L'héritière disparue : la plus ancienne des affaires non résolues de New York

Pour la première fois depuis plus d'un siècle, la famille de Dorothy Arnold rompt le silence pour révéler de nouvelles informations.

De Rosemary Counter
Publication 5 juin 2024, 15:00 CEST

La mystérieuse disparition de Dorothy Arnold, héritière de la ville de New York, il y a plus d'un siècle, a déclenché une frénésie médiatique, particulièrement depuis que des détails surprenants sur sa vie peu conventionnelle ont été révélés. A-t-elle été kidnappée ? Tuée ? Ou bien aurait-elle fugué ? Cette affaire non résolue reste un sujet de fascination.

PHOTOGRAPHIE DE Fay 2018, Alamy

Par un lundi matin glacial de décembre 1910, Dorothy Arnold, une jeune femme mondaine de vingt-cinq ans, quitta son hôtel particulier du quartier de l'Upper East Side pour aller acheter des robes en vue du bal des débutantes de sa petite sœur Marjorie. Elle raconta à une de ses amies qu'elle allait faire les magasins avec sa mère et dit à celle-ci qu'elle préférait faire les boutiques seule.

Fille aînée des Arnold, une famille riche et bien entourée dont les racines remontent au Mayflower, Dorothy portait occasionnellement 30 $, ce qui représente environ 1 000 $ de nos jours (environ 920 €) et s'habillait à la dernière mode new-yorkaise. Elle avait laissé ses vêtements, ses bijoux ainsi que son passeport à la maison.

De bonne humeur, Dorothy acheta un livre d'humour et une boîte de chocolats de 225 grammes, qu'elle fit mettre sur le compte de son père. Peu avant quatorze heures, à l'angle de la 27ᵉ rue et de la Cinquième Avenue, Dorothy rencontra une amie avec laquelle elle discuta brièvement. Discussion au cours de laquelle elle évoqua avec désinvolture son intention de rentrer chez elle en passant par Central Park. Puis, elle fit un signe de la main à son amie et disparut pour toujours.

Connue aujourd'hui comme étant le plus ancien cas de disparition de la ville de New York, la disparition sensationnelle de Dorothy Harriet Camille Arnold déconcerta dès lors les détectives et les citoyens. Mais pas autant que sa propre famille, certainement, dont les descendants ont découvert l'affaire comme tout le monde. 

La dernière fois que quelqu'un vit la mondaine Dorothy Arnold, ce fut ici même, à l'angle de la Cinquième Avenue et de la 27ᵉ Rue, à New York. Elle croisa une amie alors qu'elle faisait des achats de robes, puis disparut à jamais.

PHOTOGRAPHIE DE Historic Images, Alamy

« J'avais une trentaine d'années lorsque j'ai lu "The Justice Story" dans le Sunday Daily News qui parlait de l'affaire », se rappelle Jane Vollmer, la petite-nièce de Dorothy. Elle avait reconnu le nom de famille, fait la connexion et en avait ensuite parlé à son père.

Aujourd'hui comme hier, la famille Arnold ne parle de Dorothy qu'avec réticence. La mère de Jane Vollmer, Rebecca, née cinq ans après la disparition de Dorothy, n'en avait jamais parlé, pour autant qu'on le sache. Aucune déclaration publique n'a été faite depuis plus d'un siècle, jusqu'à aujourd'hui, et Jane Vollmer pense que son ancêtre se retourne dans sa tombe. « Ma grand-mère serait absolument terrifiée de voir tout cela déterré cent ans plus tard. »

 

L'ÉTRANGE DISPARITION DE DOROTHY ARNOLD

La famille Arnold savait que quelque chose n'allait pas lorsque Dorothy ne rentra pas à la maison pour le dîner. La nuit tombée, elle n'était toujours pas rentrée. Ils appelèrent quelques amis. Et lorsqu'au matin, ils ne la trouvèrent toujours pas, la famille Arnold embaucha un avocat ainsi qu'une équipe de détectives privées de l'Agence Pinkerton. Cependant, ils ne contactèrent pas la police avant six semaines.

Le caractère suspect ou non de ce qui précède dépend de la personne à qui l'on pose la question et du moment où elle est posée. « Je pense que l'attitude à l'égard de la police était qu'on la destinait aux ivrognes, aux immigrés et aux criminels », déclare Jane Vollmer. Son frère cadet, Mark Vollmer, aujourd'hui âgé de soixante-sept ans, partage cet avis : « Aujourd'hui, nous pensons qu'il va de soi d'appeler la police », dit-il, « mais à l'époque, les gens étaient très discrets. »

Les médias étaient certainement pires que la police. Leurs hypothèses généralisées étaient socialement dévastatrices pour une personne disparue aussi en vue.

Mais lorsque les détectives de Pinkerton ne trouvèrent rien, le patriarche Francis Rose Arnold appela à contrecœur la police de New York et tint une conférence de presse le 25 janvier. Il décrivit Dorothy en détail : un mètre soixante-quatre, soixante-trois kilogrammes, jolie et élégante dans une robe marine qui lui descendait jusqu'aux chevilles et un chapeau de velours surmontant sa coiffure « pompadour ». Il offrit une forte récompense de 1 000 $, environ 33 000 $ actuels (un peu plus de 30 000 €), pour toute information permettant de la retrouver.

Le lendemain, la disparition de Dorothy Arnold fit la une du New York Times. Bien que son père fut « prostré par le chagrin et l'inquiétude » et sa mère «  à la limite de la dépression nerveuse », l'article nota que la police pensait que Dorothy avait fugué pour se marier, et qu'elle n'avait été victime ni d'un acte criminel, ni d'un suicide. « Il n'y a aucune trace de démence dans la famille, et la jeune femme n'a jamais montré de signes d'un quelconque trouble mental, même si elle se consacrait aux livres et parlait plusieurs langues. »

En effet, Dorothy Arnold n'était pas comme la plupart des filles de son époque et de son statut. Récemment diplômée de l'université de Bryn Mawr, une université libérale de Philadelphie, Dorothy avait d'autres horizons que le mariage. Elle voulait devenir écrivaine et avait envoyé, sans succès, des nouvelles au magazine McClure. Elle avait demandé à vivre dans un studio dans le quartier bohème de Greenwich Village, ce que son père avait interdit. Lorsque sa famille s'était moquée de ses travaux d'écriture, elle avait utilisé son argent de poche pour s'offrir une boîte postale privée.

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    La famille Arnold hésita d'abord à informer la police de la disparition de Dorothy, craignant une frénésie médiatique et la ruine sociale. Lorsqu'elle finit par parler à la police le 25 janvier 1911, l'histoire fit la une des journaux dès le lendemain et restera un sujet de spéculation médiatique pendant des décennies.

    PHOTOGRAPHIE DE New York Tribune

    « Mademoiselle Arnold n'était pas de nature discrète », écrivit le Times. « Bien qu'elle ait été admirée par de nombreux jeunes hommes, un représentant de la famille a déclaré hier soir qu'elle n'avait jamais été fiancée, pour autant qu'il le sache ». Que sa famille le sût ou non, Dorothy cachait de nombreux secrets et la presse était sur le point de s'en emparer.

     

    LES SECRETS DE DOROTHY ARNOLD

    Le 15 février, le Daily News publia un scoop : le mois de septembre précédant sa disparition, Dorothy avait mis ses bijoux en gage pour financer une liaison d'une semaine à l'hôtel Essex de Boston. Elle avait dit à sa famille qu'elle rendait visite à une amie à Cambridge, mais Dorothy était en réalité avec George S. Griscom Jr., un célibataire sans emploi de quarante ans originaire de Pittsburgh qu'elle fréquentait secrètement depuis ses études à Bryn Mawr. 

    Griscom avait rompu ses fiançailles avec une autre riche héritière, qui avait annulé le mariage la nuit précédente. Des amis affirmèrent que Griscom avait également demandé Dorothy en mariage, mais que son père avait fermement désapprouvé cette union.

    La famille Arnold avaient tout nié, mais il fut révélé que la mère de Dorothy et son frère aîné, John, avaient embarqué pour l'Europe quelques semaines plus tôt afin de trouver et de confronter son petit ami. « Griscom écrasé par le jeune Arnold dans un hôtel étranger », pouvait-on lire dans un grand titre. Griscom nia avoir eu connaissance de la disparition de Dorothy, jurant à la fois son amour pour elle et son intention de l'épouser à son retour.

    « De toute évidence, la voie tracée pour Dorothy était d'épouser un homme "convenable" issu d'une famille tout aussi aisée et bien entourée, et d'élever des enfants qui feraient de même », explique l'historienne Silvia Pettem, qui a inclu Dorothy Arnold dans son livre Cold Case Chronicles: Mysteries, Murders & The MissingLes aspirations de Dorothy à déménager, à écrire et à fréquenter qui elle voulait prouvent à Pettem que l'héritière s'écartait déjà de cette voie. « Dorothy n'entrait pas dans le moule et de ce que l'on attendait d'elle. »

    Malgré sa personnalité solaire et sa situation privilégiée, dans une lettre adressée à Griscom, qui refit surface, révéla une facette plus triste : « McClure m'a rejetée », avait-elle écrit. « L'échec me regarde en face. Tout ce que je vois devant moi, c'est une longue route sans embranchement ». Et puis, d'un air pessimiste, « Maman pensera toujours qu'un accident s'est produit ». Pour rappel, sa mère n'a jamais perdu l'espoir que sa fille revienne.

    D'autres théories virent le jour. En avril 1914, la police fit une descente dans une « maternité » de la banlieue de Pittsburgh, connue sous le nom de « House of Mystery ». La police arrêta C. C. Meredith, un médecin pratiquant des avortements illégaux. Celui-ci prétendit que Dorothy était l'une des nombreuses femmes mortes sur sa table et incinérées dans la cave. Certains supposèrent que Dorothy était tombée enceinte pendant son week-end secret à Boston et qu'elle s'était rendue à Pittsburgh, sur les conseils de Griscom, pour subir une intervention qui l'aurait finalement tuée. Francis Arnold qualifia cette théorie de « ridicule ».

    Deux ans plus tard, un condamné avoua avoir été payé 250 $ par un riche New-Yorkais pour déplacer et enterrer le corps de l'héritière dans la cave d'une résidence de la banlieue de New York. La police fouilla de nombreuses maisons, en vain. L'homme, déclara Arnold, avait raconté « des absurdités ».

    Alors que les Cold Case Chronicles de Pettem penchaient en fin de compte pour cette dernière hypothèse, l'autrice et historienne a depuis changé d'avis. « J'avais l'habitude de penser qu'elle était morte à la suite d'un avortement raté », déclare Pettem, « mais maintenant, je pense qu'elle est partie et a commencé une nouvelle vie. »

    À une époque où les numéros de Sécurité sociale n'existaient pas encore, il était aussi facile de disparaître que de changer de nom et de coiffure. Il est certain que de nombreuses jolies brunes lui ressemblaient. En 1914, une femme vivant à Los Angeles sous le nom d'« Ella Nevins » affirma être la mondaine disparue. « Si vous ne croyez pas que je suis Dorothy Arnold », citait le journal Gettysburg Times, « demandez à ma sœur Marjorie. Elle saura pourquoi mon père ne répond pas à mes lettres. »

    D'innombrables affirmations similaires, ainsi que de fausses notes aléatoires, de prétendues « apparitions » et des cartes postales de « Dorothy » inondèrent la famille Arnold. L'une d'entre elles, apparemment écrite de la main de Dorothy, disait simplement : « Je suis en sécurité. »

    Publiquement, la famille de Dorothy affirma qu'ils pensaient qu'elle avait été kidnappée et assassinée, une théorie que son père maintint jusqu'à sa mort en 1922. En privé, selon la vieille histoire familiale, il dépensa un million de dollars dans sa recherche incessante de Dorothy.

     

    LA FAMILLE S'EXPRIME

    Il est possible que Frances Arnold n'ait pas pu retrouver sa fille parce qu'elle ne voulait pas être retrouvée. Il est également possible que les Arnold aient su exactement ce qui était arrivé à Dorothy et qu'ils l'aient enterrée pour éviter un scandale. Mais il est plus probable qu'ils soient eux aussi restés dans cette brume de mystère. 

    « Le sensationnalisme a fait beaucoup de mal à la famille, même aujourd'hui », explique Martha LaFata, une autre membre de la fratrie Vollmer. Les quelques podcasts qu'elle a écoutés étaient « désinvoltes et sarcastiques », dit-elle, et les conjectures sont inutiles. « La meilleure chose que je puisse faire pour la famille est de ne pas me lancer dans des spéculations et de respecter le fait que ces personnes ne sont plus là », déclare-t-elle. « Je suis une personne très discrète, comme l'étaient ma mère et ma grand-mère. »

    « Ma grand-mère n'était pas méchante, mais elle n'était pas non plus très chaleureuse », explique Jane, qui compatit, elle aussi : « Dorothy était partie acheter une robe pour la fête de ma grand-mère, ce qui, je pense, a rendu les choses encore plus difficiles pour elle ». Marjorie se maria à l'âge de vingt ans à un homme aisé et respectable, mais elle divorça ensuite et s'installa en France. Marjorie finit par ne plus utiliser le nom « Arnold ».

    La fille de Marjorie, Rebecca, souffrit de dépression toute sa vie. Lorsqu'un autre membre de la famille mourut, elle hérita d'une surprise. « Les lettres et les papiers de Dorothy ont été remis à ma mère, qui les a tous détruits », déclare Mark. « S'il y avait un secret de famille, ma mère ne l'a probablement jamais su. Et si elle le savait, elle l'a emporté dans sa tombe. »

    Les Arnold préféreraient-ils qu'il reste là pour toujours ? « Cent ans plus tard, je ne m'attends pas à ce qu'il y ait une quelconque résolution », déclare Jane. « Je ne sais pas s'il y aura une fin heureuse », acquiesce Martha.

    Mark, lui, est le seul à y croire : « Ce serait cool si quelqu'un demandait de l'ADN pour remonter jusqu'à nous », dit-il. « Je suppose que tout peut arriver. »

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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