Comment les tombes des premiers colons britanniques en Virginie ont été découvertes
Sous l'église où se maria Pocahontas se trouvent les tombes des fondateurs de la première colonie britannique permanente en Amérique.
Un explorateur, un noble, un soldat et un aumônier. Quatre hommes qui auraient probablement été oubliés s’ils n’avaient pas fondé ensemble la première colonie britannique permanente en Amérique.
Quatre siècles plus tard, leurs corps ont été identifiés.
La découverte a été annoncée en juillet 2015 au Museum national d’Histoire Naturelle du Smithsonian. Une équipe de chercheurs, menée par l’anthropologue légiste Douglas Owsley, a confirmé que quatre squelettes exhumés dans le chœur de l’église historique de Jamestown, qui date de 1608 et où Pocahontas a épousé John Rolfe, appartiennent au révérend Robert Hunt, au capitaine Gabriel Archer, à Sir Fernando Wainman, et au capitaine William West.
« Nous avons découvert quatre des tous premiers dirigeants de la campagne anglaise en Amérique », affirme James Horn, président du projet d’archéologie Jamestown Rediscovery.
Les corps ont été retrouvés en 2010 après la découverte de l’église de 1608 par des archéologues. On se doutait qu’il s’agissait d’hommes importants, car l’enterrement dans le chœur de l’église est traditionnellement réservé aux membres les plus influents de l’église anglicane. L’exhumation des tombes a commencé en 2013.
Bien qu’à peu près 30 % seulement de chaque squelette découvert étaient intacts, les scientifiques ont pu identifier les corps grâce à plusieurs indices, dont la façon dont ils avaient été enterrés, des analyses chimiques, des recherches généalogiques, et l’imagerie en 3D.
Par exemple, en étudiant les dents des squelettes, les spécialistes légistes ont pu déterminer l’âge de la mort de chaque homme. Cette information a ensuite été comparée avec des documents tels que des registres de baptêmes et les inscriptions à l’université.
Les dents ont aussi fourni des indices sur la durée de séjour de chaque homme dans la colonie. Ceux qui avaient passé plus de temps sur le Nouveau monde avaient des caries et des abcès plus importants. Owsley soupçonne que cela était dû en partie au changement de régime alimentaire. En Angleterre, les hommes se nourrissaient d’orge et de blé. En Amérique, ils les ont troqués contre du maïs, un glucide collant et causant davantage de caries.
Le résultat global de la recherche est une représentation plus nuancée de la vie, de la mort et des croyances religieuses à un tournant de l’histoire de la colonie, alors qu’elle était sur le point d’échouer à cause de la famine et de la maladie.
LE PLUS RUDE DES MONDES
On connaît Jamestown pour avoir été le terrain de nombreuses premières historiques. En sa qualité de première colonie britannique permanente, elle représente les premiers pas d’un Empire britannique qui s'est plus tard dans le monde entier. Elle a aussi marqué la création du premier gouvernement législatif d’Amérique avec l’établissement de l’Assemblée générale de Virginie, qui continue à se réunir à notre époque. Malheureusement, Jamestown a également eu un rôle clé dans la mise en place de l’institution de l’esclavage en Amérique, avec l’arrivée de serviteurs africains en 1619.
Pourtant, l’aspect le plus remarquable de l’histoire de Jamestown est sa ténacité à survivre. C’était une entreprise très mal préparée dès le début de son histoire. La Virginia Company, qui a fondé la colonie, n’avait pas envoyé beaucoup d’agriculteurs parmi les colons. Ils avaient reçu l’ordre d’obtenir de la nourriture en commerçant avec les Indiens locaux, pour se concentrer sur leur effort prioritaire de recherche de métaux précieux. Les terres tout autour étaient marécageuses, remplies de moustiques, et manquaient d’eau potable. Les dirigeants se disputaient et rivalisaient pour le pouvoir politique. Menacés par la sécheresse et la famine, les colons ont eu recours au cannibalisme. Sur les 6 000 personnes qui s’installèrent à Jamestown entre 1607 et 1625, environ 4 800 moururent de faim et de maladie.
Le capitaine Gabriel Archer, l’un des quatre corps identifiés par les archéologues, était l’un des premiers colons de Jamestown, et l’un de ses premiers morts. Il est mort vers la fin 1609 ou début 1610 à l’âge de 34 ans au cours d’une période de famine de 6 mois qui coûta la vie à 250 personnes.
Malgré son jeune âge, Archer était un explorateur expérimenté. Il avait fait partie d’une expédition de recherche partie en 1602 explorer les côtes du Maine, du Massachussetts et du nord de la Virginie. En 1607, Archer proposa d’établir Jamestown à l’est de l’actuel College Creek. La région avait une faune abondante, une terre fertile et de nombreux arbres pour le bois d’œuvre. Sa proposition fut rejetée parce que le chenal fluvial qui s’y trouvait n’était pas assez profond pour faire accoster les navires. Au moment de l’installation de la colonie à Jamestown, il prit part à la première expédition le long de la James River vers l’intérieur des terres. Il prouva ses qualités d’écrivain en rédigeant des chroniques des peuples et des terres rencontrés.
L’indice clé prouvant qu’il s’agissait bien d’Archer fut la découverte d’un bâton de capitaine enterré à côté de sa dépouille. Il s’agit d’une arme semblable à une lance que les officiers britanniques de haut rang portaient au combat et lors de cérémonies.
Plus intrigant encore, une boîte en argent scellée et bien conservée fut placée sur le cercueil. Un balayage CT à haute résolution a révélé qu’il s’agissait probablement d’un reliquaire catholique renfermant sept fragments d’os et les deux morceaux d’une ampoule en plomb qui servait à contenir de l’eau, de l’huile ou du sang.
Archer aurait-il fait partie d’un groupe secret de pratiquants catholiques au sein d’une communauté de fervents protestants ? Les parents d’Archer étaient catholiques, et la boîte avait sur un de ses côtés des marques pouvant représenter les plumes d’une flèche, un choix compréhensible pour un homme répondant au nom d’Archer. Il a également été enterré face à l’assemblée, pratique normalement réservée au clergé. Cela pose la question intrigante de savoir s’il n’avait pas été un prêtre catholique ordonné.
Les archéologues avancent également la possibilité que la boîte fût en fait un objet de confession anglicane, qui aurait été catholique par le passé, mais dont le rôle avait été transformé pour symboliser l’établissement de la première église anglaise en Amérique.
L’AUMONIER, LE CHEVALIER ET LE SOLDAT
Bien qu’il soit mort à peine un an après son arrivée à Jamestown, le révérend Robert Hunt, aumônier de la colonie, était devenu l’un des membres les plus appréciés de la communauté. Il tenait le rôle du modérateur entre les dirigeants rivaux. Comme l’avait remarqué un chroniqueur : « Beaucoup de troubles provenaient au quotidien de leurs esprits ignorants ; mais les bonnes doctrines et les exhortations de notre pasteur Hunt les calmaient. »
Hunt allégeait aussi l’humeur des colons lors des périodes de privation. Un incendie qui s’est déclaré en janvier 1608 a causé beaucoup de dégâts sur les bâtiments et les possessions. « Notre bon pasteur Hunt a perdu toute sa bibliothèque, et tout ce qu’il avait à l’exception des habits qu’il portait. Et pourtant, personne ne l’a jamais vu se plaindre de sa perte », a remarqué le chroniqueur. « Pourtant, nous avions la prière tous les matins et tous les soirs, deux sermons tous les dimanches, et la Sainte communion tous les trois mois jusqu’à la mort de notre Pasteur. »
La façon dont Hunt a été enterré révèle qu’il était un homme très pieux. Son corps était enveloppé dans un seul linceul au lieu d’un cercueil. Et, comme le veut la tradition, il fut enterré en faisant face à son assemblée.
A contrario, le style exhubérant de Sir Fernando Wainman a joué un grand rôle dans l’identification de sa dépouille. Wainman, le premier chevalier britannique enterré en Amérique, était maître de l’équipement de Jamestown, c’est-à-dire qu’il était responsable des armes et des armures de la colonie. Il fut une autre victime de la famine, mort à 34 ans en 1610. George Percy, l’un des premiers colons, écrivit plus tard que la mort de Wainman fut « bien regrettée car il était un gentilhomme honnête et vaillant. »
Les tests chimiques réalisés sur les os de Wainman révélèrent une forte exposition au plomb, ce qui indique sa richesse et sa stature, car il y avait du plomb dans les objets en étain et vernissés de l’époque. « Si vous vous trouvez en bas de l’échelle socioéconomique, que vous avez des couverts et de la vaisselle en bois, vous êtes moins exposé à cette terrible toxine », commente Owsley.
Son cercueil extravagant était un autre indice de la noblesse de Wainman. Même si cela faisait bien longtemps que le bois avait pourri, les scientifiques purent étudier l’emplacement des clous du cercueil et le reconstituer à l’aide de l’imagerie 3D. Cette reconstitution leur apprit que Wainman n’avait pas été enterré dans un cercueil classique de forme hexagonale, mais dans un cercueil suivant la forme d’un corps humain, un peu comme un sarcophage du 17e siècle.
Le capitaine William West, parent de Wainman, était lui aussi enterré dans un coffin décoré. On a également retrouvé beaucoup de plomb dans ses os. West fut tué en 1610 à l’âge de 24 ans lors d’une escarmouche avec les Indiens Powhatan près de la cascade de la Jamestown River, à proximité de l’actuel Richmond. Il faisait alors partie d’un groupe d’expédition à la recherche de minéraux précieux, mais il ne trouva qu’un destin tragique.
L’identité de West a été confirmée par la découverte des restes en état avancé de décomposition d’un insigne de dirigeant militaire situé au niveau de la poitrine du squelette. Comme l’insigne était trop délicat pour être retiré, les scientifiques l’ont déterré avec une partie de la terre qui l’entourait. Un micro balayage CT a révélé qu’elle était probablement faite de soie et ornée d’une frange en argent.
Les scientifiques continuent leurs recherches. Les tests génétiques vont apporter plus d’informations sur le degré de relation familiale entre Wainman et West. Des recherches sur la vie d’Archer en Angleterre, notamment sur ses possibles relations avec les catholiques, permettraient d’apporter d’autres indices sur la possibilité d’une enclave religieuse secrète dans la colonie.
« Ces individus ont joué un rôle primordial dans la création de l’Amérique telle qu’elle est aujourd’hui », déclare Owsley. « Leur vie et leur histoire nous intéressent sincèrement. »
Retrouvez Mark Strauss sur Twitter