Cette tombe d’enfant est la plus vieille sépulture humaine jamais découverte en Afrique
Les restes d’un enfant, initialement enveloppé dans ce qui semble être un linceul, la tête blottie contre un oreiller, ont été exhumés au Kenya et pourraient illuminer les origines insondables de l’inhumation en tant que pratique rituelle.
Ce crâne d’environ 78 000 ans a été retrouvé parmi les restes d’un humain primitif enterré dans une grotte au Kenya. Après des mois d’un travail méticuleux, les scientifiques ont fait apparaître le corps d’un bébé âgé de deux à trois ans surnommé Mtoto, qui signifie « enfant » en langue swahilie. Ce cliché montre le côté gauche de ce crâne à la mâchoire intacte et, en bas à gauche, deux dents aux racines non formées n’ayant pas poussé.
Les prouesses d’une équipe de recherche interdisciplinaire ont mené à la découverte, au recouvrement et à l’analyse de la plus ancienne sépulture jamais mise au jour en Afrique. La tombe, découverte à une quinzaine de kilomètres seulement des plages luxuriantes du sud-est du Kenya, renfermait la dépouille d’un enfant âgé de deux à trois ans, enterrée avec grand soin par une communauté d’Homo sapiens primitifs il y a environ 78 000 ans. Bien qu’il existe des sépultures humaines plus anciennes au Moyen-Orient et en Europe, cette découverte africaine offre un des plus anciens exemples de corps enterré dans un trou prévu à cet effet et recouvert de terre, sans équivoque possible.
« C’est clairement une sépulture, clairement datée. Très ancienne. C'est très impressionnant », s’émerveille Paul Pettitt, de l’Université de Durham, en Angleterre, expert en sépultures paléolithiques qui n’a pas pris part aux fouilles.
Ces vestiges offrent aussi un aperçu rare du fonctionnement de la psyché – et du cœur – primitifs. Décrit le 4 mai 2021 dans la revue Nature, le fossile a été surnommé « Mtoto » (« enfant » en swahili) et s’ajoute à deux autres sépultures légèrement plus récentes déjà répertoriées en Afrique, qui elles aussi concernent des enfants. Trois cas sur un continent entier, cela pèse peu, mais Paul Pettitt trouve que l’âge des défunts est particulièrement révélateur pour qui veut comprendre le développement de l’inhumation comme pratique rituelle.
D’après la disposition des ossements, qui semblent avoir pivoté, les chercheurs soupçonnent la présence d’un matériau dégradable placé sous la tête de l’enfant qui aurait fait office d’oreiller lors de l’inhumation et aurait fini par se décomposer.
« Les communautés de chasseurs-cueilleurs contemporaines croient que la mort est naturelle et inévitable, dit-il. Mais il y a deux exceptions : la mort violente, et la mort d’un nourrisson ou d’un enfant. Peut-être qu’on peut y déceler l’émergence mystérieuse de ce sentiment que la mort qui s’abat trop tôt est contre-nature et qu’elle doit être symbolisée autrement. »
DRAPÉ DANS L'ÉTOFFE DU TEMPS
La tombe de Mtoto a été découverte à Panga ya Saidi, gigantesque réseau de grottes qui s’étale sur un escarpement longeant le littoral kényan. Depuis 2010, une équipe fouille le site sous l’égide des Musées nationaux du Kenya à Nairobi et de l’institut Max-Planck de science de l’histoire humaine à Jena, en Allemagne.
Le site a pour l’instant permis de récolter des milliers d’outils en pierre, de perles fabriquées à partir de coquillages, de restes d’animaux découpés, et d’autres artéfacts témoignant d’une activité humaine ininterrompue depuis 80 000 ans, quand l’Afrique était en plein mésolithique.
« Ce site a toujours été un lieu propice à l’activité, explique Michael Petraglia de l’institut Max-Planck. Les gens n’ont jamais complètement disparu. »
En 2013, l’équipe a découvert une structure semblable à une fosse à environ 3 mètres sous l’actuelle surface de la grotte. Des excavations supplémentaires ont révélé en 2017 ce qui semblait bien être des os décomposés. Mais à cause de leur texture pulvérulente, ils étaient trop fragiles pour pouvoir être excavés sur place, et l’équipe a alors décidé de saisir les ossements et les sédiments environnants dans un moulage en plâtre et de transporter le bloc à Nairobi pour mieux les étudier.
Ainsi a débuté un remarquable périple post-mortem. La première excavation au laboratoire des Musées nationaux a révélé deux dents qui semblaient humaines près de la surface du bloc.
« Nous savions que nous tenions quelque chose d’énorme », confie Emmanuel Ndiema, en charge du département d’archéologie du musée et membre de l’équipe de recherche. « Mais le spécimen était particulièrement fragile, trop pour que nous puissions le dégrossir. »
Reconstitution virtuelle des restes tels qu’on les retrouvés sous la surface de la grotte de Panga ya Saidi, comparés en transparence à un squelette. Des analyses des ossements et des sols environnants effectuées au microscope ont permis de confirmer que l’enfant avait été enterré délibérément peu de temps après son décès.
Emmanuel Ndiema a livré le fossile en personne à ses collègues de l’institut Max-Planck de Jena. De là, le fossile a voyagé jusqu’au Centre national de recherche sur l’évolution humaine (CENIEH) de Burgos, en Espagne. Pendant plus d’une année, le spécimen a été préparé et analysé au moyen d’outils de microtomographie, de microscopes optiques et d’autres techniques d’imagerie non invasives, mais aussi à la main quand l’état délicat des ossements le permettait.
Progressivement, toute la teneur du spécimen s’est révélée : d’abord une colonne vertébrale avec ses articulations, puis la base d’un crâne, puis la mâchoire inférieure et des racines dentaires juvéniles. Dans une autre portion du bloc, l’équipe a découvert des côtes et des omoplates dans leur position anatomique naturelle.
« Tout était à sa place, confirme la directrice du CENIEH, María Martinón-Torres, qui a dirigé les recherches. Ce n’était pas qu’un fossile. Nous avons un corps. Nous avons un enfant. »
En plus du caractère articulé du squelette, d’autres éléments tendent à prouver que l’enfant a été enterré à dessein peu après son décès. Les sédiments contenus dans la fosse étaient clairement différents des sédiments qui se trouvaient tout autour, et ils recelaient une abondance de coquillages mais aussi des traînes laissées par les escargots qui se nourrissent des vers de terre qu’on trouve sur les dépouilles enterrées à même le sol.
Des analyses géochimiques ont également révélé des résidus chimiques présents dans le sol et produits par l’action de bactéries qui se nourrissent de chair et qui expliquent l’état de décomposition avancé des ossements. En se décomposant, la chair et les organes ont laissé des espaces qui ont été graduellement comblés par des sédiments, ce qui a permis à la cage thoracique de conserver son aspect tridimensionnel. Mais les côtes supérieures ont subi une rotation de 90 degrés, et cela n’a pu se produire que si le corps a été compacté dans la fosse ou, et c’est plus probablement le cas, emmailloté dans un linceul fait par exemple de peaux d’animaux ou de grandes feuilles qui se sont depuis décomposées.
Pour préserver les ossements, les scientifiques en ont sorti un bloc de la grotte pour mieux le nettoyer au laboratoire. Ici, la colonne vertébrale courbée et ses vertèbres, ainsi que des côtes, qui se voûtent du haut de la photo jusqu’en bas à gauche, mais aussi des dents, à droite, sont partiellement exposées à la surface.
Enfin, la position de la tête et des vertèbres cervicales par rapport au corps indique que l’enfant enveloppé a été allongé de manière que sa tête repose sur une sorte d’oreiller ; moment sans aucun doute poignant de la vie d’une communauté primitive qu’a pu saisir l’équipe juste avant que ne s’évanouisse toute trace de la dépouille de l’enfant.
« Les ossements se transformaient littéralement en poudre, explique María Martinón-Torres. Nous sommes arrivés juste à temps avant qu’ils ne disparaissent à jamais. »
RESTER EN LIEN AVEC LES MORTS
Parmi les sépultures de jeunes Homo sapiens dont l’existence est avérée en Afrique, il y a celle d’un enfant âgé de huit à dix ans sur le site de Taramsa Hill, en Égypte, qui daterait d’il y a 69 000 ans environ, et celle d’un nourrisson dans l’abri de Border Cave, en Afrique du Sud, estimée à 74 000 ans. (La datation de ces deux fossiles est moins certaine que celle de la sépulture de Panga ya Saidi).
Le nourrisson de Border Cave, découvert en 1941, tout comme la sépulture qu’on vient de découvrir à Panga ya Saidi, révèlent qu’un lien scrupuleux unissait les enfants morts et ceux qui les ont enterrés. Au Kenya, il semblerait que les participants aux obsèques aient apporté un linceul et un oreiller à Mtoto, tandis qu’en Afrique du Sud, ils ont déposé un coquillage percé recouvert d’un pigment en guise d’ornement. Cela soulève la question de savoir pourquoi les humains se sont mis à enterrer leurs morts.
« On ne peut pas lire dans les esprits, dit María Martinón-Torres, mais d’une certaine manière, quand vous enterrez quelqu’un, vous prolongez la vie de cette personne. Vous dites : “Je ne veux pas te laisser partir complètement.” Voilà une des choses qui nous rendent uniques : notre conscience de la mort, notre conscience de la vie. »
L’enfant a été découvert à l’abri d’une avancée à l’entrée de la grotte de Panga ya Saidi près des plateaux tropicaux du littoral kényan.
Paul Pettitt pense que ces tombes juvéniles pourraient montrer qu’une tradition consistant à réserver un traitement particulier aux enfants décédés a eu cours dès le mésolithique. Des preuves supplémentaires sont bien sûr nécessaires, mais cela soulève une autre question : les signalements de sépultures millénaires en Europe et au Moyen-Orient ne manquent pas, néandertaliennes aussi bien qu’Homo sapiens, et certaines vieilles de 120 000 ans. Alors pourquoi n’y en a-t-il que trois en Afrique ?
Un élément de réponse réside dans la définition changeante de ce qui constitue une sépulture. Les archéologues du début et du milieu du XXe siècle, période à laquelle ont été mis au jour la majorité des fossiles néandertaliens et Homo sapiens en Europe et en Asie de l’Ouest, n’appliquaient pas les standards rigoureux qui encadrent aujourd’hui les fouilles, et les chercheurs avaient une certaine propension à tirer des conclusions sur la ritualisation des enterrements à partir de preuves infimes.
Selon Paul Pettitt, la plupart des sites non africains considérés d’ordinaire comme des sépultures sont en fait plutôt des « dissimulations funéraires » ; on se contentait de se débarrasser d’un corps en le plaçant dans une crevasse ou dans une grotte, sans aucune forme de rituel. Sima de los Huesos, dans les montagnes espagnoles d’Atapuerca, fait partie de ces sites. On a découvert dans cette « Fosse aux Ossements » des dizaines de squelettes appartenant à un ancêtre néandertalien qui datent d’il y a environ 430 000 ans.
Mais il y a aussi ces quinze squelettes africains trouvés dans une cavité au fond d’un réseau de grottes en Afrique du Sud qui appartiennent à Homo naledi, espèce hominine découverte il y a quelques années et ayant vécu il y a 250 000 ans. Lee Berger, chef de l’équipe créditée de la découverte et explorateur National Geographic, a affirmé qu’Homo naledi se débarrassait délibérément de ses morts, mais qu’on ne sait toujours pas comment les corps ont pu se retrouver dans cette cavité.
Des sections d’ossements d’enfants ont été découverts lors d’excavations réalisées à Panga ya Saidi en 2013, mais ce n’est qu’en 2017 que cette petite fosse qui les contenait a été dévoilée complètement. À environ 3 mètres sous sa surface actuelle, cette fosse circulaire et peu profonde recelait des ossements rassemblés de manière compacte mais en état de décomposition avancée, ce qui a exigé qu’on stabilise la zone et qu’on l’enduise de plâtre.
Même si on soustrait les sites qui sont probablement des cas de dissimulation funéraire, l’histoire des inhumations en Europe et au Moyen-Orient commence plus tôt et est plus abondante qu’en Afrique, où Homo sapiens évoluait à l’origine.
Peut-être n’avons-nous pas découvert plus de sépultures en Afrique parce que nous n’avons pas fouillé assez d’endroits. Des scientifiques passent les grottes et les crevasses d’Europe et du Moyen-Orient au peigne fin depuis le tournant du siècle dernier. Les recherches effectuées en Afrique se sont en revanche focalisées sur un nombre relativement restreint de sites, qui se trouvent principalement en Afrique du Sud et dans la vallée du Grand Rift en Afrique de l’Est. Chris Stinger, paléoanthropologue au musée d’histoire naturelle de Londres, qui étudie les origines d’Homo sapiens depuis des décennies, fait remarquer que les fossiles que nous avons actuellement en notre possession proviennent de 10 % du continent seulement.
« On a affaire à des petites poches d’informations, dit-il. Cette découverte ne fait que révéler tout ce à côté de quoi nous sommes en train de passer en Afrique. »
Un des sites africains qui promet de nouvelles révélations n’est autre que celui de Panga ya Saidi. Là, les dépôts descendent bien au-dessous de la sépulture de Mtoto, et certaines couches remontent peut-être aussi loin dans le temps que 400 000 ans. Les fouilles ont été suspendues l’an dernier à cause de la pandémie de COVID-19 mais l’équipe de recherche n’a qu’une hâte : reprendre l’excavation aussi vite que les conditions sanitaires le permettront.
« Nous ne savons toujours pas jusqu’où il est possible de descendre, confie Emmanuel Ndiema. Nous ne sommes même pas encore arrivés au sous-sol. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.