Pourquoi les Gaulois étaient-ils enterrés assis ?
Treize squelettes gaulois ont été retrouvés à Dijon par des archéologues de l’Inrap. Tous ont été inhumés assis.

Fouille en cours de deux sépultures d’individus assis, supposés gaulois par les archéologues de l'Inrap. Ils ont été retrouvés, avec leurs onze autres congénaires rue Turgot, à Dijon, dans la cour d'une école maternelle.
Durant des fouilles préventives menées entre les mois d’octobre et décembre 2024 dans la cour de l’école maternelle du groupe scolaire Joséphine Baker, à Dijon, des archéologues de l’Inrap ont mis au jour en bordure ouest, un alignement de treize inhumations d’individus assis, datant de la période gauloise.
Lors des fouilles, les archéologues ont aussi découvert plusieurs rangées de fosses de plantations qui pourraient dater de la période gallo-romaine ainsi qu’une partie d’une nécropole [un vaste cimetière de très jeunes enfants] datant de la première moitié du 1er siècle », présente Hervé Laganier, responsable de recherche archéologique à l’Inrap.
« Actuellement, la phase d’étude en laboratoire des ossements de ces individus n’a pas débuté », indique-t-il. « Nous ne connaissons pas encore l’âge et le sexe des défunts, ou l’éventuelle existence de pathologies, de carences ou de traumatismes ». En attendant de réaliser une datation au carbone 14 des ossements, voici ce que l’on sait déjà.
DES SÉPULTURES GAULOISES DATANT DE L’ÂGE DU FER
« Sans les résultats des analyses au carbone 14, c’est généralement la datation d'artefacts qui peut permettre de rattacher les défunts à une période donnée », explique Hervé Laganier. Sur le site de Dijon, une unique sépulture contenait des indices : « un élément de parure se trouvait au niveau de l’humérus [le bras] gauche du défunt, à la jonction avec les os de l’avant-bras », décrit l’archéologue.
« Le brassard, d’un diamètre externe de 10,6 cm présente une section en D, [c’est-à-dire une face plate d’un côté et une face arrondie de l’autre, ndlr] et il n’est pas décoré à sa surface », continue-t-il. Il serait fabriqué en roche noire, composée de restes de végétaux fossilisés. L’ensemble des caractéristiques de l’objet « permet de le dater entre 300 et 200 avant notre ère, en plein dans le deuxième âge du Fer ». Selon l’archéologue, c’est un type d’objet assez courant pour la période, que l’on retrouve régulièrement dans les sépultures du Sénonais dans le nord de l’actuel département de l’Yonne et de Champagne.
D’autres indices laissent raisonnablement penser que l’ensemble des défunts mis au jour sont rattachés au deuxième âge du Fer, entre -450 avant notre ère au 1er siècle de notre ère. « L’absence de recoupement entre les dépôts, leur alignement, l’espacement régulier des sépultures, les dimensions des fosses et la position des inhumés correspondent aux pratiques funéraires atypiques pratiquées pendant la période gauloise » confirme Annamaria Latron, archéo-anthropologue à l'Inrap, en charge de l'étude de ces inhumations.
Cette hypothèse est renforcée par la présence, « à proximité immédiate d’une aire dédiée à l’ensevelissement d'animaux contenant vingt-huit chiens, cinq moutons et deux porcs », ajoute Hervé Laganier. Selon Patrice Méniel, directeur de recherche au CNRS, l’aire semble être le témoin d’« un secteur culturel de la fin de la période gauloise ».
Par ailleurs, une douzaine d’autres sites archéologiques en France et en Suisse attestent de traces des mêmes pratiques funéraires atypiques au cours de cette période. Hélas, l’ensemble des sites déjà découverts ne contiennent qu’un corpus assez restreint d’une cinquantaine d’individus, « dont la plupart des sépultures étaient le plus souvent arasées et les squelettes mal conservés », explique l’archéologue. Toutefois, « nous pouvons percevoir sur l’ensemble de ces sites la standardisation d’une pratique funéraire qui semble très codifiée durant cette période ».

Sépulture d'un individu assis en cours de démontage parles archéologues de l'Inrap sur le site de Dijon.
Dans l’organisation générale des tombes, « les sites de La Warde dans les Ardennes, la rue de Plainval/les Rossignols dans l’Oise, le Champs de Bény dans le Calvados et Les Malletons/ La Provenchère en Seine-et-Marne, présentent des alignements de sépultures comme sur le site de Dijon », raconte l’archéologue.
Le choix des individus, lui aussi, semble être homogène à travers les différents sites gaulois. « Les sujets, sont tous des adultes, à l’exception d’un adolescent sur le site de Dijon », témoigne Annamaria Latron.
LE SYMBOLISME DERRIÈRE CES PRATIQUES FUNÉRAIRES
Les treize squelettes ont été retrouvés dans une position assise en tailleur, le dos contre la paroi est de la fosse, le regard tourné en direction de l’ouest. Leurs membres supérieurs sont disposés de part et d’autre du buste en extension, voire en légère flexion. Les membres inférieurs quant à eux sont très fléchis, souvent de façon asymétrique. Quelques individus ont toutefois gardé des ossements des membres inférieurs en extension, les tibias et fibulas placés à l’aplomb des fémurs. Mais l’ensemble semble suivre une mise en scène très codifiée, empreinte de symbolisme.
Le manque de sources littéraires contemporaines de la période concernant ce type de pratiques funéraires, ainsi que les limites inhérentes aux prescriptions archéologiques, ne permettent pas d’appréhender ce type de pratiques dans leur globalité. En revanche, quelques pistes de réflexion peuvent être proposées.
« La standardisation des postures assises et la mise en scène des corps rappelle la position des statuaires celtiques et gallo-romaines de tradition celtique », avance Hervé Laganier. Néanmoins, « quelques différences dans la position des membres inférieurs et supérieurs sont notables ».
« L’archéologue et spécialiste de l’iconographie anthropomorphe de l’âge du Fer, Patrice Arcelin, traduisait la position des statuaires celtiques comme l’expression d’une certaine écoute, réception, voire une vénération », explique Hervé Laganier. Une attitude qui laisserait supposer, selon le spécialiste, le rang particulier des défunts au sein de la communauté. « Ils détiendraient potentiellement le statut de héros, de guerriers, d’ancêtres, de membres d’une élite, de sages, ou encore de dieux », illustre Hervé Laganier.
Cette expression, nous la retrouvons à Dijon. « Le dépôt des défunts semble être codifié, la mise en scène des cadavres est soignée, la sélection des individus est homogène et les tombes sont installées à proximité d’habitats prestigieux ou de sanctuaires », note Annamaria Latron. La théorie d’un statut glorieux ne semble donc pas exclue pour les archéologues de l’Inrap.
LE SITE DE DIJON
Les documents décrivant les nécropoles de la région datant du 4e et 3e siècles avant notre ère permettent aux archéologues de confirmer que « les normes d’ensevelissement et de dépôts tendent à s’uniformiser et la construction de grands sanctuaires à se codifier et se ritualiser, avec la mise à mort d’animaux, la ritualisation de la manipulation des dépouilles et de certains mobiliers », illustre Sylvie Defressigne, spécialiste de la période laténienne à l'Inrap. « Ces sanctuaires semblent avoir une place importante dans la structuration de la société », ajoute-t-elle.
Le site de Dijon n’échappe pas à la règle. « Il permet d’envisager l’existence d’une occupation gauloise d’une certaine envergure, comportant un secteur culturel associé à un habitat important », affirme l’archéologue.
Seule l’analyse prochaine des ossements, que l’équipe de l’Inrap a eu la chance de mettre au jour quasiment complets et bien conservés, et la réalisation d’études approfondies à ce sujet, permettra aux archéologues de vérifier leurs premières interprétations.
Des opérations d’archéologie sur les parcelles voisines du site de Dijon permettraient d'approfondir ces connaissances. « L’objectif est d’appréhender ces sépultures dans leur contexte local et de faire le lien avec l’aire d’ensevelissement d’animaux située une centaine de mètres au nord-ouest pour potentiellement confirmer la présence d’une aire culturelle gauloise dans la région », conclut-il.
