Attila, le barbare qui défia Rome
En cet été 451, le général romain Aetius entend mettre un terme à la marche du roi des Huns à travers les Gaules. Le face-à-face qui se prépare va-t-il décider du sort de l’Occident ?
Cet article a initialement paru dans le magazine Histoire et Civilisations. S'abonner
En juin ou juillet 451, dans une plaine située près de Troyes, les armées d’Aetius défont les cavaliers huns. Dernière grande victoire des Romains d’Occident sur les « Barbares », la bataille des champs Catalauniques doit surtout sa célébrité à l’un de ses protagonistes, Attila, roi des Huns, dont la terrible réputation frappa les esprits contemporains et traversa les siècles. Pourtant, force est de constater que les données archéologiques la concernant sont rares et que les sources littéraires ne nous donnent que peu de détails à propos de son contexte et de son déroulement. Tout au plus se contentent-elles généralement de la mentionner. Le récit le plus détaillé provient d’un auteur qui n’est pas contemporain des faits, Jordanès, qui écrivit une Histoire des Goths vers 550, à Constantinople. Il faut donc utiliser son récit avec précaution.
Les Huns sont apparus brutalement en Ukraine à partir de 375. Le déplacement vers l’Ouest de ce peuple nomade venu d’Asie provoqua d’importants mouvements de populations fuyant devant les assauts des cavaliers huns. Leur première apparition dans la partie occidentale de l’Empire date de 425. Le général Flavius Aetius, qui est partisan de l’usurpateur Jean et a été otage chez les Huns durant sa jeunesse, est allé chercher du soutien auprès de ces derniers. Lorsqu’il revient à la tête d’un contingent important de cavaliers huns, Jean a été tué par l’empereur légitime, Valentinien III. Ce dernier achète Aetius en lui offrant un poste important et donne de l’or et des cadeaux aux Huns pour qu’ils rentrent chez eux.
Par la suite, les Huns ont entretenu des liens privilégiés avec Aetius, qu’ils ont aidé de 436 à 439 dans la guerre contre les Wisigoths, installés en Aquitaine depuis 418, ou encore de 435 à 437 contre les Armoricains.
Mais un changement de politique majeur a lieu en 451 : Attila a décidé d’envahir les Gaules. Attila n’a pas pris la décision à la légère, et plusieurs raisons peuvent être avancées pour l’expliquer. Certains historiens mettent en avant l’influence du médecin Eudoxe, l’un des chefs de la révolte des bagaudes, réfugié auprès d’Attila en 448. Ce que l’on a appelé l’affaire des vases d’or de l’évêque de Sirmium, qui remonte à 441/442, a aussi contribué à détériorer les relations entre Attila et la cour impériale de Ravenne. Mais la cause immédiate est une démarche d’Honoria, la sœur de Valentinien III.
Compromise dans un complot contre son frère, elle envoie au printemps 450 à Attila son eunuque Hyacinthe porteur de son anneau et d’un message sollicitant son aide. Attila considère qu’il s’agit d’une demande en mariage ; vers août 450, il demande à Valentinien III sa sœur, ainsi que la moitié des territoires occidentaux de l’Empire romain comme dot, ce que l’empereur ne peut que refuser. Outre cette demande d’Honoria, ce qui a pu pousser Attila à se tourner vers l’Occident, et plus particulièrement vers les Gaules, est l’attitude du nouvel empereur en Orient, Marcien, arrivé au pouvoir en juillet 450. Il a en effet décidé de ne plus payer le tribut annuel très élevé imposé aux Romains d’Orient par Attila lors de la paix de 448.
Or, Attila a besoin d’argent, et les Gaules, qui sont un territoire riche mais divisé, lui paraissent une proie facile. Les trois protagonistes de la bataille des champs Catalauniques sont Aetius et Théodoric Ier, le roi des Wisigoths, du côté romain, et Attila pour les Huns. Né vers 390, Aetius est depuis 435 patrice et commandant en chef des armées d’Occident. Il connaît bien les Huns, qu’il a employés à de nombreuses reprises et chez lesquels il s’est réfugié en 432, lorsqu’il est tombé en disgrâce. Attila a vraisemblablement cherché l’alliance de Théodoric, mais ce dernier a finalement rejoint les Romains. Il est accompagné de deux de ses fils, Thorismond et Théodoric.
PETITE TAILLE ET PETITES YEUX
Les troupes romaines se trouvent en Italie et y restent, afin de pouvoir la protéger si jamais Attila fait mouvement de ce côté. Aetius est donc contraint de réunir d’autres troupes en Gaule même. Ses forces, qui doivent compter 40 000 à 50 000 hommes, sont composées de sa garde personnelle à cheval, de Francs, de Sarmates, de Burgondes, de Saxons, d’Armoricains et d’autres peuples. Si les Sarmates sont des cavaliers lourds, les autres sont pour l’essentiel des fantassins. Aetius peut également compter sur 3 000 fédérés alains, des cavaliers lourds installés dans l’Orléanais (qui n’ont pas manifesté beaucoup de zèle lorsqu’Attila attaqua Orléans), et donc sur le roi Théodoric et ses Wisigoths, surtout des cavaliers, au nombre de 20 000 à 25 000. Du physique d’Attila, nous n’avons que la description de Jordanès : « Sa taille était plutôt petite, sa poitrine large, sa tête forte. De petits yeux, la barbe clairsemée, les cheveux parsemés de blanc, le nez camus, le teint brunâtre, il reproduisait toutes les particularités de sa race. » Âgé d’une cinquantaine d’années, Attila n’est en effet plus tout jeune en 451. Il a manifestement les traits mongoloïdes, ce qui n’est pas le cas de tous les Huns, qui forment en réalité un ensemble composite.
Pour ce qui est de son aspect moral, Jordanès écrit qu’il avait une démarche orgueilleuse, qu’il aimait les batailles, mais économisait ses coups, qu’il avait un jugement excellent et qu’il était bon envers ceux auxquels il avait accordé sa protection. Cet auteur évalue les forces d’Attila à 500 000 hommes, ce qui est beaucoup trop. Il faut plutôt penser à une armée de 40 000 à 50 000 hommes. Les troupes d’Attila sont constituées de ses propres hommes, les cavaliers huns, et de ses alliés. Ces derniers sont pour l’essentiel des Ostrogoths (sans doute 18 000 à 20 000 hommes) et des Gépides (au moins 10 000 hommes), ainsi que de nombreux autres peuples, dont des Hérules, des Alains, des Suèves et des Thuringiens.
Les Huns sont avant tout des cavaliers légers armés d’un arc composite ; les Ostrogoths forment quant à eux la cavalerie lourde, tout comme les Alains ; les Hérules constituent l’infanterie légère, et les autres peuples fournissent cavalerie et infanterie. Pour entrer en Gaule, Attila a traversé le Rhin sur un pont de bateaux, peut-être à la hauteur de Mayence. Il saccage Trèves et atteint Metz, qu’il incendie et dont il massacre les habitants le 7 avril 451. Puis il va peut-être vers Paris sans s’y arrêter et se dirige vers Orléans, ville stratégique, à la fois nœud routier et point de passage clef sur la Loire. Aetius et ses alliés interviennent à temps, le 14 juin, pour sauver la ville déjà prise, mais pas encore pillée par les Huns. Attila n’avait jusqu’alors rencontré aucune résistance, preuve qu’Aetius mit longtemps à rassembler ses troupes et à persuader Théodoric Ier de se joindre à lui. Après cet échec, Attila repart en direction de Reims, poursuivi par l’armée ennemie.
UN BÛCHER AU MILIEU DU CAMP
Les sources désignent le lieu de l’affrontement par les expressions campus Mauriacus et campi Catalaunici ; on le situe aujourd’hui à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Troyes, peut-être à Montgueux ou Moirey. On ne connaît pas la date exacte de la bataille, qui a dû se dérouler entre fin juin et début juillet 451. Les armées, déployées en ligne, se font face. Aetius place ses troupes sur l’aile gauche, Théodoric et ses Wisigoths constituent l’aile droite, à la place d’honneur. Les Alains sont placés au centre, Aetius n’étant pas très sûr de leur loyauté. Attila, quant à lui, place ses cavaliers huns au centre, les Ostrogoths et les Gépides sur sa gauche, face aux Wisigoths, et les autres troupes, l’infanterie pour l’essentiel, sur sa droite, en face des troupes d’Aetius.
La bataille commence autour de 15 h par une attaque d’Attila qui, avec ses cavaliers huns, souhaite couper l’armée adverse en deux et déloger l’ennemi de la colline qu’il occupe. Cette manœuvre échoue, et Attila est obligé de se replier. Le combat s’engage ensuite entre les différentes cavaleries, l’infanterie n’intervenant que peu.
Théodoric est tué dès le début ; loin d’être démoralisés, les Wisigoths veulent venger la mort de leur roi et parviennent, après avoir repoussé l’aile gauche d’Attila, à faire céder le centre de son armée, ce qui signe la retraite pour celle-ci. Elle se réfugie à l’intérieur de l’enceinte de son camp, formée par un cercle de chariots. Les pertes ont certainement été très lourdes. Jordanès évoque 165 000 morts, et d’autres auteurs vont jusqu’à 300 000. Ces chiffres sont trop élevés, mais il y eut au moins 15 000 à 20 000 morts. Les pertes subies par Aetius et ses alliés peuvent expliquer que ces derniers n’aient pas tenté de prendre le camp d’Attila d’assaut, d’autant qu’il était gardé par des archers aux flèches redoutables. Ils décident d’en faire le siège. Attila fait alors dresser au milieu du camp un bûcher formé de selles de cheval, afin de ne pas survivre à la prise du camp. Mais le siège est court. Très vite, Aetius suggère à Thorismond, proclamé roi après les obsèques de Théodoric, de rentrer à Toulouse pour empêcher ses autres frères de s’emparer du trône. Il est fort possible qu’il n’ait pas voulu une destruction totale des forces d’Attila : les Wisigoths auraient ainsi été sans rivaux.
Attila croit longtemps à un piège, mais finit par faire retraite, surveillé par Aetius. Le caractère mémorable de la bataille des champs Catalauniques est incontestable. Il s’agit en effet du premier échec d’Attila et de ses Huns, dont les succès et la cruauté ont frappé les contemporains.
Mais mérite-t-elle pour autant l’importance que lui a concédée l’histoire ? Pour les provinces gauloises, oui ; Aetius les a toujours protégées, au détriment cependant de la péninsule Ibérique et surtout de l’Afrique.
Pour la partie occidentale de l’Empire, non ; Attila est revenu en 452 et a dévasté le nord de l’Italie, avant de se retirer. Seule sa mort accidentelle en 453 a permis d’éloigner le danger hunnique. Les peuples soumis se révoltent alors et battent les Huns à la Nedao en 454/455. C’est la fin du royaume hun et de la menace qu’il représentait. Aetius, quant à lui, meurt en 454, assassiné par Valentinien III.