La bataille de la Tollense, le plus grand combat de l'Âge du Bronze

L'analyse de pointes de flèches vieilles de 3 000 ans nous permet d'en savoir plus sur cette bataille, la plus ancienne connue à ce jour sur le sol européen, et la plus importante de son époque.

De Tom Metcalfe
Publication 24 sept. 2024, 16:05 CEST
Ce segment de crâne est transpercé par une pointe de flèche datant de la plus ancienne ...

Ce segment de crâne est transpercé par une pointe de flèche datant de la plus ancienne bataille connue d'Europe, lors de l'âge du bronze. Les pointes de flèches retrouvées sur le champ de bataille ont aidé les archéologues à retracer les origines de certains des combattants de ce conflit.

PHOTOGRAPHIE DE Volker Minkus

Il y a plus de 3 000 ans, deux armées s’affrontèrent dans la vallée de la Tollense, une rivière située dans le nord de l’actuelle Allemagne.

Personne ne sait exactement qui fut à l’origine du conflit ou du désaccord qui conduisit à ce carnage, qui constitue la plus ancienne bataille connue à ce jour sur le sol européen, ainsi que la plus importante de son époque. Une nouvelle étude révèle toutefois que certaines des flèches déterrées sur le champ de bataille auraient été fabriquées loin de là, dans le sud de l’Europe centrale, et auraient donc été utilisées par des combattants en provenance de cette région du continent.

Les résultats présentés dans le nouvel article, publié dans la revue Antiquity, indiquent en effet que certains combattants étaient étrangers, et qu’ils faisaient peut-être même partie d’une armée d’invasion. L’étude s’oppose ainsi à certaines recherches antérieures qui laissaient entendre que seules des armées régionales avaient pris part au célèbre conflit, connu sous le nom de bataille de la Tollense.

« Peut-être s’agissait-il d’un chef de guerre ou d’un leader charismatique accompagné d’adeptes jouant le rôle de mercenaires », propose l’archéologue Leif Inselmann, doctorant à l’Université de Berlin et auteur principal de l’étude. « Ou bien y avait-il déjà une forme de royaume, avec une dynastie ? Ou s’agissait-il d’une coalition de plusieurs tribus ? »

 

LE PLUS VIEUX CHAMP DE BATAILLE D’EUROPE

Inselmann et ses collègues ont examiné cinquante-quatre pointes de flèches en bronze et en silex déterrées sur le site archéologique de la vallée de la Tollense, situé à environ 130 kilomètres au nord de Berlin.

De nos jours, le site est un terrain tranquille, mais des chercheurs ont découvert en 2011 que les lieux abritaient en réalité les restes d’un ancien champ de bataille sur lequel deux groupes belligérants, chacun composé de 2 000 guerriers, s’affrontèrent vers 1250 avant notre ère.

Les chercheurs ne s’attendaient pas à un tel nombre de combattants, et aucune autre trace de batailles de cette ampleur n’a depuis été découverte en Europe.

Les archéologues estiment désormais qu’entre 750 et 1 000 personnes auraient perdu la vie au cours de cette bataille. Au moins 150 individus, principalement de jeunes hommes âgés de 20 à 40 ans, mais aussi deux femmes, ont été identifiés parmi les milliers d’ossements humains retrouvés sur les lieux.

Les fouilles ont permis de mettre au jour des pointes de flèches ainsi que des massues en bois, mais aucune épée n’a été retrouvée. Certains crânes présentent pourtant des marques de coupures qui suggèrent que de telles armes furent bel et bien utilisées pendant la bataille.

L’une des pointes de flèches présentées dans la nouvelle étude a même été retrouvée incrustée dans un crâne. La présence des ossements d’au moins cinq chevaux indique en outre que certains combattants participèrent à la bataille à cheval.

Les pointes de flèches ont été essentielles pour comprendre les événements qui marquèrent la vallée de la Tollense, et ce dès le début des recherches. Des restes humains accompagnés de fragments d’armes anciennes, telles que des pointes de lance, des pointes de flèches et des lames de couteaux en bronze, y étaient par ailleurs déjà découverts dans les années 1980. Ce n’est cependant qu’après la mise au jour, grâce à un détecteur de métaux, d’une boîte de pointes de flèches en bronze que les chercheurs ont pu obtenir la confirmation que le site avait bel et bien accueilli une bataille, se souvient l’archéologue Thomas Terberger de l’Université Georg-August de Göttingen, co-auteur de la nouvelle étude qui avait déjà effectué des fouilles sur le site il y a une vingtaine d’années.

« Il était clair pour moi qu’il s’agissait là d’une découverte capitale, si ce n’est déterminante. Aujourd’hui, nous savons que les arcs et les flèches constituaient la principale arme du conflit. »

La zone de fouille baptisée Weltzin 20 (photographié ici) sur le champ de bataille de la vallée de la Tollense a permis de découvrir les restes de 90 individus.

PHOTOGRAPHIE DE S. Sauer

La nouvelle étude compare les pointes de flèches du site de la vallée de la Tollense à plus de 4 700 pointes retrouvées sur d’autres sites contemporains à travers l’Europe.

La plupart d’entre elles sont similaires à d’autres pointes retrouvées dans la région, qui fait désormais partie du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, au nord-est de l’Allemagne.

Certains de ces anciens artefacts présentent néanmoins des formes particulières, telles que des bases et des pointes « rhombiques », qui laissent penser qu’elles furent probablement fabriquées plus au sud, en Bavière, dans l’actuelle Allemagne, ou en Moravie, dans l’actuelle Tchécoslovaquie.

Ces types de pointes n’ont toutefois jamais été retrouvés en guise d’offrandes dans des tombes locales, ce qui, selon Inselmann, montre qu’elles n’arrivèrent pas sur les lieux par le biais du commerce. Les combattants du sud apportèrent donc probablement ces flèches avec eux pour participer à la bataille.

 

DES COMBATTANTS ÉTRANGERS ?

Par le passé, pour tenter de déterminer l’origine des combattants de ce conflit, les chercheurs se sont tournés vers les isotopes présents dans leurs os, des signatures chimiques qui peuvent renfermer des informations sur la vie d’un individu, tels que les différents endroits où il vécut ou son régime alimentaire.

Les résultats de l’analyse récente des pointes de flèches corroborent ceux d’une autre étude de 2016 qui suggéraient que les isotopes présents dans certains des restes humains retrouvés dans la vallée de la Tollense provenaient de régions situées au sud de cette dernière.

Une autre étude isotopique réalisée en 2020 affirmait cependant le contraire, en indiquant que seuls des habitants de la région avaient pris part au conflit. Joachim Burger, anthropologue et généticien des populations à l’Université de Mayence, qui a dirigé cette analyse, admet toutefois qu’il est probable que cette dernière ait été trompeuse, car elle ne portait que sur une trop petite partie des restes, et qualifie les dernières recherches de « prometteuses ».

Un lien a par ailleurs été établi entre certains des artefacts en bronze déterrés dans le lit de la rivière Tollense et d’autres objets de la même période retrouvés en Allemagne du Sud et dans l’est de la France, ce qui complique d’autant plus l’affaire.

Barry Molloy, archéologue à l’University College Dublin spécialiste des guerres anciennes, qui n’était pas impliqué dans l’étude, confie être impressionné par la rigueur des chercheurs.

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    Les flèches étaient des armes importantes lors des batailles durant l'âge du bronze. Celle-ci a été découverte dans la zone de fouilles Weltzin 28, dans la vallée de la Tollense.

    PHOTOGRAPHIE DE Joachim Krüger

    « La plupart du temps, [les chercheurs] tentent de répondre à de grandes questions en ayant recours à des approches à la mode, telles que la génétique ou l’analyse isotopique », explique-t-il. « Ici, en revanche, ils ont réalisé un travail archéologique à l’ancienne, et les résultats qu’ils proposent me semblent vraiment convaincants. »

    Pour Terberger, les preuves de plus en plus nombreuses selon lesquelles des guerriers du sud auraient pris part à la bataille permettent de révéler des indices sur la nature du conflit, qui pourrait ainsi avoir impliqué des puissances régionales. L’existence d’armées aussi importantes pouvait également se refléter dans l’organisation de leurs sociétés. Des preuves provenant d’autres sites funéraires en Allemagne indiquent en effet que, à cette époque, les « guerriers » constituaient déjà leur propre classe sociale. La constitution de nombreuses collines fortifiées à cette même période pourrait donc suggérer que l’avènement de ces sociétés plus hiérarchisées menait à des guerres de plus en plus fréquentes.

     

    LES CONFLITS DE L’ÂGE DU BRONZE

    Jusqu’à la découverte de ce champ de bataille, de nombreux chercheurs supposaient que l’âge du bronze était une période principalement pacifique durant laquelle le commerce constituait le facteur principal du développement culturel.

    Les découvertes réalisées sur le site de la vallée de la Tollense montrent néanmoins que « les importants et violents conflits faisaient partie intégrante de la vie pendant l’âge du bronze », révèle Terberger.

    À cette époque, l’Europe connaissait d’importantes transformations culturelles qui jouèrent probablement un rôle dans le développement de ces conflits. Selon le chercheur, des signes de ce phénomène apparaissent dans les études relatives à la « culture des champs d’urnes », qui se diffusait alors dans une grande partie de l’Europe centrale et pourrait être à l’origine de la présence de guerriers étrangers.

    « La transition vers la culture dite des champs d’urnes au 13e siècle avant notre ère fut marquée par des bouleversements religieux et politiques majeurs, et la transformation de la société de l’époque fut plus violente que prévu », explique-t-il.

    Inselmann ajoute que d’autres sites archéologiques allemands datant de cette même période présentent davantage de pointes de flèche que les périodes précédentes, ce qui soutient la théorie selon laquelle les conflits violents étaient devenus plus fréquents.

    Les raisons de cette violence accrue sont inconnues, mais pour le chercheur, cette période correspond à peu près à celle de « l’effondrement de l’âge du bronze récent », époque du déclin des empires méditerranéens qui était peut-être la conséquence de changements climatiques, de maladies ou de catastrophes naturelles, entre autres pressions. De tels défis sociétaux auraient tout à fait pu toucher d’autres régions du continent.

    De nombreux archéologues estiment que les guerres étaient fréquentes dans l’Europe de l’âge du bronze, car de nombreuses fortifications nécessitant des armées relativement importantes pour être défendues furent construites à cette époque, souvent au sommet de collines en Allemagne et en Grande-Bretagne.

    « Il semble que de plus en plus de sites requérant des armées importantes étaient construits, et qu’en même temps, des technologies [militaires] émergeaient, permettant ainsi à de plus grandes armées de se battre. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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