Un très rare portrait d’Alexandre le Grand a été découvert au Danemark
Un portrait ornemental militaire en bronze représentant Alexandre le Grand daté autour de l’an 200 de notre ère a été retrouvé à Ringsted, au Danemark. Cet indice rare repousse les frontières de l’influence du célèbre conquérant jusqu’en Scandinavie.
Ce petit disque de bronze gravé du visage d'Alexandre le Grand a été retrouvé dans la ville de Ringsted sur l'île danoise de Zealand. Il est daté de la fin du troisième siècle de notre ère.
L'épopée d’Alexandre le Grand, célèbre roi de Macédoine, devenu l’un des plus grands conquérants de l’histoire au quatrième siècle avant notre ère, a profondément marqué le monde antique. L'homme a laissé son empreinte sur d'immenses territoires, dominant le puissant empire perse et bien d'autres territoires de l’Europe à l’Asie, en passant par certaines régions d’Afrique.
Une découverte étonnante réalisée par deux archéologues amateurs au Danemark, rendue publique en avril dernier, vient rehausser les estimations de cette influence dans l’espace et le temps. En l’an 200 de notre ère, bien loin des frontières de son empire et plus de 500 ans après sa mort, un portrait d’Alexandre le Grand était arboré par un guerrier germanique en Scandinavie.
UN PORTRAIT INATTENDU EN TERRES SCANDINAVES
Le portrait réalisé sur un petit disque de bronze de 2,8 cm de diamètre a été retrouvé à l’aide de détecteurs de métaux à côté de la ville de Ringsted, au cœur de l’île danoise de Zealand. Enthousiastes à l’idée d’avoir déterré un artefact très particulier, les auteurs de la découverte, deux passionnés d’archéologie, Finn Ibsen et Lars Danielsen, ont déposé cet étonnant visage à cornes au musée le plus proche, le Western Zealand Museum, où travaille l’archéologue Freerk Oldenburger.
« Ce n’est pas tous les jours que l’on tombe sur un objet avec un visage humain représenté dessus. J'étais très surpris quand ils me l’ont apporté, d’autant plus qu’une découverte pratiquement identique a été réalisée il y a environ 45 ans » , explique l’archéologue. A plus de 200 kilomètres à l’ouest de là, dans la péninsule danoise du Jutland, un ornement de bouclier en argent doré, présentant les mêmes détails que celui de Ringsted, a en effet été retrouvé sur le site d’Illerup Ådal, non loin de la ville de Skanderborg.
Une bataille entre armées germaniques a éclaté aux alentours de l’an 200 dans la région de Jutland. « Les survivants ont récupéré les armes des soldats vaincus au combat, et, dans le cadre d’une tradition rituelle, les ont mises sur de petits bateaux avant de les déposer sur l'un des lacs de la vallée fluviale d’Illerup Ådal au fond duquel ils ont été retrouvés. Il s'agissait probablement d'une offrande à leurs dieux », précise Oldenburger. « Les archéologues ont retrouvé pas moins de 16 000 vestiges sur le site d’Illerup Ådal. » Or, parmi eux se trouvait un bouclier pourvu d'un ornement représentant un Alexandre le Grand en tous points identique à celui qui vient d’être retrouvé à Ringsted.
Ornement de bouclier en argent doré retrouvé parmi les offrandes d'armes du site d'Illerup Ådal dans la péninsule danoise du Jutland.
Ce bouclier est l'une des nombreuses armes retrouvées sur le site d'offrandes d'Illerup Ådal. Il indique comment les disques ornementaux étaient disposés.
« Malgré la distance qui les sépare, on peut présumer qu’un lien très fort unit ces deux disques ornementaux, tous deux datés de la même époque », poursuit l’archéologue. Le conquérant y est représenté avec des cornes de bélier caractéristiques associées au dieu Zeus Ammon. Alexandre avait adopté ce dieu après avoir rencontré l’oracle de Siwa en Egypte. « Mais généralement, Alexandre le Grand est représenté plutôt de profil, notamment sur des pièces », fait remarquer Freerk Oldenburger.
Le parti pris de la représentation de face des portraits des disques d’Illerup Ådal et de Ringsted se retrouve en Égypte, notamment dans un médaillon en or découvert à Aboukir. Mais cet usage restait peu répandu. Le nouvel ornement de bouclier récemment exhumé laisse penser que la pratique était plus courante qu’on ne le croyait. Il laisse aussi entrevoir des connexions entre régions insoupçonnées.
Tous deux représentés de face, les portraits des disques d’Illerup Ådal et de Ringsted partagent également cette caractéristique étonnante avec un médaillon en or retrouvé à Aboukir en Égypte, « où la tendance est de le représenter cette fois-ci plus de face. » Cette façon de représenter le roi macédonien était jusqu’à présent assez peu répandue selon les connaissances des archéologues. Cette nouvelle découverte met en lumière une pratique bien plus courante qu’escomptée, révélant ainsi des connexions plus ou moins étroites jusqu'alors insoupçonnées.
ALEXANDRE LE GRAND : SON INFLUENCE PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES ET LES ÉPOQUES
Les frontières de l’Empire d’Alexandre le Grand s’arrêtaient bien avant celles de l’actuelle Scandinavie, raison pour laquelle aucun artefact en lien avec lui, à l'exception de ces deux disques, n’a été retrouvé à ce jour dans ces territoires. Comment expliquer leur présence ? Alexandre le Grand était-il connu dans la région ?
« Il n’est pas certain que les guerriers germaniques concernés aient su qu’il s’agissait de la représentation d’Alexandre le Grand », explique Oldenburger. Il est fort possible, avec le temps et la distance que ce symbole a parcouru, qu’il ait été adopté comme une effigie, une divinité. « Mais d’un autre côté », reprend-t-il, « il y avait beaucoup d'interactions avec l’Empire Romain aux alentours de l'an 200 : des échanges commerciaux, des retours de vétérans du service militaire romain ou encore des zones de guerre à la frontière romaine, etc. ».
Sur l’île de Zealand, de nombreuses tombes datées de cette époque contiennent des objets d’origine romaine, comme des verres par exemple. De plus, le métal qui compose le portrait récemment retrouvé est fait d’un alliage de bronze, assez proche de celui qui était utilisé pour forger les statuettes romaines traditionnelles représentant les dieux romains. « Il est possible que ce portrait ait été réalisé à partir de statuettes fondues. Les habitants de la région avaient donc potentiellement entendu parler d’Alexandre le grand », fait remarquer l’archéologue.
Médaillon en or représentant l'Empereur Caracalla à Aboukir en Egypte. Un portrait d'Alexandre le Grand est gravé au milieu du bouclier représenté.
À cette époque, Alexandre était très populaire au sein de l’Empire Romain. Il a par exemple fortement influencé le règne de l’Empereur Caracalla qui se considérait comme sa réincarnation. « Il est donc fort probable qu’il ait aussi été connu de ces guerriers germaniques. » De plus, Caracalla n'était pas son seul admirateur. Il a inspiré de nombreux dirigeants après sa mort. Pourquoi pas des dirigeants scandinaves ou germaniques ?
« Encore aujourd’hui, Alexandre le Grand fascine, y compris au sud de la Scandinavie. Il était le plus grand conquérant de l’ancien monde, de la Grèce, à l'Inde, jusqu’à l'Égypte. Pour de nombreux personnages historiques et dirigeants, se lier à l’image du plus grand des conquérants était aussi une façon de justifier leur propre règne. »
Cette trouvaille soulève de nombreux questionnements quant à l’organisation et aux connexions, notamment commerciales et culturelles qui liaient différentes régions du monde à cette époque. L'étude de ce type d’objets permet de retracer ces liens et leur évolution. Ces indices permettent de mesurer la façon dont une coutume ou une pratique, ici l’adoration d’un personnage historique, peut voyager loin de son point d’origine, perdurer dans le temps, voire influencer le cours de l’histoire.
Retrouvez notre reportage sur la spectaculaire découverte d'une mosaïque représentant Alexandre le Grand en compagnie du grand prêtre de Jérusalem dans le numéro 296 du magazine National Geographic. S'abonner au magazine