Caligula, l’empereur qui voulait être un dieu

Vicieux, cruel, dépravé, souffrant d’une mégalomanie confinant à la folie, Caligula a laissé à la postérité l’image d’un monstre. Une vision largement due à la plume des historiens de l’Antiquité, qui en ont fait un modèle du tyran décadent. 

De Virginie Girod
Portrait en marbre de l'empereur Caius, connu sous le nom de Caligula. Conservé au Metropolitan Museum of Art.
PHOTOGRAPHIE DE Wikimédia Commons

Caligula se considérait comme l’égal des dieux. Ainsi, il lui sembla naturel de faire du temple de Castor et Pollux, sur le Forum de Rome, un prolongement de son propre palais, un lieu dans lequel il se faisait saluer par les passants ébahis au nom de Jupiter. Le perfide arrière-petit-fils d’Auguste régna sur l’Empire romain de 37 à 41 apr. J.-C. En un peu moins de quatre ans, il parvint à se faire haïr de tout un peuple. Sa fin tragique ne chagrina personne, pas même les membres de sa famille qu’il menaçait en permanence par des petites phrases vénéneuses telles que « Cette tête charmante tombera dès que je l’ordonnerai », rapportées par l’historien romain Suétone.

Pourtant, Caligula n’aurait jamais dû parvenir à la pourpre. Une succession de meurtres et de malveillances au sein de sa propre famille l’a mené sur la plus haute marche du pouvoir. Quand on devient maître du monde à 24 ans sans y être réellement préparé et après avoir vécu une enfance traumatisante, comment ne pas sombrer dans la folie ?

Caligula naît le 31 août 12 apr. J.-C. à Antium, l’actuelle Anzio, en Italie. Il est le troisième fils du grand général Germanicus et d’Agrippine l’Ancienne, la petite-fille préférée d’Auguste. Malgré ce beau pedigree, rien ne le prédestine à prendre la tête de l’Empire. En conséquence, sa mère l’élève pour faire de lui un bon militaire. Alors que ses frères reçoivent une éducation soignée à Rome, Caligula partage la vie de ses parents dans les camps de Germanie. Sa mère prend l’habitude de l’habiller en petit soldat, caligae de cuir aux pieds. C’est de cette sandale militaire qu’il tire son surnom de « Caligula ». Après l’avènement de Tibère, Germanicus est envoyé en mission en Orient. Caligula suit encore ses parents.

À 6 ans, il découvre les richesses de l’ancien royaume de Cléopâtre où vécut son aïeul Marc Antoine. Mais son père meurt prématurément à Antioche, en Syrie. Selon la rumeur, Tibère, jaloux de ses succès, aurait ordonné son empoisonnement. Le voyage de retour à Rome avec sa mère se meut en une longue procession endeuillée. Dès lors, Agrippine entreprend l’impossible pour imposer ses fils aînés comme successeurs officiels de Tibère. Les menées de cette virago exaspèrent l’empereur qui, sous des prétextes fallacieux, finit par la faire emprisonner avec ses deux aînés avant de les laisser mourir.

Caligula, âgé de 17 ans, assiste, impuissant, à la destruction de sa famille orchestrée par Tibère. Il est confié à sa grand-mère Antonia. C’est là qu’il se rapproche de sa sœur Drusilla et que leur relation incestueuse aurait commencé, repli familial désespéré d’un adolescent en perte de repères. La grand-mère surprend Caligula au lit avec sa sœur. Il est envoyé à Capri, dans la forteresse insulaire de Tibère.

 

UN DÉBUT DE RÈGNE PROMETTEUR 

Pendant près de six ans, Caligula est quasiment séquestré à Capri par Tibère qui, faute de mieux, finit par en faire son héritier. En public, il contrôle parfaitement ses émotions. Toute la haine qu’il contient trouve un exutoire dans les combats de gladiateurs qu’il aime particulièrement sanglants, le spectacle des condamnations à mort, les bagarres la nuit dans les rues sombres et le sexe. Ces passe-temps n’ont rien d’anormal pour un jeune aristocrate romain, mais Caligula est excessif : il se repaît de la souffrance d’autrui.

La Mort de Germanicus est un tableau peint en 1627-1628 par Nicolas Poussin pour Francesco Barberini. Il représente la mort du père de Caligula, et est conservé au Minneapolis Institute of Art.
PHOTOGRAPHIE DE Oeuvre de Nicolas Poussin - Domaine public

En mars 37, Caligula ne veut plus jouer la comédie du petit prince docile face à un ­Tibère cacochyme. Il l’étouffe sous un coussin. Son avènement survient dans la liesse générale. Le peuple l’adore, le Sénat le respecte et l’armée garde pour le gamin en caligae une affection considérable. Les premiers mois de ce nouveau règne sont prometteurs. Caligula se montre juste et mesuré dans ses décisions politiques, et généreux à l’égard du peuple. Personne n’imagine que germent en lui les graines de la vengeance fertilisée par une mégalomanie et une paranoïa que son arrivée au pouvoir a rendues pathologiques. Caligula a grandi dans l’idée transmise par sa mère qu’il appartient à la famille la plus noble et la plus digne de diriger Rome. En outre, les cultures orientales, comme celle de l’Égypte, qui font de leurs rois des êtres d’essence divine le fascinent.

Il rêve d’être à Rome un roi à l’égal des dieux, reconnu comme naturellement supérieur à quiconque. Mais Rome n’est pas Alexandrie. Les Romains haïssent tout ce qui ressemble à une royauté et tiennent plus que tout à la fiction de la « diarchie », qui partage le pouvoir entre le Sénat et l’empereur. Aussi, personne ne rit quand, recevant une délégation de rois vassaux, Caligula tonitrue ce vers homérique tiré de L’Iliade « N’ayons qu’un seul chef, qu’un seul roi », tout prêt à troquer sa couronne de laurier contre un diadème royal.

Outre ses saillies et ses velléités royalistes, les frasques religieuses du jeune empereur agacent. Se percevant réellement comme leur égal, Caligula se permet de paraître en public habillé en Jupiter ou même en Vénus, quand il ne porte pas la cuirasse d’Alexandre le Grand qu’il avait fait prélever de son tombeau. Pour les Romains, un tel affront aux dieux est la preuve tangible de son désordre mental. Certes, mais Caligula essaie aussi d’instaurer très maladroitement une royauté d’ordre divin et d’inspiration égyptienne, ce qui lui attire sans retard l’hostilité des sénateurs.

 

PROVOCATIONS ET VEXATIONS 

Caligula exècre ces sénateurs qui n’ont rien fait pour sauver ses parents et ses frères. Par ailleurs, ils forment un obstacle à ses rêves d’absolutisme. Pour les humilier et les détruire, le jeune empereur est prêt à toutes les injustices, à toutes les folies. Il dégrade plusieurs familles aristocratiques. Ainsi, les descendants de Pompée se voient interdire l’usage du surnom « Grand », car personne ne saurait être plus grand que ­César.

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    Portrait de Caligula.
    PHOTOGRAPHIE DE CC0 Creative Commons

    Passionné de jeux et de courses, ­Caligula est fou de son cheval Incitatus. Il lui  fait construire une stalle de marbre, une mangeoire d’ivoire, lui fait confectionner un licou d’or et de pierreries, et des couvertures pourpres. Pour montrer que son cheval a plus de valeur que les sénateurs, il envisage de le faire consul, magistrature censée couronner la carrière sénatoriale. Cette provocation est perçue comme un nouvel acte de déraison pure, mais elle est surtout une manière de ridiculiser les sénateurs, de montrer que leur participation au gouvernement ne vaut guère plus que ce que pourrait faire un animal.

    Mais ces vexations générales ne suffisent pas à Caligula. Il s’attaque à plusieurs sénateurs à titre personnel. Il commande à certains d’entre eux de rester debout à côté de lui pendant qu’il dîne, comme s’ils étaient de simples esclaves. D’autres sont démis de leurs fonctions pour des vétilles. Un questeur soupçonné de tremper dans un complot est flagellé à mort sous ses yeux. Plusieurs sénateurs reçoivent chez eux un sicaire envoyé par l’empereur sans raison apparente. Le lendemain, au Sénat, Caligula feint de s’étonner de leur absence. Frappait-il au hasard ou visait-il plus particulièrement tous ceux qu’il estimait, à tort ou à raison, avoir été impliqués dans les meurtres de ses proches ? Sa soif de vengeance et sa volonté de domination semblent si étroitement imbriquées que ses crimes peuvent autant être motivés par la haine que par une cruauté gratuite.

    Son sadisme atteint des combles de raffinement. Il va jusqu’à forcer des pères de famille à regarder l’exécution de leurs propres fils avant de les inviter à dîner et de se donner toutes les peines du monde pour les divertir, comme lui-même était obligé de se montrer agréable à la table de Tibère, à Capri, alors que ce dernier avait les mains rouges du sang de la moitié de ses proches.

    Caligula envisage également de s’en prendre aux légions qui pourtant l’adorent. Lors de son unique voyage en Germanie, il veut faire décimer l’ancienne armée de Germanicus qui s’était mutinée à l’avènement de Tibère. Cette injure faite à l’autorité de son père devant ses yeux d’enfant continue à le hanter. Mais les légionnaires refusent d’être punis pour une faute commise vingt-cinq ans plus tôt et menacent de sortir le glaive. Caligula, terrorisé, revient sur sa décision. Il se venge en mesquines petites vexations sur les hommes du Prétoire, ces soldats d’élite qui veillent sur sa sécurité personnelle.

     

    RENDU FOU PAR LE DÉCÈS DE SA SOEUR 

    Le jeune empereur n’épargne pas plus le peuple que les aristocrates. Il ne peut s’assurer de sa domination qu’en faisant souffrir les autres. Par un jour de forte chaleur, il fait replier le velum de l’amphithéâtre et interdit à quiconque de quitter les gradins. À une autre occasion, alors qu’il se remet d’une maladie, il apprend qu’un homme avait fait le vœu de mourir si l’empereur guérissait. Voyant que l’homme en question n’offre pas aux dieux ce qu’il a promis, il le force à parcourir toute la ville couronné de verveine et de bandelettes blanches, à l’instar des victimes sacrificielles, avant de le faire jeter du haut de la roche tarpéienne.

    Les proches de Caligula ne bénéficient guère d’un meilleur traitement, surtout pas ceux qui pourraient éventuellement lui arracher la pourpre. Ainsi, il fait assassiner son cousin Ptolémée, prince de Maurétanie et descendant de Marc Antoine et de Cléopâtre, parce qu’il était apprécié du peuple.

    Personne ne trouve grâce aux yeux de Caligula, sauf sa sœur cadette Drusilla qu’il traite comme si elle était l’impératrice. En lui offrant les honneurs réservés d’ordinaire à une épouse, Caligula cherche encore à importer le modèle monarchique égyptien à Rome, celui d’une dynastie endogame qui se referme sur elle-même pour garder jalousement le pouvoir. Mais Drusilla meurt prématurément à 22 ans.

    La cruauté sans discernement dont ­Caligula fait preuve témoigne de troubles qui relèvent assurément de la psychiatrie : perversion, mégalomanie, paranoïa. Sa jeunesse ponctuée de drames et de maltraitances, et son avènement à la tête de l’Empire ont accru ou induit ses troubles psychopathologiques. La disparition de Drusilla semble aggraver ses symptômes. Il décrète un deuil national avant de disparaître pendant plusieurs semaines à Syracuse. À son retour, il laisse libre cours à tous ses penchants malsains dont le jeu, le viol et la violence sous toutes ses formes. Dans cette atmosphère profondément délétère, plusieurs conjurations se trament, impliquant notamment son beau-frère et ses deux sœurs.

    Caligula sera finalement assassiné par ses deux préfets du Prétoire, Cassius Chéréa et Cornelius Sabinus, ses propres gardes du corps. 

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