Contrairement à ce que l'on imagine, les Gaulois savaient écrire

Contrairement à la croyance, les Gaulois ont fait usage de l’écriture, laissant derrière eux de nombreuses inscriptions en alphabet grec ou latin. Des spécialistes les ont recensées et numérisées.

De Manon Meyer-Hilfiger, National Geographic
Publication 22 août 2022, 16:40 CEST
Chapiteau de Saint-Côme conservé au musée de la Romanité (Nîmes).

Chapiteau de Saint-Côme conservé au musée de la Romanité (Nîmes).

 

PHOTOGRAPHIE DE RIIG, ANR 19-CE27-0003, CC BY-ND 4.0, musée de la Romanité, Nîmes

Nombreux sont les mythes autour des Gaulois. Les aventures d’Astérix et plus largement l’engouement pour les peuples celtes charrient avec eux quelques croyances erronées. Un mythe qui a la peau dure ? Les Gaulois auraient boudé l’écriture.  « Ce cliché est hérité d'un passage de La Guerre des Gaules, de César, souvent lu trop rapidement. César rapporte que les druides voulaient conserver le secret de leur pratique, et donc qu’ils évitaient l’usage de l’écriture. Mais il est aussi explicitement mentionné dans ce même passage que les Gaulois écrivaient pour les affaires courantes, et qu’alors, ils utilisaient l'alphabet grec » explique Coline Ruiz Darasse, épigraphiste.

Cette chargée de recherche CNRS à l'Institut Ausonius (Université Bordeaux-Montaigne) est à la tête d’un grand projet de recensement et de numérisation des inscriptions gauloises retrouvées en France. Il y en a aujourd’hui près de 800 (sans compter les inscriptions sur les pièces de monnaie), que les spécialistes ont commencé à étudier dès le 19e siècle. La somme de ces savoirs sera disponible en ligne dès le mois d’août 2022, sur le site du RIIG – le recueil informatisé des inscriptions gauloises. Parmi elles, un grand nombre de noms propres écrits sur des cruches, des pierres tombales, des bols...

« Je trouve ça à la fois incroyable et très émouvant de pouvoir lire ces noms écrits sur des objets du quotidien. Cela permet aussi d’avoir un accès direct à la langue gauloise. C’est un moyen privilégié d’en savoir plus sur ces populations celtiques, en contre-point de La Guerre des Gaules, qui est un récit de propagande écrit par César pour financer ses campagnes militaires » souligne Coline Ruiz Darasse. Parmi les exemples que l’on peut désormais consulter en ligne, il y a aussi cette dédicace au dieu des forgerons, Ucuetis, gravée sur une stèle et retrouvée à Alésia, lieu de la reddition de Vercingétorix face à César. « C’est intéressant : d’une part, cela a appuyé l’identification du lieu. En effet, la pierre mentionne "in Alisiia" à la dernière ligne, c’est-à-dire "à Alésia". Et d’autre part, quelques années plus tard, des fouilles archéologiques ont découvert une forge à cet endroit, venant confirmer le sens du texte et l’identité du dieu » s’enthousiasme la chercheuse.        

Graffite de La Cloche 1 (RIIG BDR-06-01 ; RIG I, G-13), avec l’aimable autorisation du Musée ...
Stèle gallo-grecque des époux de Ventabren (RIIG BDR-13-01 ; RIG I, G-106), avec l’aimable autorisation du Musée ...
Gauche: Supérieur:

Graffite de La Cloche 1 (RIIG BDR-06-01 ; RIG I, G-13), avec l’aimable autorisation du Musée de la ville de Marseille (n° de fouille 1.M 16.004). Il s’agit d’une inscription de propriété qui a la particularité d’être une inscription « parlante » si l’on considère que ιμμι est un verbe à la première personne du singulier (une des rares occurrences du verbe être dans l’épigraphie gauloise). Michel Lejeune a traduit cette inscription ainsi : « J'appartiens à Escengolat(i)os, et on ne doit pas me voler. »

 

PHOTOGRAPHIE DE RIIG, ANR 19-CE27-0003, photographie de Hugo Blanchet - Ausonius UMR 5607, Musée de la ville de Marseille
Droite: Fond:

Stèle gallo-grecque des époux de Ventabren (RIIG BDR-13-01 ; RIG I, G-106), avec l’aimable autorisation du Musée de la ville de Marseille (n°inventaire : 8239). Cette belle stèle, où on lit le nom écrit en gallo-grec de Venitouta, fille de Quadrū, montre un nom féminin celtique dont le père était probablement d’origine latine mais vivait en milieu gaulois au milieu du Ier s. av. J.-C.

 

 

PHOTOGRAPHIE DE RIIG, ANR 19-CE27-0003, traitement 3D : Florent Comte - Ausonius UMR 5607, Musée de la ville de Marseille

« VERCINGÉTORIX » SUR DES PIÈCES DE MONNAIE

Si cette stèle, écrite en alphabet latin, date du 1er siècle ap. J.-C., les Gaulois ont commencé à utiliser l’écriture bien avant. Ils pourraient y avoir eu recours dès l’âge du Bronze, même si les spécialistes n’en ont pas trouvé de traces. « Il y avait bien des langues gauloises, qui étaient peut-être écrites sur des supports périssables : des écorces d'arbres, des tablettes en bois, des tissus... Ou bien les Gaulois ne faisaient qu’un usage oral de la langue » explique la chercheuse. Quand les Grecs fondent Marseille vers 600 av. J.-C., ils apportent leur alphabet – mais les Gaulois mettront près de 300 ans à se décider à l’utiliser, sans que l’on ne sache vraiment pourquoi ils attendirent si longtemps. C’est en tout cas au début du 2e siècle av. J.-C. que les premières inscriptions gauloises écrites avec l’alphabet grec apparaissent autour de la cité phocéenne, en Provence et jusqu’en Bourgogne.

Puis, à la fin du 2e siècle av. J.-C., les Romains s’imposent dans le paysage et changent la donne. En conquérant le sud de la Gaule, ils diffusent leurs langues et leurs mœurs. Les langues gauloises se transcrivent désormais en alphabet latin, ce qui permet aux populations celtes de participer au commerce international de l’époque tout en affirmant l’identité des différentes tribus gauloises. « On voit apparaître sur des pièces de monnaie le nom de certains chefs de tribu notamment écrit en alphabet latin. On a par exemple trouvé des pièces où le nom de Vercingétorix est inscrit » poursuit Coline Ruiz Darasse. Les Gaulois s’enrichissent grâce aux échanges avec les Romains, en vendant des armes et de l’orfèvrerie, et ont accès à de nouveaux biens, comme du vin ou de la vaisselle, le tout en revendiquant leur place au beau milieu des envahisseurs.

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    Gauche: Supérieur:

    Stèle de Saint-Germain-Source-Seine (RIIG CDO-02-01; RIG I, G-271 - RIG II.1, L-12), avec l’aimable autorisation de la direction des musées de Dijon (n°inv. 55.9). Le traitement informatique des images de cette stèle conservée au musée archéologique de Dijon fait bien ressortir, sous une inscription gallo-latine située dans le champ triangulaire du tympan et dont le sens est encore débattu, une signature d’artisan, incisée  en gallo-grec sur le bandeau inférieur.

     

    PHOTOGRAPHIE DE RIIG, ANR 19-CE27-0003, traitement 3D : Florent Comte - Ausonius UMR 5607, musées de Dijon
    Droite: Fond:

    Graffite de Bibracte 2 (RIIG SEL-01-02 ; RIG I, G-236), avec l’aimable autorisation de Bibracte (n°inv. Musée Rolin).Une très grande partie des inscriptions gauloises est constituée de marques ne mentionnant que le nom du propriétaire de l'objet. On en voit ici un exemple sur une céramique retrouvée à Bibracte, chez les Éduens, où l’écriture gallo-grecque est largement attestée. Le nom du propriétaire, Ambitoutos (ou Ambitouta ?), présente un oméga cursif, fréquent dans les inscriptions gallo-grecques de Bourgogne.

     

    PHOTOGRAPHIE DE RIIG, ANR 19-CE27-0003, photographie de Antoine Maillier, Bibracte

    « UN GRAND PUZZLE »

    Parmi tous ces enseignements, il reste encore un certain nombre de mystères à percer. « C’est une langue que l’on essaye toujours de décrypter. Par exemple, on ne connaît pas encore tous les cas des différentes déclinaisons. Certains mots ne sont pas totalement compris - même si on tente de trouver des parallèles avec l'irlandais, le gallois ou le breton. On a un grand puzzle avec des trous, et chaque nouvelle inscription nous permet d’avancer dans cette énigme » résume Coline Ruiz Darasse. Dans un souci de transparence, le recueil informatisé des inscriptions gauloises propose, quand les chercheurs ne sont pas certains de l’interprétation, différentes hypothèses de traduction.

    « Cela peut paraître surprenant, mais au milieu des rêveries que suscitent les Gaulois et les druides, nous voulons être le plus rigoureux possible et proposer des données extrêmement solides au public » conclut la chercheuse.

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