Découverte d'une mystérieuse mosaïque en coquillages dans les souterrains de Rome
Parée de fragments marins, cette mosaïque murale unique en son genre porte les marques de noblesse de l’une des plus puissantes familles de Rome en son temps. Enfouie depuis plus de deux millénaires, elle vient de refaire surface.
Après cinq années de recherches, une nouvelle pièce a été découverte au sein de la domus del Vicus Tuscus : un Specus aestivus, ou grotte d'été. L’un des murs est paré d’une mosaïque exceptionnelle en coquillages qui raconte les exploits militaires du propriétaire des lieux.
Ensevelie à deux pas du Colisée, aux abords du mont Palatin, repose depuis plus de 2000 ans une somptueuse domus romaine : la Domus Vicus Tuscus. Cet édifice construit avant l’avènement de l’Empire Romain, au temps de la République vers le 2e siècle avant notre ère, révèle au terme de cinq années de fouilles son lot de trésors et de secrets.
Parmi eux, une exceptionnelle salle de banquet estivale conçue sous forme de grotte, et arborant une mosaïque murale unique au monde. Toute parée de coquillages, nacres et coraux, l'oeuvre étonnamment bien conservée, a été révélée au grand public par le Ministère de la Culture italien en décembre 2023.
ENSEVELIE SUR LE FLANC DU MONT PALATIN
En 2018, les archéologues du Parc archéologique du Colisée, dirigés par Alfonsina Russo, ont déterré les premiers murs d’une antique domus romaine. Au fil des années de recherches, plusieurs étages ont été mis au jour. Les études stratigraphiques ont permis d’identifier trois phases de construction entre la seconde moitié du 2e siècle avant notre ère, et la fin du 1er siècle avant notre ère.
« Cette maison était l’une des nombreuses riches demeures construites sur le flanc du mont Palatin à cette époque », explique l'archéologue en chef. Ce type de résidence luxueuse que l’on trouve dans la région du nord-ouest du Palatin est généralement attribué à de grandes familles de sénateurs ou d’aristocrates romains. Bâties en plein coeur de Rome, les domus sont en effet réservées aux citoyens les plus riches de la cité, se distinguant ainsi des villas que l’on retrouve en province.
Parmi les nombreuses pièces, les archéologues cherchent encore l’identité du propriétaire de cette luxueuse demeure.
La Domus del Vicus Tuscus avait cependant, semble-t-il, une place toute particulière à en juger par les récentes découvertes. « La domus a été anéantie par les Horrea Agrippiana, les célèbres entrepôts construits par Agrippa [ancien consul et général romain, ndlr], gendre de l’empereur Auguste », retrace Alfonsina Russo. Mais, protégée au fil des siècles par l’accumulation de boue et de terre issue de l’érosion de la colline du Palatin, la domus a pu préserver en son sein une pièce tout à fait remarquable dans un état de conservation exceptionnel.
Les archéologues ont découvert ce qu’ils qualifient de Specus aestivus, ou grotte d'été, parcourue de quelques tuyaux d’irrigation en plomb serpentant entre des murs finement décorés. Cette salle de banquet à la forme si particulière était le théâtre de festivités estivales à l’occasion desquelles les convives profitaient de magnifiques jeux d’eau. Associant le goût du luxe et du raffinement à la douceur des mets, musiques et agréables distractions, l’hôte de maison transportait de ravissement ses convives devant une mosaïque unique au monde.
DES COQUILLAGES POUR LA GLOIRE ET LE PRESTIGE
Étendue sur plus de cinq mètres de long, cette mosaïque murale, entièrement conservée, est unique à bien des égards, lesquels témoignent tous de la prospérité, mais aussi de l’influence considérable du propriétaire des lieux.
D’une part, cette mosaïque dite « rustique » réalisée au cours des dernières décennies du 2e siècle avant notre ère, n’est pas composée de tesselles traditionnelles. « Les matériaux utilisés sont très précieux, reprend la directrice des fouilles. Il y a du bleu égyptien, du corail probablement récolté dans la mer Rouge et, surtout, une grande quantité de verre polychrome caractérisé par différents types de travaux à chaud (millefiori ou « ruban »). On retrouve également une rare pâte de verre bleuâtre dans le design qui provient probablement de l'ancienne ville égyptienne d'Alexandrie. »
Ces matériaux exotiques et colorés comme les tesselles de bleu égyptien, étaient particulièrement prisés et difficiles à se procurer. Fait d’autant plus marquant dans le cas du verre à cette époque antérieure à l'invention de la sarbacane qui ne survient qu’au milieu du 1er siècle avant notre ère. « Le choix de ces matières rares et lointaines témoigne d’un phénomène de mode typique de cette période : la luxuria asiatique qui s'inspire du goût et des richesses des dirigeants hellénistiques et orientaux. »
Cette mosaïque murale est réalisée à partir de matériaux rares, importés de destinations orientales, notamment d’Égypte et de la mer Rouge.
D’autre part, il s’agit d’une mosaïque murale. « Ce sont des ouvrages assez rares, de par la complexité technique de leur réalisation, souvent réservés aux fontaines ou aux thermes, explique Alix Barbet, archéologue et directrice de recherche honoraire au CNRS. Il est bien plus fréquent de retrouver des mosaïques de sol faites de tesselles noires et blanches. »
La précision des détails des différents éléments représentés, vignes, feuilles de lotus, tridents, trompettes, casques et autres créatures marines mythologiques, est complexifiée par une pose verticale des tesselles. Le commanditaire de cette ambitieuse mosaïque devait donc disposer de moyens considérables pour pouvoir se procurer des matériaux aussi rares et faire appel à des artisans expérimentés.
UN ÉTONNANT RÉCIT DE BATAILLE NAVALE
Il existe quelques autres rares exemples d’antiques mosaïques murales en coquillages, notamment au niveau de fontaines à Herculanum dans la maison de Neptune et Amphitrite ou encore à Pompéi dans la maison dite de la Grande Fontaine. « Généralement, ces mosaïques représentent de simples scènes aquatiques avec des références au dieu Neptune, » fait remarquer Alix Barbet.
Mais la mosaïque de la Domus del Vicus Tuscus représente des scènes de batailles navales très probablement financées et remportées par le commanditaire et propriétaire des lieux. « C’est unique ! Il n’y a à ma connaissance pas d’autre mosaïque murale de ce type qui représente ce genre de scènes » s’émerveille Alix Barbet.
La partie supérieure de la mosaïque représente des bateaux encerclant une cité fortifiée. Elle est érigée en haut d’une falaise en bord de mer, entourée d’un paysage du genre hellénistique-alexandrin. « Cette scène pourrait évoquer une bataille navale dont les trophées aux références celtiques, entre autres armes (flèches, épées, boucliers, casques, tridents etc.) et carnyx (trompette gauloise à tête de dragon), sont exposés au-dessous », ajoute-t-elle.
Plan rapproché de la mosaïque de la Domus del Vicus Tuscus. On peut y admirer les « trophées » de guerre du propriétaire faisant référence à la bataille navale autour de la ville fortifiée représentée sur la partie haute de la mosaïque.
« Ces ornements font peut-être allusion à un double triomphe, terrestre et naval, précise Alfonsina Russo. Le type d'armes pourrait indiquer des batailles menées contre des populations de souche celtique, tandis que les navires ramèneraient à des scénarios de conflits navals méditerranéens. » L’archéologue souligne qu’il s’agit d’ailleurs probablement d’une représentation de scène de conquête ou de réorganisation administrative d’une ville ou d’une région.
Sénateur romain ou richissime mécène aristocratique, le propriétaire de la Domus del Vicus Tuscus était un personnage influent, riche et puissant. Il a fait ériger un véritable monument commémoratif en l’honneur de ses victoires militaires contre un ennemi lointain, d'ailleurs rarement représenté à Rome à cette époque, au sein de sa propre salle de banquet.
À ce jour, les archéologues tentent toujours de percer les secrets de son identité et de comprendre les détails de ses exploits militaires.