Comment le viol était-il puni dans l'Antiquité ?
Si certains pays n'ont aujourd'hui encore aucune définition juridique du viol, les premières mentions de sentences pour le viol de femmes libres remontent à l'Antiquité.
Le viol d'une femme sabine, peinture de Luca Giordano. L’enlèvement des Sabines est un épisode légendaire de l'histoire de Rome au cours duquel la première génération d'hommes romains enleva des femmes d'autres villes, notamment des Sabines.
La première trace d'une forme de qualification du viol remonte à l’Antiquité. Le code de Hammurabi, rédigé en Mésopotamie en 1750 avant notre ère par le roi babylonien du même nom, comporte les premiers textes définissant l’acte de viol dans la loi 130, qui établit que « si un homme a violenté la fiancée (d’un citoyen) qui n’a pas encore connu son mari, demeure encore dans la maison paternelle et si on le surprend, cet homme est passible de la peine de mort mais la femme sera relâchée ». La même condamnation s’appliquait si un homme violentait la femme d’un autre citoyen.
Brigitte Rochelandet, docteur en histoire des mentalités et autrice d’Histoire des violences faites aux femmes, constate que dans le code Hammurabi, le statut de la victime avait son importance. « Si la victime était une personne libre, l’homme était puni. Si c’était une esclave, la sanction était moindre, en général une flagellation. »
Chez les Grecs et les Romains, « aucun terme ne renvoie directement à la définition contemporaine du viol ou d’agression sexuelle, entendus comme acte ou attouchement sexuels commis par violence, sous la menace, ou par surprise », explique Sandra Boehringer, historienne et anthropologue des systèmes de valeurs sociales et politiques liés aux identités de genre et aux pratiques érotiques dans le monde antique.
Cependant, d’autres termes étaient régulièrement utilisés pour qualifier le viol selon la perception de l’époque. « En grec, le terme hubris (ὕβρις), désigne pour les personnes libres un acte de démesure de tout ordre. Parfois aussi, ce que nous considérons comme étant un viol », souligne Sandra Boehringer. En cas d’hubris, le violeur pouvait être condamné à une castration par écrasement des testicules avec deux pierres. Dans l’empire Romain, le terme de stuprum désignait aussi le viol d’une personne libre, en certaines circonstances.
Dans les deux sociétés, les esclaves, « quel que soit leur sexe, faisaient l’objet d’une attention moindre ». Les esclaves étaient en effet considérés comme des objets. « Toute atteinte (physique ou sexuelle) était considérée comme une dégradation de ce bien pouvant justifier un procès - sauf si bien sûr, la personne qui avait porté le coup ou commis le viol en était le propriétaire », relève Sandra Boehringer. Pour punir un tel comportement, « on ne tuait pas le violeur, on trouvait plutôt un arrangement financier », précise Brigitte Rochelandet. Dans l’antiquité grecque et romaine, « le rapport d’autorité ou de propriété était un élément justifiant la légalité de l’acte sexuel sous contrainte », ajoute Sandra Boehringer.
Contrairement au statut de la victime, son âge n’avait pas d’importance. « Le corps de l’enfant n’était pas protégé des relations sexuelles », explique Sandra Boehringer. Au contraire, les relations entre adolescents et adultes était plutôt reconnues, valorisées et même un sujet littéraire ! Le genre importait peu, « pour la simple raison que l’érotisme antique n’était pas genré de la même manière que l’est la sexualité contemporaine », éclaircit-elle.
Le mythe d'Apollon et Daphné revisité par Le Bernin, conservé à la Galleria Borghese, à Rome, en Italie.
Quant aux sanctions légales, « il n’existait pas de catégorie juridique propre au viol ». En revanche, « des démarches légales étaient possibles pour les cas de violences physiques qui pouvaient théoriquement inclure la plainte pour viol ». Théoriquement, parce qu’aucun plaidoyer de procès pour viol ne nous est parvenu.
LE VIOL DANS LA RELIGION CHRÉTIENNE
Au cours des derniers siècles de l’Antiquité, l’influence de la chrétienté a modifié la perception du viol. Dans l’Ancien Testament par exemple, les Hébreux condamnaient fortement l’acte de viol. Mais cette fois-ci, le crime n’était pas aggravé en fonction du statut de la victime, mais par sa virginité et par son possible engagement dans un mariage prochain.
Dans le Deutéronome, récit des derniers discours de Moïse aux Israélites, au chapitre 22, il est écrit : « si c’est dans les champs que cet homme rencontre la jeune femme fiancée, s’empare d’elle et couche avec elle, seul l’homme qui aura couché avec elle sera puni de mort. Elle n’est pas coupable d’un crime de mort, car c’est le même cas où l’homme se jette sur son prochain et lui enlève la vie ». Ici, le lieu du méfait a son importance. Être dans un endroit reculé empêcherait d’autres personnes de venir au secours de la victime, même si elle crie où se défend.
À l’inverse, si le lieu du crime était situé en ville ou dans un village, et que l’on n’avait pas entendu les cris de la victime, « les deux étaient déclarés coupables, puisque considérés comme consentants », explique Brigitte Rochelandet. Ici, la sanction pouvait être la mort par lapidation. L’historienne note que « la notion de sidération [qui empêche certaines victimes de réagir quand elles sont agressées], n’existait pas encore à l’époque ».
Une sanction encore différente s’applique si la jeune fille est vierge, mais pas promise. Le Deutéronome 22/28-29 le mentionne. « Si un homme rencontre une jeune fille vierge non fiancée, lui fait violence et couche avec elle, et qu'on vienne à les surprendre, l'homme qui aura couché avec elle donnera au père de la jeune fille cinquante sicles d’argent ; et, parce qu'il l'a déshonorée, il la prendra pour femme, et il ne pourra pas la renvoyer, tant qu'il vivra. »
SOUMISES AU SILENCE
Malgré tous ces codes et premières réglementations, les historiens n’ont pas retrouvé de preuves écrites ou de témoignages de victimes de viol. À l’époque, « la parole des femmes était soumise au silence », raconte Brigitte Rochelandet. Les pères, les frères, les maris des victimes, les empêchaient de porter plainte sous peine de jeter l'opprobre sur leur famille. « Le viol était assimilé à un vol puisque la virginité représentait beaucoup pour jeune fille qui pouvait être mariée. »
Même dans les cas où les victimes réussissaient à entamer une procédure juridique, elles subissaient un jugement social, allant de la honte au déshonneur. La pensée antique considérait en effet la femme comme « lubrique par nature ». Il existait, disait-on, un consentement perpétuel féminin, concept plus tard théorisé par Guillaume de Conches (vers 1120).
LA DOMINATION MASCULINE DANS LA MYTHOLOGIE ET LES ARTS
Ce consentement perpétuel féminin, symbole de la domination masculine a d’ailleurs été illustré et romantisé dans la mythologie, les arts et la littérature. La mythologie antique classique grecque regorge de récits « merveilleux », porteurs de fantasmes masculins. Brigitte Rochelandet fait remarquer que « la mythologie n’est écrite que par des hommes ». Et en contant ces récits, où le viol était fantasmé, « les auteurs incitaient sans en avoir l’air au passage à l’acte », affirme -t-elle.
Le mythe de Danaé, revisité en 1891 par Alexandre Jacques Chantron. Danaé était une princesse que son père, Acrisios, avait emprisonnée dans une tour d'airain après qu'un oracle lui avait prédit qu'il serait tué par son petit-fils. Zeus parvint toutefois à entrer dans la tour sous la forme d'une pluie d'or qui tomba sur la princesse, qu'il féconda. De cette union naquit un fils, Persée, qui plus tard tua accidentellement Acrisios.
Un grand personnage de la mythologie grecque, connu pour son comportement abusif n’est autre que Zeus, qui régnait sur l’Olympe et les Hommes. Il est conté, dans toute sa grandeur, beau et puissant, fécondant Danaé, en s’introduisant dans la tour d'airain où elle était retenur prisonnière, sous la forme d’une pluie d’or.
Un autre mythe raconte l’histoire d’Aura, ancienne compagne d’Artémis, la déesse de la chasse, violée par Dionysos pour avoir été trop orgueilleuse. Rendue folle par cette agression, elle se jeta à la mer pour y mourir.
Apollon, lui, courut après la nymphe Daphné, dotée d’une grande beauté. Toutefois, par une métamorphose, ce mythe n'a pas la fin de beaucoup d'autres : Daphné, pour ne pas devoir céder aux avances d'un dieu qu'elle ne désirait pas en retour, supplia les dieux de la changer en arbre. Elle se métamorphosa alors en laurier. Apollon, déçu de ne pas avoir consommé son amour pour Daphné, se fit de ses branches la couronne de lauriers qui dès lors ne le quitta plus.
La mythologie, saturée de dizaines d’histoires de viols, est l’un des vecteurs de la domination masculine durant l’Antiquité. Ces histoires seront par la suite une source d’inspiration pour les sculpteurs de la Renaissance qui « considéraient le viol comme un défi esthétique, sans faire attention au message qu’ils transféraient à travers leurs sculptures », commente Brigitte Rochelandet. « Ce sont des sculptures de fantasme », conclut-elle.