Angleterre : comment sculpte-t-on une statue médiévale au 21e siècle ?

À la cathédrale d’York, en Angleterre, des tailleurs de pierre combinent technologie de pointe et savoir-faire ancestral pour ressusciter des grotesques.

De Roff Smith
Publication 19 févr. 2025, 14:01 CET
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Au fil des siècles, de nombreux ornements en pierre de la cathédrale gothique d’York, en Angleterre, se sont érodés. Cela a nécessité ou bien des restaurations ou bien des remplacements. La création de cette nouvelle grotesque a nécessité un savoir-faire de spécialiste et une approche créative, car certains ornements avaient disparu avec le temps.

PHOTOGRAPHIE DE Tom Jamieson

Par une matinée humide de printemps, dans la ville anglaise d’York, un groupe d’écoliers s’arrête devant l’emblématique cathédrale de cette cité ancienne, le York Minster. Soudain, ils se mettent à glousser et échangent des regards gênés. Construite sur une période de 250 ans et consacrée en 1472, il s’agit de la plus grande cathédrale gothique de Grande-Bretagne. Elle se distingue par ses trois tours médiévales ornées de vitraux étincelants. Mais les enfants sont davantage fascinés par une chose se trouvant à la lisière du chantier des tailleurs de pierre, à l’extérieur de l’édifice, une chose qui leur rend leur regard : une grande statue de pierre à l’effigie d’une créature bestiale en train de crier et de se tenir la tête tandis qu’une grenouille bondit hors de sa bouche.

Pesant une demi-tonne environ, cette sculpture tout juste achevée est un exemple classique de grotesque médiévale, un style d’ornement architectural que l’on ne voit généralement que de loin. Au Moyen Âge, les grotesques étaient placées au sommet d’édifices religieux en compagnie de gargouilles non moins saugrenues ; la différence cruciale étant que les gargouilles sont un style de grotesques servant de gouttières.

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Des tailleurs de pierre, accompagnés d’apprentis comme Freya de Lisle (ci-dessus), utilisent des outils tels que des ciseaux pour restaurer les reliques médiévales de l’église.

PHOTOGRAPHIE DE Tom Jamieson

Ce monstre-là avait été sculpté à la main par l’un des douze tailleurs de pierre à temps plein du York Minster dans un bloc de calcaire de 685 kilogrammes extrait dans la région. Il s’agit donc en essence d’une réplique moderne. Une fois hissé sur l’un des contreforts de la cathédrale, il remplacera une statue similaire érodée par des siècles de vent et de pluie au point de n’être plus qu’un amas sans visage.

« Nous essayons de remplacer à l’identique », indique Lewis Morrison, tailleur en chef qui a passé quatorze semaines à sculpter la statue. Ce dernier reconnaît toutefois que même lui n’était pas complètement certain qu’une grenouille ait fait partie de la création originelle. « Elle était si usée qu’on ne pouvait pas distinguer grand-chose si ce n’est sa pose, avec la main levée à côté de la tête », explique-t-il.

Les tailleurs de pierre de la cathédrale d’York doivent trouver un équilibre délicat quand ils restaurent des reliques architecturales de ce type. Ainsi, en plus de pratiquer les techniques consacrées de la sculpture sur pierre, ils ont appris à exploiter le pouvoir de la technologie moderne tout en s’accordant une part de licence artistique éclairée par des connaissances historiques.

Pour recréer l’abominable grotesque, par exemple, Lewis Morrison et son équipe sont montés sur le toit de la cathédrale où ils ont utilisé un appareil photo capable de prendre des images en haute résolution qui peuvent être assemblées pour former un modèle en 3D et ainsi obtenir un rendu des dimensions exactes de la statue. Ensuite, ils ont sculpté un modèle en polyuréthane de l’original érodé pour avoir une copie de référence reprenant les mêmes lignes, proportions et silhouettes que l’ancienne statue.

Lewis Morrison a ensuite passé plusieurs semaines à étudier plusieurs grotesques à la pose similaire présentes sur la cathédrale et à parcourir des manuscrits illustrés du 14e siècle avant de trouver un thème et une forme. Il a fini par choisir le thème intemporel du bien et du mal : la créature se tient la tête lors de sa malencontre avec la grenouille, un symbole démoniaque dans le folklore médiéval. Mais les spectateurs devraient également remarquer que la créature tient dans l’autre main un poisson, symbole de la chrétienté.

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    Le pinacle méridional de la cathédrale est orné de plusieurs grotesques et gargouilles érodées à des degrés divers. Qu’est-ce qui distingue une grotesque d’une gargouille ? Une gargouille comporte une gouttière.

    PHOTOGRAPHIE DE Tom Jamieson

    Une fois le design approuvé par l’architecte de la cathédrale, le processus lent et intime du sculptage a débuté. Les homologues médiévaux de Lewis Morrison l’auraient immédiatement reconnu, car celui-ci implique les mêmes outils, le même calcaire pâle et le même tintement musical de l’acier sur la pierre – cling, cling, cling ! – qui résonne à travers le chantier.

    Cela fait plus de 200 ans qu’il existe à la cathédrale d’York un chantier permanent de tailleurs de pierre. Celui-ci existe dans le cadre d’un programme continu de restauration et de réparations entamé à la fin du 18e siècle. « C’est une tâche sans fin », déclare Alex McCallion, directeur des travaux et des environs de la cathédrale. « Nos échafaudages suivent un cycle de rotation de cent ans. »

    De nos jours, cependant, ces méthodes de restauration continuent à évoluer. La cathédrale a récemment ouvert un nouvel espace de travail pour ses artisans : le Centre d’excellence pour les compétences traditionnelles et la gestion immobilière, une installation dernier cri ayant coûté plus de 10 millions d’euros qui se trouve juste à l’angle de la cathédrale. Cet atelier est équipé de scies à pierre contrôlées par ordinateur qui permettent de façonner grossièrement les blocs de calcaire ainsi que de scanners laser et d’un logiciel pour aider à la mesure et à la modélisation virtuelle des créations. Ces outils peuvent être utilisés non seulement pour répliquer des artefacts mais également pour en créer de nouveaux, comme cette statue de près de deux tonnes de la reine Élisabeth II, sculptée à partir d’un bloc de calcaire français, qui se trouve désormais à l’extérieur de la cathédrale, au niveau de son extrémité occidentale.

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    En plus de techniques et d’outils éprouvés, les tailleurs de pierre Harriet Pace et Aaron Rowntree utilise les nouvelles technologies, notamment la modélisation en 3D, dans leur travail sur les ornements de la cathédrale d’York.

    PHOTOGRAPHIE DE Tom Jamieson

    « C’est un grand pas dans le futur pour nous, affirme Alex McCallion. Même si nous n’abandonnerons pas nos racines dans l’artisanat traditionnel. Chaque pièce que nous réalisons sera toujours finie à la main, avec les mêmes outils, maillet et ciseau, que nous avons toujours utilisés. Il est vital que nous ne perdions pas d’humanité. »

    Comme la nouvelle grotesque, la statue de la reine devrait subsister plusieurs siècles. Mais il y a toujours plus de travail à faire pour faire en sorte que bien d’autres créatures sortent du chantier des tailleurs.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com.

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