Pour Aristote, les blondes avaient des relations sexuelles plus intenses

La vie, l'âme, le plaisir sexuel… Il y a vingt-trois siècles, Aristote a tenté de répondre aux grandes questions de l'humanité.

De Simon Worrall
Publication 14 nov. 2024, 12:37 CET
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Aristote, philosophe grec de l'Antiquité, était également un scientifique et peut être considéré comme le premier spécialiste de l'histoire naturelle du monde.

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Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce qu’une âme ? À son époque, le philosophe grec Aristote a tenté de répondre aux grandes questions que nous nous posons encore aujourd’hui.

Aristote peut également être considéré comme le premier spécialiste de l’histoire naturelle. Dans son livre La Lagune : Et Aristote inventa la science…, le biologiste de renom Armand Marie Leroi part sur les traces d’Aristote sur l’île grecque de Lesbos, où ce dernier a effectué une grande partie de ses recherches pratiques.

Au moment de la sortie du livre en 2014, depuis son domicile londonien, l’auteur nous avait décrit comment un livre trouvé par hasard dans une librairie d’Athènes l’avait conduit à un long voyage de découvertes. Il nous avait dit combien il était important de parcourir le monde pour le comprendre, et pourquoi Aristote pensait que les blondes avaient les plus puissants orgasmes.

 

Votre livre commence par un souvenir d’enfance. Racontez-nous.

Vers l’âge de 11 ans, je me suis intéressé aux coquillages. Je vivais alors en Afrique du Sud et j’ai découvert dans le garage un vieux sac rempli de coquillages que mes parents avaient ramassés. C’est devenu le début d’une grande collection. Il y avait un coquillage en particulier, que mes parents avaient acheté lors de leur lune de miel en Méditerranée. C’était une conque, un très bel objet, et je l’ai piqué aussi [Rires]. Je voulais devenir biologiste des mollusques, et le malacologue le plus célèbre du monde. Je ne suis jamais devenu malacologue. Mais je suis devenu biologiste. Et c’est là que tout a commencé.

Trente ans plus tard, longtemps après avoir rangé mes coquillages, je suis entré dans une librairie d’Athènes et j’ai découvert un livre d’Aristote intitulé Histoire des animaux. Je n’étais pas du tout intéressé par Aristote, ni par la philosophie. J’étais biologiste. Mais le titre m’a attiré. Je l’ai donc pris et j’ai commencé à lire. C’était Aristote, un type mort il y a 2 300 ans, qui décrivait mon coquillage. Et j’ai compris exactement ce qu’il disait.

 

À un moment, vous imaginez Aristote « déjeuner de figues et de miel ». Mais que savons-nous vraiment d’Aristote, de l’homme ?

Remarquablement peu. Aristote a laissé derrière lui plusieurs milliers de pages de travail, mais rien d’autobiographique. Tout ce que nous avons sur sa vie, ce sont des ouï-dire, des histoires racontées par des philosophes arrivés après lui, généralement écrites plusieurs siècles après sa mort. On peut essayer d’en extraire une part de vérité, mais c’est très difficile, car elles proviennent souvent d’écoles philosophiques concurrentes. Elles sont donc peu fiables.

Nous avons une description de lui, et elle n’est pas très flatteuse. Il avait des jambes arquées et de petits yeux. Il semble également avoir été un peu dandy, et s’occupait beaucoup de ses cheveux. Mais une fois de plus, nous ne savons pas vraiment s’il s’agit d’une description correcte ou hostile. Elle a certainement été écrite par quelqu’un plusieurs siècles après la mort d’Aristote, qui a eu lieu en 322 avant notre ère.

Le document le plus direct dont nous disposons est une reproduction de son testament. Ici, nous pouvons nous faire une idée de qui était Aristote, l’homme. Il dit, par exemple, qu’il aimerait être enterré à côté de Pythias, sa première femme, parce que c’est ce qu’elle aurait voulu. Elle était jeune quand Aristote l’a épousée, et il avait environ 37 ans. Ça donne donc l’impression qu’il l’aimait beaucoup.

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Platon et Aristote enseignaient tous deux dans une académie du Pirée, la zone portuaire d'Athènes.

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Vous décrivez à merveille l’académie de l’Athènes antique où Aristote et Platon ont donné des cours. Faites-nous une visite virtuelle.

L’académie se trouvait au Pirée, la zone portuaire d’Athènes. Il n’en reste plus grand-chose aujourd’hui : juste quelques rochers et un champ poussiéreux avec quelques arbres. En son temps, c’était une sorte de club de philosophes. Pas une université mais un groupe d’amis, avec une sorte de hiérarchie. De toute évidence, Platon est au sommet. D’autres jeunes professeurs sont dans le groupe, se disputent et se querellent, mais dans un esprit amical.

La particularité de l’académie de Platon est que, bien qu’elle semble compter parmi plusieurs écoles différentes d’Athènes, Platon ne faisait pas payer l’entrée. Il était raisonnablement aisé, et il est clair que l’académie était dédiée à son objectif, celui de la poursuite de la vérité philosophique. Les écoles dirigées par les sophistes avaient pour but d’apprendre aux jeunes hommes à bien parler et à se débrouiller dans la vie. En langage moderne, on dirait qu’on allait chez Platon pour obtenir un doctorat, et chez les sophistes pour obtenir un MBA.

 

Il y avait beaucoup de concurrence entre Platon et Aristote, n’est-ce pas ?

Il y a pas mal de compétition. Aristote a 17 ans quand il arrive à l’académie. Il est évident qu’il doit être très intelligent car il est rapidement connu comme « le lecteur ». On l’appelle aussi parfois le cerveau de l’école.

Plus tard, alors qu’Aristote est plus âgé et plus sûr de lui, Platon l’appelle le poulain pour insinuer qu’il donne des coups de pied à sa mère, tout comme un poulain le fait à la sienne. Autrement dit, il est un bénéficiaire ingrat des bonnes choses que ses ancêtres lui ont données.

Les désaccords étaient inévitables. Nous avons deux des plus grands penseurs de tous les temps côte à côte, et il s’avère qu’ils ont des visions très différentes du monde, même si leurs points de vue sont aussi profondément liés, comme ce doit être le cas entre un élève et son maître. Lorsque Platon meurt, Aristote a 37 ans, et c’est à ce moment-là qu’il quitte l’académie pour voler de ses propres ailes.

 

C’est une œuvre intellectuelle. C’est aussi un récit de voyage, ainsi que des mémoires. Parlez-nous de la lagune.

Quand on imagine une île grecque, comme dans les Cyclades, on pense à un rocher nu sur lequel se trouvent quelques maisons blanchies à la chaux. Lesbos n’est pas comme ça. C’est une grande île agricole et dans un sale état. La moitié est assez sèche, l’autre moitié est merveilleusement boisée, avec des rivières, des prairies et des fleurs sauvages. C’est aussi un lieu de repos pour des millions d’oiseaux migrateurs qui voyagent entre l’Afrique et le nord chaque année. Il y a donc beaucoup de nature.

Cette île magnifique est traversée par un lagon de 21 kilomètres de long, 10 kilomètres de large, et 10 mètres de profondeur. Il s’agit de l’un des plans d’eau les plus riches de la mer Égée, le lieu qui sert à la reproduction des poissons de la région. On y trouve des sardines et des seiches, toutes les créatures décrites par Aristote. Nous n’avons pas de preuve irréfutable, mais il semble probable que ses descriptions de la lagune soient les plus anciennes descriptions d’un lieu naturel jamais trouvées dans le monde.

Si vous descendez dans la lagune aujourd’hui, vous verrez une série de petits villages de pêcheurs. Certains d’entre eux étaient plus grands à l’époque d’Aristote. Ils utilisent de petits bateaux appelés trehantiri. À l’époque d’Aristote, ils auraient eu des voiles à la place des moteurs. Mais les modèles ne sont pas très différents, et les techniques de pêche non plus. Par exemple, chaque année, les pêcheurs jettent des fagots de branches dans l’eau pour que les seiches y pondent leurs œufs afin d’assurer une bonne récolte l’année suivante. Et c’est exactement ce qu’Aristote a décrit il y a vingt-trois siècles de cela !

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    Aristote a effectué une grande partie de ses recherches sur le monde naturel sur l'île grecque de Lesbos.

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    Aristote a décrit environ 500 créatures dans son environnement direct. Il a également décrit des animaux qu’il n’aurait pas pu voir, tels que l’éléphant et le lion. Comment obtenait-il ses informations ?

    Aristote n’a jamais quitté la mer Égée, mais il décrit beaucoup d’espèces exotiques, comme des animaux africains et asiatiques. Comment savait-il tout cela ? Une merveilleuse histoire de Pline aborde ce sujet : Alexandre le Grand a ordonné à tous les commandants de son armée, dans toute l’Asie Mineure, d’envoyer à Aristote des spécimens des créatures qu’ils rencontraient. Pourquoi aurait-il fait cela ? Parce qu’Aristote avait été le professeur de ce jeune prince macédonien. Selon Pline, il s’agissait d’un hommage du jeune général à son professeur.

    C’est une histoire merveilleuse. Et je pense que c’est presque sans aucun doute un mythe, car une partie non négligeable de ce qu’Aristote dit sur les créatures exotiques n’est pas très fiable. Lorsqu’il parle d’animaux grecs, une seiche, par exemple, il le fait avec tant de détails et de précision qu’on a l’impression qu’il a vraiment vu la chose, et même qu’il l’a découpée. Il a fait beaucoup de dissections.

    Mais dès qu’il commence à parler d’animaux exotiques, tout devient beaucoup plus vague. Il en sait beaucoup sur les éléphants, mais il pense qu’ils sont semi-aquatiques. Ce n’est pas tout à fait faux, les éléphants aiment traîner dans l’eau. Mais il n’est pas sûr de la souplesse de leurs pattes. Cela a donné lieu plus tard à un mythe selon lequel les éléphants ne pouvaient pas plier leurs jambes et dormaient debout.

     

    En plus de suivre les traces d’Aristote, vous avez effectué de nombreuses recherches pratiques, en observant et même en disséquant les créatures étudiées par Aristote. Parlez-nous de l’âme d’une seiche.

    [Rires] Alors, qu’est-ce que l’âme de la seiche ? La première chose qui est remarquable chez Aristote, c’est que vous pouvez prendre une seiche dans la lagune et la disséquer en suivant ses instructions. Je l’ai moi-même fait. C’est la seule façon de voir ce qu’il faisait.

    Si j’ai contribué à l’étude d’Aristote, c’est en faisant des choses comme ça. Les philosophes aiment étudier ces choses-là dans l’intimité de leurs études ou de leurs bibliothèques. Beaucoup d’entre eux ne prennent même pas la peine d’aller en Grèce, et encore moins de regarder la seiche décrite par Aristote. Ils connaissent l'œuvre d'Aristote, ils connaissent leur grec, et grand bien leur fasse. Mais on peut se poser une question : ne pensez-vous pas qu’on devrait sortir et se salir un peu les mains, si l’on veut voir ce qu’il regardait réellement ?

     

    Vous êtes un biologiste de l’évolution. Aristote a également exploré l’évolution. Dans quelle mesure est-il le précurseur de Darwin ?

    Il préfigure Darwin de nombreuses façons différentes, sauf de la seule façon qui compte vraiment. C’est-à-dire qu’il n’arrive pas jusqu’à l’évolution. Je sais que cela semble paradoxal. Comme Darwin, il regarde le monde comme un architecte ou un ingénieur. Il regarde les créatures biologiques et se demande : à quoi servent-elles, et à quoi servent les parties qui les composent ? Par exemple, il analyse la diversité des oiseaux : leur bec, leurs pattes… en prenant en compte leur rôle, et s’ils sont en adéquation avec leur environnement. Ce que nous appellerions aujourd’hui des adaptations.

    Mais Aristote n’est pas évolutionniste. Il n’est pas non plus créationniste. Il est quelque chose de beaucoup plus étrange : un éternaliste. Selon Aristote, le monde est un système parfaitement conçu dans lequel les créatures sont adaptées à leur environnement et les unes aux autres. Comment ce système a-t-il vu le jour ? Pour lui, cette question n’est pas la bonne. Il a toujours été là. Cette idée est très étrange pour nous aujourd’hui, car nous avons conditionné toute notre vision du monde en opposant créationnisme et évolutionnisme.

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    Aristote a décrit des centaines d'animaux, y compris certains qu'il n'aurait pas pu voir directement, tels que l'éléphant et le lion.

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    Il a également beaucoup écrit sur le sexe, tant animal qu’humain, y compris sur l’orgasme féminin. Quel était son point de vue ?

    Il n’a pas de terme technique pour l’orgasme. Mais on comprend très bien de quoi il parle. Il est également très clair pour lui que les femmes ressentent du plaisir durant les rapports sexuels. Un plaisir extrême. Un plaisir équivalent à celui d’un homme. Selon lui, l’excitation peut être particulièrement forte chez les blondes. Et Aristote pense que c’est une bonne chose.

    Il a une seule question, et elle concerne [les rapports sexuels], et s’ils sont absolument nécessaires à la conception. Il a élaboré une théorie complexe sur les fluides féminins et la reproduction. Il a passé beaucoup de temps à essayer de séparer les fluides féminins : les fluides menstruels, la lubrification vaginale, l’urine, l’éjaculation féminine. Tout devient très compliqué.

     

    Vous écrivez qu’Aristote a été confronté à la plus grande de toutes les questions : « qu’est-ce que la vie ? »... Quelle a été sa réponse ?

    La vie est une chose qui a une âme. Tous les êtres vivants ont une âme. Les choses mortes n’en ont pas. Les choses inanimées n’en ont pas non plus. Tout ça semble mystique parce que nous sommes conditionnés à penser à l’âme, dans la tradition judéo-chrétienne, comme à une entité immatérielle qui nous survit à notre mort. Les prédécesseurs d’Aristote, comme Platon, avaient une conception de l’âme assez proche de celle-là. Ils pensaient que l’âme était quelque chose d’unique aux humains, et qu’elle était immortelle.

    Aristote soutient quant à lui que c’est un non-sens. L’âme doit être conçue comme la chose qui anime tous les êtres vivants, toutes les plantes et tous les animaux. Lorsqu’une créature meurt, son âme meurt aussi. L’âme fait partie du système qui maintient la vie de la créature.

    Ce concept a traversé toute l’histoire de la biologie mais, à bien des égards, ce n’est qu’aujourd’hui qu’il s’épanouit pleinement. La science du 20e siècle s’est attachée à démonter les créatures, à les réduire à leurs cellules, leurs molécules et leurs gènes. La science du 21e siècle consiste à les reconstituer.

    C’est la grande vision d’Aristote. Pour lui, c’est très bien de comprendre les choses en parties, et il consacre d’ailleurs beaucoup de temps à le faire… Parfois il a raison, parfois il se trompe. Mais sa grande idée, c’est qu’il faut tout reconstituer.

    C’est pourquoi je dis qu’il est le tout premier biologiste systémique. Et c’est pourquoi, au 21e siècle, alors que nous avons nous-mêmes commencé à réassembler les systèmes, nous pouvons comprendre plus clairement que jamais ce qu’il voulait dire.

     

    Vous terminez le livre sur la lagune par une déclaration d’amour et d’admiration pour Aristote. Qu’est-ce que vous révérez le plus ?

    Son courage. Aristote est la première personne, pour autant que l’on sache, à être allé sur le rivage, à avoir ramassé un mollusque, à regarder à l’intérieur et à demander ce que c’est. Il est le premier à avoir pris non seulement ces êtres mous et méprisés qui relèvent généralement des bouchers ou des poissonniers, mais aussi tous nos processus physiologiques, même si ce n’est pas toujours joli à voir, et à avoir affirmé : peut-être que ces choses nous dégoûtent, mais ça ne devrait pas être le cas, car elles ont aussi une certaine beauté. Et ça demande du courage. C’est l’audace qu’il faut pour lancer l’étude d’un nouveau monde, qui était en réalité sous nos yeux depuis toujours. C’est ce que j’aime chez lui.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise, en 2014 au moment de la sortie du livre La Lagune : Et Aristote inventa la science…

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