Découverte de "l'Atlantide du nord" en mer de Wadden
Des équipes de chercheurs ont découvert les vestiges d’une cité médiévale engloutie sous les eaux de la mer des Wadden, au nord des côtes allemandes.
Les îles Frisonnes s’étendent du nord-ouest des Pays-Bas à l’ouest du Danemark en passant par l’Allemagne. Bien qu’elles soient considérées comme une seule entité physique, elles sont divisées en plusieurs sections, entre frises occidentale, orientale et septentrionale. L’archipel de la Frise du Nord ici photographiée, est divisé en quatre grandes îles, Sylt, Föhr, Amrum et Pellworm, situées entre l’Allemagne et le Danemark.
Perdue dans la mer du Nord depuis 661 ans, la cité médiévale de Rungholt pourrait bien avoir été retrouvée. Des équipes de chercheurs allemands ont mis au jour les restes de ce qui devait être l’une des plus importantes églises de la région. Cette cité prospère, qualifiée d’« Atlantide du nord », a été engloutie par une impressionnante tempête en 1362, et ne subsistait plus que dans les légendes et documents faisant mention de la puissance de cette cité qui aurait été victime d’un « châtiment divin ».
DÉCOUVERTE D'UNE CITÉ MÉDIÉVALE ENGLOUTIE
Le 23 mai 2023, une équipe de chercheurs composée de géophysiciens, de géographes et d’archéologues allemands rattachés à des projets interdisciplinaires pilotés par l’Université Christian Albrecht de Kiel, l’Université Johannes Gutenberg de Mayence, l’Office archéologique du Schleswig-Holstein et le Centre d’archéologie baltique et scandinave a fait une découverte qui interrogeait les archéologues depuis plus d’un siècle. Ils ont localisé les fondations d’une église, alors probablement l’une des plus importantes de la région, parmi les vestiges identifiés dans la zone ensevelie de la Frise septentrionale.
La fascinante cité médiévale de Rungholt, engloutie par la mer du Nord en 1362, est mentionnée dans des documents historiques, et est très encrée dans les légendes nordiques. Les archives, qu’elles soient historiques ou bien littéraires, parlent d’une cité prospère qui jouait un rôle commercial et religieux essentiel dans l’Europe médiévale du nord. Hanna Hadler, docteur en géographie à l’Institut de géographie de l’Université de Mayence, explique qu’il s’agissait d’une « ville importante en son temps ». On y faisait commerce, dont celui du sel qui était une denrée rare dans les temps médiévaux. Rungholt avait de « nombreuses connexions avec des villes allemandes comme Hambourg, mais aussi avec des villes plus lointaines, notamment en Belgique ». Mis à part son important rôle commercial, il apparaît que nous ne savons rien de cette riche cité. L’évènement catastrophique de la tempête de 1362 a conduit à une mystification de ce lieu. « C’est ce qui a fait survivre cette ville dans la mémoire jusqu’à aujourd’hui », ajoute Hanna Hadler. Sans ces spécificités, la ville « serait tombée dans l’oubli ».
Un véhicule d’arpentage léger fournit, entre terre et mer, une cartographie magnétique à grande échelle des traces d’anciennes cités médiévales enfouies en 1362.
Les chercheurs ont mis au jour une chaîne de terps (élévations artificielles) de deux kilomètres de long au large de l’île de Südfall. L’une de ces élévations présente une structure qui a été identifiée grâce à des méthodes de projection géophysique comme les fondements d’une église. Cette technique permet de sonder les anciennes structures les plus lourdes qui ont laissé une trace dans la topographie du paysage, de passer d’une zone à l’autre, en s'adaptant aux aléas de la marée qui recouvre deux fois par jour les sites de fouilles.
L’étude par cartographie magnétique permet d’obtenir « une sorte de carte qui permet de voir sous le sable et la boue » et d’établir des cartes géophysiques pour repérer précisément les structures enfouies. Les scientifiques sont ainsi parvenus à identifier 54 terps, incluant des emplacements d’éléments comme des systèmes de drainage, des digues, un port, ainsi que plusieurs petites églises. L’église récemment découverte, étant donné sa taille, était probablement celle de Rungholt.
C’est en cela que « cette découverte est particulière » explique la géographe chargée des études de reconstitution des anciens paysages. Dans un communiqué, l’archéologue Ruth Blankenfeldt explique que « la particularité de la découverte réside dans l’importance de l’église en tant que centre d’une structure de peuplement, dont la taille doit être interprétée comme une paroisse avec une fonction supérieure ».
« On ne peut avec une grande certitude affirmer qu’il s’agit de la fameuse cité de Rungholt. Ce n’est pas possible tant que nous n’avons pas trouvé d’inscriptions sur des pans de murs ou des pierres », nuance le docteur Hanna Hadler. Cependant, compte tenu de la taille des emplacements, tout indique qu’il s’agissait d’une cité prospère et potentiellement centrale dans cette région à l’époque médiévale. « Selon moi, il s’agit de Rungholt, mais nous ne serons probablement jamais capables de le prouver ». La géographe explique que la suite des recherches consistera à en apprendre plus « sur les interactions qui existaient entre Rungholt et les plus petits villages de la région ».
« GROTE MANDRÄNKE » : QUAND L’HOMME EST ARTISAN DE SA PERTE
« Ce n’est pas la seule zone submergée », explique Hanna Hadler. « En 1362, la majorité du paysage a été engloutie dans la mer du Nord ». L’inondation de Saint Marcellus, ou Grote Mandrenke (« la grande noyade »), en 1362, a causé des dizaines de milliers de morts chez les peuples frisons qui habitaient les Îles Britanniques, les Pays-Bas, le nord de l’Allemagne (où se trouvait Rungholt, sur l’île de Strand) et le Danemark.
Selon les textes d’époque, le cyclone extratropical aurait sévi pour la deuxième fois le long de la Frise Occidentale, le 16 janvier 1362, le jour de la fête de Saint Marcellus. Une tempête similaire aurait en effet eu lieu le même jour en 1219, faisant plus de 30 00 morts et fractionnant une grande partie du continent en une multitude des petites îles immersibles.
Carte de la « Frise du Nord » vers 1240 avant la tempête de 1362. Les lignes rouges indiquent l’emplacement des côtes au moment de la réalisation de la carte.
Cependant, cette tempête n’est pas la seule responsable du funeste destin de la cité de Rungholt et des habitants des côtes qui bordaient la mer du Nord à cette époque. Une suite de décisions d'urbanisme a sans doute amplifié la gravité des conséquences de la catastrophe naturelle. Un temps long, au cours duquel les habitants auraient été les artisans de leur propre perte. Pour exemple, les digues, essentielles pour contenir les eaux dans cette région aux sols particulièrement humides, ne s'élevaient que jusqu’à environ 2,5 mètres au-dessus du niveau de la mer.
Il y a par ailleurs eu un processus naturel d’enfoncement des sols. « Les couches les plus profondes sont assez meubles, donc la totalité de la terre s’est simplement effondrée ». Cependant, Hanna Hadler insiste sur le fait que « la totalité de la zone était exploitée par l’Homme ». Elle ajoute que les « habitants creusaient profondément pour leurs activités agricoles ». Les activités humaines ont fragilisé tout un équilibre géophysique.
Il ne s’agissait pas d’une cité médiévale qui ressemble à ce à quoi on pourrait s’attendre. Il y avait de nombreuses petites collines artificielles « typiques de cette région côtière », explique Hanna Hadler. « Il faut imaginer que tout était plus ou moins humide. Les cultivateurs, pour se protéger des inondations quotidiennes, […] devaient se réfugier sur ces élévations. On retrouve des structures similaires aux Pays Bas et en Belgique où les habitant érigeaient des rangées de petits monts ». En drainant et en creusant les sols pour l’agriculture, mais également en détériorant son substrat, avec notamment la coupe des tourbières, qui servaient alors en partie à se chauffer, les habitants de cette région ont exposé leurs villages, leurs bétails et leurs terres, les rendant plus vulnérables aux inondations déjà fréquentes.
Une succession de tempêtes a progressivement grignoté les côtes, fragilisant ou détruisant les digues, et permettant également à l’eau de creuser de larges cours dans les vasières, ce qui a augmenté le processus d’érosion de la côte, avec l’effet de marée. En retirant la terre de la surface, laquelle se trouvait déjà pratiquement au niveau de la mer, les paysans ont offert à l’eau un passage pour s’infiltrer beaucoup plus rapidement. « Je ne sais pas s’ils l’ignoraient ou s’ils choisissaient de l’ignorer », s’interroge la géographe, « mais pour pouvoir utiliser cette terre, ils ont dû pomper la zone. Et le sol s’enfonçait de plus en plus en plus, à mesure que le niveau de la mer montait ». Les habitants ont créé une sorte de cuvette dans laquelle l’eau s’est brusquement engouffrée lors de la tempête, sans qu’ils puissent faire quoi que ce soit.
Rungholt, cette Atlantide du nord, est un exemple flagrant des effets des modifications humaines sur le paysage au fil des siècles. En se retirant, la mer a laissé un paysage totalement transformé et a créé des vasières qui sont aujourd’hui le berceau d’une biodiversité abondante, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.