Quel rôle Einstein a-t-il vraiment joué dans la mise au point de la bombe atomique ?

Albert Einstein a incité les États-Unis à fabriquer cette arme dévastatrice pendant la Seconde Guerre mondiale. Les conséquences de l'utilisation de la bombe A l’ont hanté à jamais mais il « ne [voyait] pas d’autre issue. »

De Erin Blakemore
Publication 22 févr. 2024, 15:20 CET
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Un champignon atomique domine Nagasaki après l'explosion d'une bombe atomique en 1945. Albert Einstein eut du mal à comprendre son rôle dans la création de la bombe et la dévastation causée par les bombardements américains d'Hiroshima et de Nagasaki pendant la Seconde Guerre mondiale.

PHOTOGRAPHIE DE U.S Army Air Force via Library of Congress

Albert Einstein doit une grande partie de sa célébrité auprès du grand public à l'équation E=mc2, qui a mis en évidence l’interchangeabilité de l'énergie et de la masse, ouvrant ainsi la voie à l'énergie nucléaire et aux armes atomiques.

Son rôle dans le drame de la guerre nucléaire aurait pu s'arrêter là. Mais dans les années 1920, alors qu'il vivait à Berlin, le physicien collabora avec le Hongrois Leo Szilárd pour mettre au point et breveter un réfrigérateur écoénergétique. Bien que leur projet n'ait jamais été commercialisé, le travail du duo impliqua Einstein, fervent pacifiste, dans la course à la création d'une bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Plus tard dans sa vie et alors même qu’il luttait contre les conséquences mortelles de sa création scientifique, Einstein plaida avec véhémence en faveur de l'interdiction des armes nucléaires dans le monde entier.

« Son génie a causé sa perte », explique Ari Beser, explorateur National Geographic. « La révolution scientifique qu’a constitué la fission de l'atome exigeait également une révolution morale. »

 

LA LETTRE D’EINSTEIN À ROOSEVELT

Même après que Szilárd et Einstein ont mis fin à leur association pour ces appareils, les deux scientifiques restèrent en contact.

En 1933, l’année où Adolf Hitler devint chancelier d'Allemagne, Szilárd découvrit la réaction en chaîne, un processus qui libère l'énergie enfermée dans les atomes pour créer d'énormes explosions. En 1939, il était convaincu que les scientifiques allemands se servaient des progrès scientifiques en cours afin de mettre au point une arme atomique.

Il contacta donc son ancien collègue, alors devenu le scientifique le plus célèbre au monde, et lui demanda d'avertir le président américain Franklin Delano Roosevelt.

Szilárd rendit visite à Einstein à New York avec deux autres réfugiés, Edward Teller et Eugene Wigner, physiciens hongrois. Lorsqu'ils lui parlèrent de la possibilité d'une réaction nucléaire en chaîne, Einstein fut choqué par le danger que représentait sa théorie de la relativité restreinte de 1905.

« Il n'envisageait absolument pas cette théorie comme une arme », explique Cynthia Kelly, présidente de l'Atomic Heritage Foundation, une organisation à but non lucratif qu'elle a fondée dans l’objectif de préserver et interpréter le projet Manhattan et son héritage plus large. Mais « il comprit rapidement le concept ».

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    Avec d'autres scientifiques, Einstein rédigea une lettre adressée à Roosevelt pour le mettre en garde contre ce qui pourrait se passer si les scientifiques nazis devançaient les États-Unis dans la fabrication d'une bombe atomique.

    « Il semble pratiquement certain [qu'une réaction nucléaire en chaîne] pourra être [atteinte] dans un avenir proche », écrivit-il, tirant la sonnette d'alarme au sujet de « bombes extrêmement puissantes d'un nouveau genre » et conseillant à Roosevelt de financer une initiative de recherche sur l'énergie atomique.

    Roosevelt prit l'avertissement au sérieux. Le 21 octobre 1939, deux mois après avoir reçu la lettre et quelques jours après l'invasion de la Pologne par l'Allemagne, le comité consultatif sur l'uranium nommé par Roosevelt se réunit pour la première fois. Il s'agissait du précurseur du projet Manhattan, projet gouvernemental ultra-secret qui permit la mise au point une bombe atomique fonctionnelle.

     

    UN HÉRITAGE CONTROVERSÉ

    Le comité n'ayant reçu que 6 000 dollars (soit un peu plus de 100 000 dollars actuels) de financement, Einstein continua d’écrire au président, aidé par Szilárd, qui rédigea une grande partie des lettres. Dans l’une d'entre elles, il prévenait même qu’il publierait des découvertes nucléaires essentielles dans une revue scientifique si l'initiative n’était pas mieux financée.

    Ainsi, Einstein contribua à lancer le projet Manhattan, explique Kelley, mais « son implication réelle fut très marginale ». Le dossier du FBI sur ce scientifique au franc-parler, ouvertement opposé au racisme, au capitalisme et à la guerre, s’étendit finalement sur plus de 1 400 pages.

    « Compte tenu de ses antécédents radicaux », écrivait le FBI, « ce bureau ne recommanderait pas d’employer le Dr. Einstein pour des projets de nature secrète ». En fin de compte, Einstein ne fut jamais autorisé à travailler sur le projet Manhattan.

    Pourtant, son nom est à jamais lié à l'arme née de sa plus grande découverte. Il fut dévasté par la nouvelle du bombardement d'Hiroshima et humilié par une couverture du TIME, en 1946, où figurait une photo de lui devant un champignon atomique sur lequel figurait sa célèbre équation.

    Bien qu'Einstein se soit efforcé, jusqu’à la fin de sa vie, de prévenir le monde des dangers de la prolifération nucléaire, il eut du mal à prendre conscience de sa responsabilité.

    « Il est le père » de la bombe atomique, dit Beser, le petit fils du seul militaire américain parmi l’équipage à bord des deux avions qui ont transporté les bombes atomiques au Japon.

    À travers ses récits, Beser tente d’illustrer les conséquences de l'usage des armes nucléaires. Il a par exemple visité Auschwitz avec un survivant de Nagasaki, qui a été stupéfait des liens entre la bombe, qui a tué et blessé des centaines de milliers de civils, et l'Holocauste, autre horreur de l’Histoire. 

    « J'étais parfaitement conscient du danger effroyable qui menaçait l'humanité tout entière si ces expériences aboutissaient », écrivit Einstein, dans un magazine japonais en 1952, à propos du développement de la bombe. « Je ne voyais pas d'autre issue. »

    Pour Beser, le dilemme d'Einstein est un parfait exemple des contradictions de la condition humaine : « la fission de l'atome a tout changé, sauf notre façon de penser », déplore-t-il.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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