Alors que le droit à l'avortement recule aux États-Unis, il avance (doucement) en Amérique du Sud

Alors que les Américaines voient leur droit à l'avortement reculer dans la majeure partie du pays, le combat pour l'accès à l'avortement continue en Amérique Latine.

De Margot Hinry
Publication 27 juin 2022, 10:21 CEST
Des manifestants anti-avortement tiennent des pancartes ressemblant à des fœtus lors d'une manifestation de plusieurs milliers ...

Des manifestants anti-avortement tiennent des pancartes ressemblant à des fœtus lors d'une manifestation de plusieurs milliers de personnes allant de la Maison Blanche au Capitole.

PHOTOGRAPHIE DE jean-Louis Atlan, Getty Images

La Cour suprême, la plus haute juridiction américaine, a annulé vendredi 24 juin l’arrêt Roe vs Wade qui reconnaissait depuis 1973 le droit à l’avortement au niveau fédéral. Les lois votées au niveau fédéral aux États-Unis sont des lois valant dans tous les États, à l'échelle nationale. L'arrêt Roe vs Wade garantissait le droit d'avorter jusqu'à ce que le fœtus soit « viable » et ait de bonnes chances de survie ex-utero, soit jusqu'à 22 à 24 semaines de grossesse. 

Cette décision était attendue après la fuite d’un document officiel rédigé par Samuel Alito, qui était destiné aux autres juges de la Cour suprême pour relecture. Dans son projet d’opinion, Alito s’appuyait sur les travaux de certains historiens et concluait que le droit à l’avortement n’était pas enraciné dans « l’histoire ou la tradition » du pays.

Chaque État américain est donc aujourd'hui libre d'interdire ou de maintenir le droit à l'avortement sur son territoire. Dans l'attente de la décision de la Cour Suprême, treize États avaient déjà adopté des textes de loi rendant l'avortement illégal. Treize autres États devraient suivre pour restreindre le droit à l'avortement, notamment en réduisant le délai légal pour avorter à 6 à 8 semaines. 

Après l'avortement, cette Cour Suprême très conservatrice pourrait revenir sur d'autres droits acquis au niveau fédéral, comme le droit à la contraception, le mariage gay et la dépénalisation des relations sexuelles entre personnes de même sexe.

Aux États-Unis, au Canada, en France, en Pologne, en Argentine, des vagues de protestations féministes ne cessent de se multiplier en soutien au droit à l’IVG. « L’avortement et les questions de santé reproductive, ce sont les problématiques des vagues féministes du 20e siècle. On s’était dit que c’était acquis. On sait très bien, depuis longtemps, que ce n’est pas parce que l’on interdit l’avortement que les femmes n'avorteront pas. Cela va juste forcer les femmes à le faire dans l’illégalité, en se mettant en danger. Très concrètement, il y a des femmes qui meurent parce que l’avortement est compliqué ou interdit. Ou alors, certaines s’endettent » déplore Diane, membre de la coordination de #NousToutes.

Une pétition internationale a été lancée et de nombreuses personnalités y ont apporté leur soutien. C’est notamment le cas de Françoise Vergès, pour qui ces attaques contre le droit à l’avortement est enrageant « parce que ce sont d’abord les femmes noires, pauvres, autochtones, qui vont être les victimes de ces politiques. »

 

UNE « VAGUE VERTE » PRO-AVORTEMENT EN AMÉRIQUE LATINE

Alors que les droits des femmes en Amérique du Nord reculent, les droits des femmes d’Amérique du Sud progressent petit à petit. En Amérique Latine, depuis le début des années 2000, les femmes descendent dans la rue pour avoir le droit de disposer de leurs corps comme bon leur semble et pour une légalisation généralisée du droit à l’avortement.

« Les militantes ont choisi la couleur verte pour symboliser leur combat lors du Congrès national des femmes en 2008, car cette couleur n’était encore associée à aucune campagne de défense des droits. À partir de là, la marea verde (« vague verte » en français, ndlr) a commencé à prendre de l’ampleur, pour balayer le continent jusqu’à la frontière américaine ».

La lutte des femmes « aux foulards verts » a finalement porté ses fruits en Argentine, en Colombie, au Mexique. Après des années de combats acharnés, en février 2022, la cour Constitutionnelle de Colombie a dépénalisé l’avortement jusqu’à 24 semaines de gestation. À ce jour, il s’agit de la loi sur l’avortement la plus progressiste votée en Amérique Latine.

Après cette victoire, les Chiliennes, qui s’étaient vu refuser une proposition d’assouplissement de la loi sur l’avortement, ont redoublé d’efforts et proposé d’ajouter le droit à l’avortement jusqu’à 24 semaines de gestation à la nouvelle Constitution. Le texte conservateur actuellement en vigueur a été rédigé dans les années 1980 sous la dictature d'Augusto Pinochet. Les militantes ont rédigé une nouvelle proposition de texte et devront réussir à remporter le référendum qui aura lieu en septembre.

Bien que le droit à l’avortement soit acquis sans restrictions majeures dans quelques rares pays d’Amérique latine, le mouvement de la Vague Verte est loin d'être terminé. Le Honduras, qui interdisait déjà l'avortement, y compris en cas de viol, d'inceste ou de grossesse non-viable ou pouvant mettre en danger la vie de la mère, a approuvé en janvier 2021 une réforme constitutionnelle pour inscrire cette interdiction dans la constitution, qui ne pourra « être réformée que par une majorité des trois quarts des membres du Parlement. »

Au Brésil et en Bolivie, l'avortement n'est autorisé qu'en cas de risques pour la vie de la mère, pour sa santé, en cas de viol ou maladies congénitales. Au Paraguay, seul un risque pour la vie de la mère permet aux femmes d'accéder à l'avortement. 

En Amérique centrale, au Salvador ou en Haïti par exemple, l’avortement est toujours considéré comme un crime et des peines de prison sont prévues pour les femmes qui avortent ou pour les personnes qui les aident à avorter illégalement. Dans ces pays, aux yeux de la loi, une fausse-couche est considérée comme un homicide. « Les chiffres de l’OMS montrent que la santé des femmes et des petites filles est dans le monde entier […] menacée par l’intersection de plusieurs éléments. Il est urgent de se battre pour des programmes de santé publique, accessible à toutes et tous, où la dignité de chacun.e est respectée » indique la politologue et militante française.

« L’État a toujours voulu gérer le ventre des femmes, décider qui a le droit de donner naissance et qui n’en a pas le droit » proteste Françoise Vergès. « Le droit d’avorter n’est absolument pas fondamental aux yeux de ceux qui sont au pouvoir. La vague réactionnaire ou d’extrême-droite qui se répand dans le monde est résolument opposée à la libération des femmes, mais elle n’est pas opposée au néolibéralisme qui accroît inégalités et injustices, attaque la dignité des peuples et des personnes et ravage l’environnement. »

Depuis des années, les militants qui se dressent contre le droit à l’avortement, notamment aux États-Unis, soutiennent un argumentaire en faveur de la vie, en rendant celle des personnes en faveur de l’IVG presque impossible. L’autrice Catherine Nesci aborde notamment la question des « stratégies de harcèlement physique et moral que déploient les opposants à l’avortement pour terroriser le personnel soignant et administratif des cliniques », entre autres violences.

En France, en réaction à l'annonce de la décision de la Cour suprême, le groupe parlementaire de la majorité présidentielle LREM reprend une proposition de la France Insoumise, refusée par deux fois lors du quinquennat précédent, pour consacrer le droit à l'avortement en l'inscrivant dans la Constitution, ce qui empêcherait le législateur d'y porter atteinte. Même si cette proposition faisait consensus au sein de l'Assemblée nationale - ce qui ne sera sans doute pas le cas - la loi devra, pour être entérinée, être validée dans les mêmes termes par le Sénat. Ensuite, le président de la République choisira de soumettre la question aux Français par référendum, ou de faire adopter cette modification de la Constitution à la majorité des trois cinquièmes des votants. Inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution, en dépit du parcours législatif long et complexe requis, ferait de l'avortement un droit à part entière pour toutes les Françaises. La proposition de loi stipule que « nul ne peut être privé du droit à l'interruption volontaire de grossesse. »

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