s’empare de petits bouts de son cadavre car il y a un peu de sacralité en lui. Ces restes, oints par le Saint Chrême lors du sacre, sont quasi magiques, on va les porter comme des talismans à une époque où la peste n'est pas loin, sans compter les autres maladies », poursuit le chercheur. La dépouille finit comme les autres dans une fosse commune, non sans avoir été au préalable décapitée, selon les usages du temps.
La tête, coupée nette à l'épée ou au glaive, passa ensuite entre les mains du médiéviste Alexandre Lenoir. L’homme, un grand artisan de la protection du patrimoine, à l’origine du musée des Monuments français, donna aussi dans le pillage occasionnel. Il vendit au même moment plusieurs têtes supposées de Henri IV à diverses personnes, dont le peintre Nallet Poussin. La tête achetée par Poussin fut ensuite acquise avec deux autres têtes momifiées pour 3 francs par un brocanteur de Montmartre lors d'une vente à Drouot en 1919. À l'époque déjà, on tenta d'établir son identité. La police scientifique fut sollicitée et travailla sur des superpositions entre le crâne et des photographies de portraits d'Henri IV. La tête acheva finalement sa course chez un couple de particuliers, enveloppée dans une serviette éponge dans la cuisine d'une résidence secondaire. D'un propriétaire à l'autre, elle a charrié avec elle la rumeur de son auguste origine... Son authenticité est établie une première fois en 2010 par une équipe dirigée par Philippe Charlier avant d'être remise en cause par des analyses ADN. Le débat est définitivement clos en 2014, avec la comparaison entre le scanner du crâne et le masque mortuaire du souverain réalisé en 1610, leur superposition démontrant une correspondance anatomique parfaite.
Le chef momifié d'Henri IV, yeux mi-clos et bouche béante, quasi édenté, est remarquablement bien conservé, à l'exception de la joue et de l'oreille gauche arrachée. On voit encore le grain de beauté proéminent qui avait poussé sur l'aile droite de son nez, et le trou de boucle d'oreille à son lobe droit. Les organes internes, pharynx et larynx, sont à l'avenant. Plusieurs facteurs ont concouru à son exceptionnel état de préservation. « Ravaillac a été son premier embaumeur, pointe avec humour Philippe Charlier. Il a vidé de son sang Henri IV, provoquant une hémorragie interne et externe qui a en grande partie déshydraté le corps. L’autopsie a poursuivi le processus avec le prélèvement des organes, et la qualité de l’embaumement l’a parachevé. Pierre Pigray a tamponné la surface de la dépouille de noir d'ivoire, du charbon d'ivoire animal, qui absorbe les mauvaises odeurs et l’humidité, et utilisé des aromates pour parfaire la dessication du corps. » La calcification partielle du cartilage laryngé, survenue chez le roi vieillissant – il est mort à 56 ans – a aussi contribué à la conservation de l’organe.
Des chercheurs français ont scanné le larynx du monarque et réalisé une reproduction en polymère de l'organe.
D’où la possibilité de redonner une voix au Vert Galant. « L’idée est de faire passer dans la modélisation physique du larynx un volume d’air stéréotypé, puisque nous n’avons pas le volume de ses poumons. Cette masse d’air va nous permettre de mettre en tension et en vibration les cordes vocales reconstituées d'Henri IV, positionnées sur son larynx, en relation avec toute la caisse de résonnance de son pharynx, de ses sinus, ses fosses nasales et sa langue. » Ce travail est encore en cours, en collaboration avec le service d’ORL de l’hôpital Foch et le laboratoire CNRS de phonologie de l’université Sorbonne Nouvelle.
Une expérience similaire avait été tentée pour la première fois en 2020 sur une momie égyptienne, mais seuls des phonèmes avaient été reconstitués, faute de connaissances sur la façon dont l’égyptien pharaonique était parlé. Dans le cas de Henri IV en revanche, on connaît le phrasé et la prononciation de l’époque, et l’on sait que le monarque avait un fort accent du Béarn. Les chercheurs vont s’appuyer sur des enregistrements de voix d’hommes de la région, d’âge et de corpulence semblables à celle du roi à sa mort pour mener leur résurrection vocale à bien. Reste une question à trancher : quels seront les premiers mots du souverain ? Au sein de l’équipe scientifique, un débat oppose ceux qui souhaiteraient lui faire dire les premières phrases de l’édit de Nantes et ceux qui penchent pour les lettres d'amour à sa maîtresse, Gabrielle d'Estrées… si tant est que la technologie le permette.
Outre sa voix, la tête de Henri IV a sans doute encore d’autres secrets à livrer. Des analyses moléculaires sont en cours pour identifier les aromates employés pour l’embaumement du roi. Traditionnellement, on recourait à des substances comme le gingembre, le romarin, la rose et la menthe, mais aussi au triptyque encens-myrrhe-aloès, qui aurait été utilisé par Joseph d’Arimathie sur le corps du Christ. Pour l’heure, le vénérable chef poursuit ses pérégrinations, entre le coffre d’une banque parisienne et les laboratoires scientifiques. Leur ultime chapitre, le choix d’une dernière demeure – musée ou terre consacrée – reste encore à écrire. Il dépendra de Louis Alphonse de Bourbon, l’aîné de la dynastie, aujourd’hui dépositaire des précieux restes… ou du Président de la République, son lointain successeur !