L’Amazone, un géant né de l’amour impossible entre la Lune et le Soleil

Véritable artère de vie de la forêt amazonienne, ce fleuve sacré et ses affluents ont fait l'objet d'une multitude de récits autochtones, aujourd'hui encore porteurs d'une sagesse qui défie les âges.

De Marie Zekri
Publication 14 nov. 2024, 14:23 CET
Le rio Juruá qui s’écoule du Pérou au Brésil sur plus de 3000 km, est l’un ...

Le rio Juruá qui s’écoule du Pérou au Brésil sur plus de 3000 km, est l’un des principaux affluents de l'Amazone. Il rejoint une section longue du fleuve, le rio Solimões. 

PHOTOGRAPHIE DE Alexander Gerst

Lovés au cœur d’infinies vallées montagneuses peuplées d’une végétation impénétrable, l’Amazone et ses milliers d’affluents serpentent impétueusement sur près de 7000 km depuis des millions d’années. Étendues sur plus de 6 millions de km² répartis sur trois États d’Amérique latine, ces eaux alimentent une forêt équatoriale qui abrite en son sein un dixième de toutes les espèces animales et végétales de la planète.

La légende raconte qu’abrité sous la canopée amazonienne, naquit un amour impossible entre la Lune et le Soleil. De chagrin, l’astre d’opale versa un flot de larmes, un jour et une nuit, et inonda la forêt, creusant sillons et vallées qui donnèrent naissance à l’Amazone.

Nombreuses sont les histoires qui content les origines de ce fleuve mythique. Loin du simple folklore, la multitude de récits initiatiques transmis depuis des millénaires par les différentes ethnies qui peuplent l’Amazonie raconte une histoire aux innombrables facettes.

Entremêlés de croyances, de connaissances et de spiritualité, ces récits, véritables ponts entre le passé et le présent, sont des axes précieux de lecture du monde autochtone. 

 

MONDE ET CROYANCES AUTOCHTONES

Les populations animistes d’Amazonie ont une vision symbolique forte de la rivière, considérée comme un être à part entière. « On retrouve de façon assez récurrente dans leurs récits cette idée selon laquelle l’Amazone serait le reflet d’une route fluviale céleste : la voie lactée », explique Stéphen Rostain, archéologue, chercheur à l'université Panthéon Sorbonne et auteur de nombreux ouvrages sur l’Amazonie.

Base de l’orientation humaine depuis ses origines, l’observation des constellations donne des repères à la fois temporels et spatiaux, mais aussi culturels, puisque nombre de croyances y trouvent leur origine. « La plupart du temps, les autochtones s’orientent d’est en ouest en se basant sur l’axe de la constellation d’Orion, lequel suit la trajectoire de l’Amazone », relève l’archéologue. « Cela donne naissance à une symbolique du voyage au-dessus du fleuve, miroir du monde céleste. À la fin de la journée, la constellation plonge sous la surface, dans l’inframonde, pour y suivre le même chemin. » 

Photographie argentique de l’archipel de Mariuá située dans le moyen Rio Negro dans l’État de l’Amazonas ...

Photographie argentique de l’archipel de Mariuá située dans le moyen Rio Negro dans l’État de l’Amazonas prise en 2019. Elle fait partie de la sélection de plus de deux cents photographies affichées à l'occasion de l’exposition AMAZÔNIA de Sebastião Salgado qui a sillonné l'Amazonie brésilienne pendant plus de six ans à la rencontre des peuples et de leur environnement.

PHOTOGRAPHIE DE Sebastião Salgado

Il existe pour les peuples amazoniens trois niveaux de réalité : terrestre, céleste et souterrain, et toute action dans l’un de ces mondes aura des conséquences sur les autres. Étonnamment, l’Amazone est physiquement constitué de trois types de cours d'eau : le fleuve avec ses affluents, l'aquifère qui s’écoule en dessous à contre-sens et qui est dix fois plus large que l’Amazone, et enfin, des « rivières volantes », constituées de grands courants pluvieux. Ces rivières transportent d’ailleurs plus d’eau que l’Amazone lui-même, qui représente 15% de l’eau douce mondiale.

« Parfois, je me demande si la vision autochtone n’est pas une façon vernaculaire de voir avec l’esprit ce que nous percevons avec nos instruments de mesure modernes » s’interroge Stéphen Rostain. « C'est très étonnant de constater à quel point ces observations que l’on a toujours tendance à considérer avec un petit haussement de sourcil relèvent d'une réalité que l’on découvre petit à petit. »

Les autochtones relatent que les premiers esprits de la forêt et les premiers Hommes auraient ainsi débarqué à bord d’un vaisseau, un monstre originel, bien souvent un anaconda ou un jaguar, créatures féroces capables de braver les dangers pour amener leurs passagers à bon port. « Nous avons d’ailleurs retrouvé de nombreuses représentations de ce type sur des peintures rupestres au centre de la Colombie, » ajoute Stéphen Rostain. 

Le nombre de mythes liés à l’Amazone est vertigineux. Il y a autant de versions qu’il y a de conteurs. Et le récit, mêlé à la pensée animiste partagée par l’ensemble des tribus amazoniennes, finit par s’émerveiller de la réalité qu’il dépeignait au départ.

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    Enfant de la tribu Asurini au Brésil, jouant à l'intérieur d'un canoë dans la rivière Amazone. ...

    Enfant de la tribu Asurini au Brésil, jouant à l'intérieur d'un canoë dans la rivière Amazone. Photographie prise en 2010. 

    PHOTOGRAPHIE DE [Alamy Banque d’Images]

    Cette pensée autochtone se base sur trois piliers : l’anthropomorphisme, qui confère à chaque élément de la nature des caractéristiques humaines ; la prédation, qui permet de s’attribuer les forces et qualités de l’ennemi une fois consommé (principe du cannibalisme) ; et enfin, le polymorphisme, qui se base sur l’observation que chaque chose vivante est régie par un processus de transformation, de la chenille au papillon par exemple. « En ce sens, le chaman est une sorte de super-humain, capable de changer de forme » explique Rostain.

    Mêlés à une géographie mentale de l’espace, les mythes forgèrent un rapport unique au monde, et sont aujourd'hui encore porteurs d'une sagesse qui défie les âges, guidée par un profond respect de la nature. Qu’il s’agisse du mythe guyanais du serpent arc-en-ciel, monstre aquatique dont les motifs inspirèrent les guerriers Wayana qui le terrassèrent, ou celui de l’anaconda coloré du Rio Napo, tué par les oiseaux de la forêt qui lui dérobèrent chacun une couleur avant de s’envoler, ces histoires décrivent un rapport sacré à l’eau, ainsi qu’aux entités qui y évoluent. 

    Perpétuer la transmission des récits est important, car elle permet de conserver un lien avec la multitude de vécus et de connaissances ancestrales. D’autant plus qu’au moment de la colonisation occidentale de l’Amazonie, initiée lors de la première descente du fleuve par le conquistador espagnol Francisco de Orellana en 1541, les peuples qui habitaient ses berges ont été chassés ou ont péri de maladies. Cette voie fluviale est rapidement devenue le principal moyen d’accès à la région pour les colons. « En un siècle, il n’y avait plus un seul autochtone sur les bords de l'Amazone, ils sont tous morts » déplore Stéphen Rostain. « Bien sûr, les peuples actuels connaissent le fleuve, mais cela reste un souvenir assez lointain dans l’espace et le temps. »

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