César stratège : comment il a conquis la Gaule

En 52 av. J.-C., le siège d’Alésia sert d’épilogue à six ans de guerre. Renseignement, logistique, armée rodée au génie comme au combat... Le général romain utilisa en fin stratège tous les moyens à sa disposition pour parvenir à la victoire.

De Yann Le Bohec
Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César (tableau de Lionel Royer, 1899).
Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César (tableau de Lionel Royer, 1899).
PHOTOGRAPHIE DE Lionel Royer, Musée CROZATIER du Puy-en-Velay - Domaine public

Cet article a initialement paru dans le magazine Histoire et Civilisations. S'abonner

 

Beaucoup de nos contemporains savent que César a conquis la Gaule et qu’il n’y a pas eu de village d’irréductibles gaulois. ­César a donc gagné. Mais pouvait-il perdre ? Cette question trouve une réponse dans le parallèle, rarement établi par les historiens, entre les deux parties qui s’affrontèrent durant le conflit. L’une des clefs de la réussite des armées romaines réside dans la personne de César, qui valait à lui seul plusieurs légions.

César est né à Rome en 100 av. J.-C., dans la famille des Julii, aux moyens modestes mais d’origine illustre : ces patriciens prétendaient descendre de Vénus, ce qui n’était pas sans avantages, car cette déesse aimait à la fois les galipettes et les batailles. Il suivit de solides études qui firent de lui un parfait bilingue latin-grec, ce qui lui permit d’accéder à une abondante littérature militaire. Plusieurs missions officielles lui servirent d’école d’application. Mais, comme tous ses semblables, il dut attendre longtemps avant d’accéder au pouvoir et vécut à crédit jusqu’en 59 av. J.-C., année où il reçut un commandement sur la Gaule.

Parmi ses qualités, il faut compter l’intelligence dans le choix de ses seconds ; il ne leur demandait que de la compétence, sans tenir compte de leurs engagements politiques. Il put ainsi s’appuyer sur Brutus, vainqueur des Vénètes, sur Cicéron, le frère de l’orateur, ou encore sur Labienus, présent à Alésia. Ces officiers commandaient des soldats divisés en deux groupes : les légionnaires et les socii (ou « alliés »). Les premiers étaient des professionnels, fantassins lourds utilisant un casque, une cuirasse, un bouclier, un glaive et un javelot. Bien formés par un entraînement intensif, ils étaient répartis en légions de 5 000 hommes chacune et divisées en 10 cohortes, 30 manipules et 60 centuries.

Beaucoup de ces légionnaires descendaient de Gaulois anciennement installés en Italie du Nord, appelée alors « Gaule cisalpine ». Parti avec quatre légions, César put augmenter leur nombre sans doute jusqu’à dix. Ces soldats étaient aidés par des auxiliaires, les socii. Ces derniers fournissaient notamment les troupes de cavaliers, mais aussi de frondeurs et d’archers. Ils venaient de tout l’Empire, et surtout de Gaule. C’est pourquoi on peut dire que la Gaule a été conquise, pour les Romains, par des Gaulois.

 

CÉSAR, SPÉCIALISTE DU RENSEIGNEMENT 

On admet que les effectifs des légionnaires et des socii s’équilibraient, de sorte que ­César a pu disposer d’une armée d’environ 100 000 hommes. Beaucoup de ces soldats étaient détachés pour effectuer les tâches de ce que nous appelons les « services » : l’artillerie, le génie, le renseignement, la logistique, les transmissions et le train.

Et César a su se montrer un maître en ce domaine. Il accordait une grande importance au renseignement. Ses lectures lui avaient donné des informations sur la Gaule. Arrivé dans ce pays, il s’était entouré de notables locaux qui répondaient à ses questions. Il faisait interroger les voyageurs et les ­prisonniers, et son armée n’avançait jamais sans être précédée d’éclaireurs, présents à toutes les pages de La Guerre des Gaules, le grand récit de campagne qu’il rédigea à la suite de sa conquête. En cas de besoin, César transformait ses légionnaires en hommes du génie. Dans la journée, quand il le fallait, ils jetaient un pont : les pieux, les uns placés contre le courant, les autres dans le sens du courant, étaient solidement liés entre eux, puis surmontés par un tablier. César a décrit avec délectation le pont qui lui servit à traverser le Rhin en 55 av. J.-C.

Tous les soirs et avant chaque bataille, ses hommes construisaient un camp en recourant à ce que nous appelons la « trilogie défensive » : ils creusaient un fossé en U ou en V, puis rejetaient la terre en arrière pour en faire un bourrelet qui était surmonté par une palissade. Ce système était pratiquement infranchissable, sauf au prix de lourdes pertes. Et ce n’est pas tout. César, relativement discret sur ce point, a accordé tous ses soins à la logistique. Une armée en déplacement avait des besoins très variés, surtout en matériaux pour l’équipement, en eau et en vivres. Conformément aux traditions de l’époque, les Romains payaient en territoire ami et pillaient en territoire ennemi. Les ­Bretons, par exemple, furent victimes de ces pratiques en 55 et 54 av. J.-C. César acheta en revanche du blé aux Éduens du Morvan, aux Rèmes, habitants des environs de Reims, et aux ­Lingons, occupant l’est du plateau de Langres. Pour éviter les ruptures de stocks, il s’était lié à des marchands marseillais qui fournissaient ses troupes à la demande. Le transport de ces biens et les nécessités de la guerre demandaient un service du train imposant.

Vercingétorix se rend à César (oeuvre de 1886).
Vercingétorix se rend à César (oeuvre de 1886).
PHOTOGRAPHIE DE Henri-Paul Motte - Domaine public

Pour le transport des équipements collectifs (les tentes, l’artillerie ou encore les vivres), une légion mobilisait 4 000 bêtes, soignées par tout un peuple de valets. Une fois sur le champ de bataille, quelques dizaines d’hommes commençaient par mettre en place les pièces d’artillerie, toutes appelées « balistes ». Elles étaient le plus souvent mues par des nerfs de bœuf et lançaient des poutres, des pierres brutes ou taillées en boulets, des flèches et des javelots. Aussi étonnant que cela puisse paraître, elles atteignaient une grande précision et une grande force : trois hommes alignés étaient décapités ; une cible était touchée en plein centre.

Pour le combat, les officiers avaient mis au point la tactique en cohortes, qui leur donnait une grande souplesse. Les cohortes de chaque légion étaient disposées en quinconce et ne se regroupaient qu’au dernier moment pour offrir un front unique à l’ennemi. Pour leur part, les hommes étaient répartis sur trois rangs : ceux qui étaient à l’avant (hastati) combattaient jusqu’à ce que la fatigue se fasse sentir ; ils étaient alors relayés, sur ordre, par ceux qui se trouvaient au milieu (principes) ; ceux qui étaient à l’arrière (triarii) restaient l’arme au pied pour tuer les fuyards et intervenir en cas de désastre.

Le déroulement de la bataille était simple : il fallait enfoncer un coin entre une aile et le centre du dispositif ennemi ou envelopper une aile. Mais les Romains connaissaient d’autres moyens de combattre, notamment l’art du siège dans lequel César était passé maître, comme en témoigne celui d’Alésia en 52 av. J.-C. Ils savaient en fait organiser tous les types de combat connus à leur époque : la bataille en milieu urbain, en montagne et de nuit (en 52 av. J.-C., respectivement à ­Avaricum – Bourges –, lors de la traversée des Cévennes, puis à Alésia), la contre-guérilla (contre les Morins ou encore les ­Ménapes en 56 av. J.-C.) et la guerre navale (contre les ­Vénètes en 56 av. J.-C.).

 

LES GAULOIS, VAILLANTS MAIS DIVISÉS 

En opposition à la mode actuelle, nous pensons que les Celtes et les Gaulois ont existé. Ils appartenaient à des groupements qui ­partageaient des valeurs, des croyances et des traditions communes. Leur proximité est prouvée par des similitudes linguistiques, qu’ils ont oubliées au fil des siècles.

C’est ainsi que les Gaulois étaient les cousins des Bretons, mais ils ne le savaient pas. Ce qui leur causait le plus de tort, en cas de guerre contre Rome, c’était cette division en peuples dont chacun n’avait pas de pire ennemi que son voisin. L’efficacité des Gaulois au combat était connue bien avant César. Depuis des siècles, les Celtes fournissaient des mercenaires appréciés aux Carthaginois et aux Grecs. Si les Belges, qui vivaient entre le Rhin et l’axe Seine-Marne, possédaient un tempérament plus guerrier du fait de leurs affrontements incessants avec les Germains, leurs voisins qui étaient établis au nord de la Loire jouissaient aussi d’une bonne réputation en ce domaine. Les uns et les autres étaient organisés en sociétés fondées en partie sur la violence, comme le montrent les découvertes faites à Ribemont, dans la Somme. Des archéologues y ont découvert environ 65 corps de guerriers décapités, cloués sur des planches et exposés debout jusqu’à leur effondrement.

Les Gaulois, comme tous les peuples de l’Antiquité, fondaient leur force militaire essentiellement sur l’infanterie. Hélas, ils possédaient un équipement médiocre. Peu d’entre eux avaient une cuirasse. Protégés par un bouclier, efficace il est vrai, ils combattaient avec une lance d’hast et une épée longue à deux tranchants. Un archéologue a calculé que presque la moitié de ces épées avaient été fabriquées en fer doux. La cavalerie jouait un rôle plus grand chez eux que chez les Romains. Recrutée au sein de l’aristocratie et dans son entourage, elle était à la fois plus nombreuse et mieux pourvue. Les Vénètes du Morbihan, eux au moins, avaient su construire une marine qui avait posé des problèmes aux Romains quand ils les ont affrontés en 56 av. J.-C. Leurs navires plats laissaient passer sous la coque les éperons des galères et la hauteur des côtés empêchait l’abordage.

Pour l’emporter, les Romains bénéficièrent d’un miracle et d’un coup de génie : les bateaux vénètes furent encalminés parce que Neptune avait arrêté tous les vents, puis un centurion conçut un fléau qui permit de couper les cordages des navires assaillis.

Dans le domaine des fortifications, les Gaulois avaient su inventer un mur, le murus gallicus, qui fit l’admiration de César et dont on peut voir une reconstitution à Bibracte, en Bourgogne : ils disposaient sur le sol des poutres, ils les reliaient les unes aux autres par des planches, puis ils remplissaient de pierres cet assemblage qui était enfin recouvert de terre. Les Gaulois avaient un assez bon encadrement fourni par les aristocrates, mais ils ne possédaient pas la culture militaire des officiers romains. Au combat, ils se disposaient en phalange, sans grand ordre, et pratiquaient surtout l’attaque frontale, même s’ils n’ignoraient pas les manœuvres, comme l’ont démontré les Helvètes à la bataille de Bibracte en 58 av. J.-C.

Leur armement et leur tactique les plaçaient en situation d’infériorité par rapport à leurs ennemis. De plus, leur absence de stratégie, fruit des divisions entre peuples, les desservait tout autant. Mais, si les Romains ont eu César, les Gaulois ont eu Vercingétorix.

 

JUSQU'À UN MILLION DE MORTS 

Fruit de la stratégie de César, la guerre des Gaules peut être divisée en cinq phases. En 58 av. J.-C., César cherche tout d’abord un prétexte pour entreprendre une guerre longue et attaque les Helvètes, puis les Germains d’Arioviste. En 57-56 av. J.-C., il mène la véritable guerre des Gaules, deuxième phase de son plan. Il commence par attaquer les plus dangereux de ses ennemis, les Belges, puis s’en prend aux forces jugées moins menaçantes, les peuples de l’Océan (les Vénètes, les Aquitains, les Morins et les Ménapes). En 55-53 av. J.-C., il peut mener au cours d’une troisième phase quelques expéditions davantage destinées à sa ­communication qu’à l’efficacité militaire.

Il se rend ainsi deux fois dans l’île de Bretagne et en Germanie. Il doit réprimer la révolte des Trévires et surtout celle des Éburons. Face à la guérilla de plusieurs de ces peuples, il met en place une contre-guérilla efficace : les légionnaires tuent tout ce qui bouge et incendient ce qui ne bouge pas.

La quatrième phase a lieu en 52 av. J.-C. À cette date éclate une vaste révolte à laquelle participent beaucoup de peuples gaulois, qui se placent sous le commandement de ­Vercingétorix. Ce chef impose une guerre du type « pull and push » : pour faire partir les Romains, il mène une guerre de logistique, selon la stratégie de la terre brûlée, et place des troupes sur le versant est du Massif central, ce qui menace la province romaine. César est contraint à la retraite et il aurait perdu la guerre si Vercingétorix n’avait pas commis l’erreur de changer de méthode, recourant cette fois à la stratégie « du marteau et de l’enclume » : il s’enferma dans Alésia, l’enclume, et appela une « armée de secours » comme marteau. En vain. La guerre des Gaules s’achève en 51 av. J.-C., qui voit une reprise du jeu favori des Gaulois, la guerre contre les voisins.

Seuls quelques-uns d’entre eux s’opposent encore à César ; ils s’enferment dans Uxellodunum, où a lieu leur dernier échec. Les conséquences de la guerre des Gaules furent dramatiques. Elle causa entre 400 000 et 1 000 000 de morts et réduisit en esclavage entre 200 000 et 500 000 personnes. Environ 800 agglomérations furent détruites. Puis la romanité se superposa aux traditions celtiques.

Cette conquête fait que nous parlons une langue latine, que notre droit dérive du droit romain, que notre littérature et nos arts ont été formés à la Renaissance, qui fut renaissance de Rome. Nous lui devons aussi l’architecture de nos paysages et de notre pensée. 

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