Le site néolithique de Drumadoon, en Écosse, dévoile un nouveau pan de son histoire
Un site cérémoniel daté de l'Âge du Bronze, seul exemple complet d'un cursus néolithique en Grande Bretagne, a été découvert à Drumadoon, sur l'Île d'Arran.
Les pierres de Machrie Moor situées sur l’Île d’Arran en Écosse, photographiées en juin 2017.
Au mois d’août 2023, un site de procession cérémoniel dont la construction remonterait au néolithique a été découvert par des archéologues de l’Université de Glasgow, Birkbeck, Bournemouth, Reading et Archaeology Scotland. Le cursus d’Arran, particulièrement bien conservé, est le cursus néolithique le plus complet découvert en Grande Bretagne, bien que de nombreux autres sites aient été retrouvés par le passé.
ARRAN, UNE ÎLE AUX TRÉSORS NÉOLOTHIQUES
Le site de Drumadoon tire son nom du gaélique anglicisé qui signifie « fort sur la crête », probablement hérité d'une fonction de surveillance côtière postérieure aux origines du site, explique Darko Maričević, archéologue de l’Université de Reading, qui a travaillé sur le nouveau site de fouilles découvert au mois d’août, mais a également effectué une série de recherches préliminaires à Drumadoon. Ce site daté du néolithique se trouve le long de la côte sud-ouest de l’île d’Arran, septième plus grande île d’Écosse.
Elle se trouve sur une limite géographique qui sépare les régions des Highlands (« hautes terres ») au nord, marquées d’un héritage culturel celte et gaélique ancré dans les paysages sauvages ondoyants entre montagnes et vallées glaciaires, des « Lowlands » au sud, qui se distinguent de cette terre du nord également connue pour sa lande à moutons et l’exploitation forestière, par une activité agricole intense et une ouverture aux échanges commerciaux et culturels historiquement établis, notamment avec l’Angleterre.
Carte géologique et écologique de l’île d’Arran datée de 1859. Cette carte retrouvée dans Geology of Clydesdale and Arran inclut également des listes complètes d’espèces, des notes sur les insectes les plus rares d’Arran, ainsi que sur ses paysages et les artefacts mis à jour. Le site récemment découvert se trouve sur la côte sud-ouest, au niveau de la petite pointe représentée en rouge sur fond bleu.
L’île d’Arran vue depuis l’île de Little Cumbrae en 1841.
Arran présente d’impressionnantes formations géologiques, notamment des orgues de pierre, issus d’une ancienne activité volcanique, qui ont été façonnés par la mer et les vents. « On retrouve ce type de formations rocheuses notamment sur les côtes écossaises et irlandaises », explique Nicki Whitehouse, professeure en sciences archéologiques à l’Université de Glasgow, et co-directrice du projet de recherche.
« Ces colonnes de basalte si particulières sont visibles depuis la mer et occupent une place importante dans les légendes et histoires locales », poursuit-elle. Ce n’est probablement pas un hasard si bon nombre de sites cérémoniels se trouvent à proximité de ce type de formations, qui ont eu « une importance dans les périodes d’occupation, particulièrement pour les bâtisseurs », complète son collègue Darko Maričević.
Le vaste cursus néolithique de Drumadoon, « sorte de grande enceinte », commente Maričević, est long d’1,1 km et large d’à peine 40 à 50 mètres. Venant compléter le travail de fouilles, une étude réalisée par spectroscopie LiDAR, une technologie laser qui permet de localiser précisément sous différents types de couverts végétaux d’éventuelles structures archéologiques enfouies, a permis d’identifier « non seulement ce très long monument linéaire, mais aussi tout un ensemble de systèmes et de structures paysagères préhistoriques », explique Whitehouse.
Il est cependant « très inhabituel de retrouver des structures dans de telles dimensions et dans cet état de préservation », précise-t-elle. Le site aurait en effet plus de 5 000 ans. Le travail de datation reste d’ailleurs, selon les deux archéologues, un enjeu majeur de la recherche dans cette zone pour les prochaines années. Sa situation géographique surélevée l’a tenu éloigné des activités agricoles. « Le site n’a pas été labouré aussi souvent » que le reste de la lande environnante, explique Nicki Whitehouse, et les tourbières ont joué un rôle essentiel dans la préservation des ruines en pierres qui ont été retrouvées.
« En regardant le profil du site », explique Whitehouse, « on constate qu’il y a eu au moins deux phases de construction », discernables par des études stratigraphiques des sols qui distinguent des couches inférieures et supérieures marquées. Bien que les archéologues manquent d’éléments de datation précis, un certain nombre d’indices, notamment dans l’agencement, soulignent l’influence d’horizons distincts et successifs qui supposent que « ce site a probablement été construit tout au long de périodes historiques distinctes. »
LES PREMIERS FERMIERS D’ÉCOSSE
Kenny Brophy, co-directeur du projet de recherche et archéologue à l’Université de Glasgow, explique dans un article paru dans The Guardian que les bâtisseurs de ce site étaient liés par un « ciment social phénoménal », durable dans le temps, si l'on en croit les estimations du nombre d’années nécessaires pour élaborer un complexe de cette taille. Le site, qui n’a pour le moment été fouillé qu’à 1 % de sa superficie totale, semble en effet avoir été porté par la vision d’un « chef religieux ou politique ».
Ce site a été bâti par un groupe de fermiers, certainement sur plus d’une dizaine d’années. Il est difficile de déterminer l’origine de ces groupes qui se sont installés à Arran. Ils provenaient probablement du continent, et se seraient installés sur cette île à l'emplacement stratégique, à la frontière de deux régions, bénéficiant des avantages de la terre ainsi que de la pèche.
Données cartographiques obtenues grâce au laser LiDAR qui à scanné le site de Drumadoon. Le cursus de procession cérémoniel néolithique est marqué en rouge, tandis que les restes d'installations agricoles alentours sont indiqués en vert.
Le cursus devait alors permettre aux communautés installées sur cette partie de la côte sud-ouest de traverser les paysages de la lande pour des activités processionnelles, sans doute pour des rituels mortuaires, ou encore « suivre un calendrier rituel annuel », suggère Darko Maričević. « Arran est un endroit très particulier », abonde Nicki Whitehouse, notamment en raison de l’importante concentration de vestiges archéologiques de différentes époques, de l’âge du bronze à l’âge du fer. « Mais je pense que bien d’autres sites sont aujourd’hui enfouis sous la tourbe ».
Les scientifiques tentent toujours d’expliquer le lien apparent qui existait entre Drumadoon et d'autres sites. « Sur la partie nord du cursus de Drumadoon on peut voir le cercle de pierre de Machrie Moore », fait remarquer Maričević. Que cette construction ait été contemporaine ou postérieure au cursus néolithique ne change pas le fait qu’aux yeux des archéologues, cette organisation de l’espace ne s’est pas établie par hasard. Les sites formaient un « paysage cérémoniel » et étaient d’une façon ou d’une autre reliés entre eux.
« Drumadoon offre l’opportunité d’étudier les éléments rituels du paysage d’époque parallèlement au paysage domestique et agricole », reprend Whitehouse. L’archéologue souligne qu’il est tout à fait inhabituel d’avoir accès à une vision d’ensemble de ce à quoi pouvait ressembler la vie des gens du commun, bien qu’une grande partie des datations et des liens entre chaque structure reste à préciser.
Les sites découverts sur l’île d’Arran, et plus généralement en Écosse et en Irlande, apportent des indices à propos de la vie des premières communautés de fermiers du Néolithique et de l’Âge du Bronze (3 300 à 1 200 avant notre ère). Ils étaient à cette époque, en contact les uns avec les autres, comme ce fut le cas au Moyen Âge, ainsi qu'au courant de périodes historiques plus récentes.
SUR LES TRACES D’UNE PLUS GRANDE HISTOIRE
Comment ces lieux sont-ils tombés dans l’oubli ? « Il est important de rappeler », interpelle Whitehouse, « que les habitants de la terre de Drumadoon ont été chassés et ont dû cesser l’activité de défrichement des tourbes », seul moyen pour eux de cultiver la lande. Cette zone a été l’une des premières sur l’île d’Arran a avoir été touchées par les « Highland clearances » (évacuation des hautes terres), ou d’un point de vue plus local « l’expulsion des Gaëls ».
« C’est une histoire très connue dans les Highlands », complète Darko Maričević. « Au 18e siècle, cela faisait déjà quelques temps que le système de clans des Highlands se désagrégeait ». Avec l’avènement de plus grandes puissances et l’influence du commerce maritime au niveau des Lowlands, de riches investisseurs se sont intéressés aux terres du nord.
La défaite de l’armée jacobite contre l’armée anglaise, lors de la bataille de Culloden en 1746, donne le coup de grâce à toute une culture. Une partie significative de la population locale a alors immigré vers les Etats-Unis, le Canada, et d'autres parties du monde. Sur l'île d'Arran, les habitants ont eux aussi, dû renoncer à leur mode de vie, leur culture, et quitter leurs terres ancestrales.
Photographie des équipes travaillant sur la section du cursus néolithique du site de fouille.
Le travail de croisement d’une multitude d’informations prenant en compte différentes îles, des monuments cérémoniels et différentes infrastructures mis au jour permet d'œuvrer pour la préservation du patrimoine culturel écossais. « Nous travaillons étroitement avec des communautés locales », souligne Maričević.
Le lien historique qui unit cette terre à une culture occultée est essentiel, et cela se ressent dans la manière dont les fouilles ont été conduites sur le site de Drumadoon. Les derniers habitants ont emporté avec eux les secrets d’une terre qui garde encore aujourd’hui pour elle une grande partie des histoires millénaires qui ont été abandonnées à la lande, laquelle semble néanmoins laisser des indices, notamment aux communautés locales qui s’attachent encore à travailler la terre de manière traditionnelle.
Le projet est dirigé par une équipe interdisciplinaire des universités de Glasgow (Kenny Brophy, Nicki Whitehouse), Birkbeck (Lesley McFadyen), Bournemouth (Emma Jenkins) et Reading (Darko Maričević) ; avec Archaeology Scotland (Gavin MacGregor) travaillant en collaboration avec les universités de Coventry (Michelle Farrell), Birmingham (Henry Chapman), Southampton (Tony Brown, Sam Hudson et Ben Pears) ainsi que Historic Environment Scotland. Des universitaires venus du reste du Royaume-Uni, ainsi que des communautés locales sont également impliqués dans le projet de fouille.