Miroir magique au mur, objet de pouvoir et de mystère
Objet divinatoire, symbole de vanité et de pouvoir dans la littérature, il a dans Blanche-Neige un rôle essentiel de catalyseur narratif.

Gal Gadot dans le rôle de la Méchante Reine dans la version live action de Blanche-Neige, nouveau long-métrage des studios Disney.
Quand Walt Disney conçoit son premier long-métrage d’animation, dans les années 1930, « la tradition orale se perdait et les contes ne survivaient que dans les livres » explique Lou Lubie, autrice de Et à la fin, ils meurent. La sale vérité sur les contes de fées. « Son projet suscite des doutes, mais Blanche-Neige plaît au public, et devient le premier long-métrage d’animation à marquer l’histoire du cinéma. »
Moins sanglant, plus drôle et romantique que le conte des Frères Grimm, qui eux-mêmes revisitaient les contes de Charles Perrault, le Blanche-Neige de Walt Disney remporte un Oscar d’honneur, la catégorie « Meilleur film d’animation » n’existant pas encore en 1937. Oscar reconnaissable entre tous, il est constitué d’une statuette normale accompagnée de sept autres Oscars plus petits, représentant les sept nains qui accompagnent cette héroïne au teint pâle comme la neige, aux cheveux noirs comme le bois d’ébène, et aux lèvres rouges comme le sang.
Dans Blanche Neige, le nouveau long-métrage live action des studios Disney, le réalisateur Marc Webb, comme Walt Disney avant lui, a fait le choix de revisiter ce conte en présentant à la fois son héroïne et son antagoniste, une reine au cœur mauvais qui peut compter sur un objet précieux : son miroir magique.
UN OBJET MAGIQUE VECTEUR DE VÉRITÉ
« Esclave du miroir magique, accours du plus profond des espaces ! Par les vents et les ténèbres je te l’ordonne ! » intime la Méchante Reine.
« Que veux-tu voir ma reine ? » lui répond cet objet tout à la fois symbole de vanité et de vérité absolue.
« Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? »
Si jusqu’alors la réponse, immuable, rassurait la Méchante Reine, l’assurant que de tout le royaume, elle était la plus belle, le miroir, incapable de mentir, lui révèle que désormais la beauté de sa belle-fille surpasse de loin la sienne. Le miroir vient de nouer l’intrigue. Cette jeune fille devient l’objet de la jalousie folle de la Méchante Reine qui n’aura plus qu’une obsession : la faire disparaître.
Dans de nombreux contes, le miroir est utilisé et mis en scène avec de nombreuses symboliques. Dans Blanche Neige, c’est un objet magique qui ajoute à l’intrigue une dimension fantastique. Il est un vecteur de vérité absolue.
« Le miroir représente l’image objective de soi, sans les déformations de l’ego. Il révèle à la Reine ce qu’elle refuse d’accepter : qu’une autre a surpassé sa beauté, et qu’elle n’est plus la plus admirable » écrit Marie-Louise von Franz dans L'interprétation des contes de fées. Une symbolique également soulignée par Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des contes de fées : « Le miroir ne peut qu’énoncer une vérité absolue, insupportable pour la marâtre : il ne flatte pas, il ne trompe pas, il reflète la réalité du vieillissement et l’inévitable perte de beauté ».
UN MIROIR OMNISCIENT ET ACTEUR
D’autres auteurs de contes ont mis en avant un miroir magique, notamment Jeanne-Marie Leprince de Beaumont dans la Belle et la Bête. Mais aucun n’a donné tant de pouvoir à un miroir, non seulement messager de vérité, mais aussi personnage actif de l’histoire qui pousse l’intrigue dans ses moments clés. C’est lui qui donne à la Méchante Reine le nom de celle qui la surpasse en beauté. C’est lui encore qui lui révèle la trahison du chasseur, qui n’a pu tuer Blanche-Neige et l’a laissée s’enfuir. C’est lui enfin qui lui indique que Blanche-Neige, « plus belle que jamais », a trouvé refuge dans le logis des sept nains, par-delà les sept cascades, au pied des sept collines. La reine en est bouleversée ; elle sait que le miroir ne peut mentir.

Le miroir revisité dans la version live action de Blanche-Neige, nouveau long-métrage des studios Disney.
« Le miroir dans Blanche-Neige n’est pas un simple objet passif ; il sert d’instrument de pouvoir et de contrôle, dictant à la reine sa perception d’elle-même et des autres. Son omniscience renforce une hiérarchie rigide de la beauté, où la perte de suprématie entraîne des conséquences destructrices » explique Jack Zipes, auteur de Les contes de fées et l'art de la subversion.
Cette omniscience donne un pouvoir extraordinaire à ce miroir magique qui agit comme un catalyseur dans l'histoire : « il définit la valeur de la beauté et impose une hiérarchie qui déclenche la jalousie meurtrière de la Reine » poursuit Jack Zipes.
Ce savoir absolu et ce don d’ubiquité donnent au miroir l’ascendant sur la reine, qui, obsédée par sa propre beauté, est incapable d’accepter l’existence d’une rivale.
Pour Blanche Sabbah, autrice de Mythes et Meufs, la reine « obnubilée par sa peur de vieillir est finalement plutôt touchante. Elle reflète la peur très humaine de voir nos enfants nous supplanter. […] Incapable de se trouver belle par elle-même, elle est soumise au jugement du miroir », qui devient un instrument de validation narcissique.
Les magnifiques traits de la Méchante Reine, ses sourcils arqués, ses lèvres rouge sang et ses cils incroyablement longs, se reflètent dans son calice tandis qu'elle boit le breuvage qu'elle vient de préparer, bien décidée à éliminer cette concurrence qu’elle ne peut plus supporter. En quelques instants, elle se transforme de façon terrifiante sous nos yeux. « Elle est bien plus intéressante que Blanche-Neige », estime Maria Tatar, folkloriste émérite qui enseigne à Harvard. « Elle est la belle reine, sage et rusée, et devient la mégère qui n'est vue que par Blanche-Neige et qui est marginalisée. »
Une fois la transformation terminée, la Méchante Reine, séductrice maléfique devenue une vieille femme repoussante au projet meurtrier, ne soumettra plus son image au miroir magique, cristallisant son angoisse de vieillir dans cette métamorphose. Le conte, tel le miroir, a révélé une vérité atemporelle : les apparences peuvent être trompeuses.
The Walt Disney Company est l'actionnaire majoritaire de National Geographic Partners.
