Piandj, l'ancien empire méconnu de la Route de la soie
Beaucoup comparent cette découverte archéologique, la plus importante du pays, au Machu Picchu.
Le Piandj coule entre les montagnes du Tadjikistan où les ruines d’un ancien royaume de la Route de la soie ont été découvertes.
À première vue, cela ne paie pas de mine. Il s’agit d’un simple pré rectangulaire sur les contreforts du Pamir, dans le centre du Tadjikistan. Mais fut un temps où, sur cette terre, résonnait le tonnerre des sabots.
Sur un large col, en surplomb des eaux tourmentées du Piandj, ce pré aurait un jour été une arène dédiée à un sport centre-asiatique : le bouzkachi, le « polo de la chèvre morte ». Ce terrain de jeu était au centre d’une citadelle tentaculaire, une capitale politique et religieuse habitée pendant des siècles mais tombée dans les oubliettes de l’Histoire.
Selon les responsables de sa conservation, ce site de 15 hectares est le site archéologique le plus important du Tadjikistan. C’est la pierre angulaire d’initiatives nationales visant à ressusciter une identité tadjike distincte à partir de l’histoire fragmentée du pays ; et il s’agit d’un potentiel point d’intérêt pour les voyageurs déjà attirés par la route légendaire qui serpente le long de la vallée du Piandj : la route du Pamir.
Ce cliché aérien montre le complexe découvert près du village de Ruzvat dans le district de Darvoz. Il ferait partie d’une enceinte royale qui occupe un promontoire sur la colline méridionale du château de Karon.
Sa redécouverte a suscité des comparaisons avec le Machu Picchu à cause de son importance historique, voire tout simplement du spectacle qu’il offre. Les archéologues l’ont nommé Kala-i Kukhna, ou château de Karon, la « forteresse située en hauteur ».
DÉCOUVERTE ARCHÉOLOGIQUE CRUCIALE AU TADJIKISTAN
En 2012, Yusufsho Yakubov, archéologue en chef de l’Académie nationale des sciences du Tadjikistan, a été appelé dans le district de Darvoz pour enquêter sur un amas de gravats incongru situé au-dessus du petit village de Ruzvat, aux confins occidentaux du massif du Pamir. Carrefour commercial et impérial durant des siècles, le Tadjikistan est jonché de citadelles abandonnées depuis bien longtemps et de caravansérails construits à l’apogée de la Route de la soie.
Mais Yusufsho Yakubov, scientifique d’expérience désormais âgé de 87 ans, s’est immédiatement dit qu’ils étaient tombés sur quelque chose d’extraordinaire. « Pendant des années, le site n’avait persisté que comme une rumeur », m’a-t-il confié en juillet quand je l’ai rencontré à Douchanbé, la capitale du Tadjikistan. « J’ai su qu’il s’agissait d’un endroit spécial dans l’heure qui a suivi notre arrivée là-bas. »
Attelée à la tâche sur le monticule, l’équipe de Yusufsho Yakubov a commencé à mettre au jour un édifice intact de six mètres de côté environ dont les murs de briques étaient surmontés d’un dôme. Une inspection plus approfondie a conduit Yusufsho Yakubov a conclure qu’il s’agissait d’un « temple du feu » qui aurait abrité une flamme éternelle, une relique de la religion zoroastrienne qui se diffusa depuis la Perse au 6e siècle avant notre ère avec l’avènement de l’Empire achéménide.
D’autres découvertes n’ont pas tardé à suivre. Des mausolées archaïques parsemaient les collines environnantes. Les fouilles d’un supposé observatoire et temple de l’eau, ainsi que les vestiges d’un mur de défense imposant, ont étayé les soupçons de Yusufsho Yakubov quant à la possibilité que Karon ait pu être un lieu jouissant d’un prestige cérémoniel particulier. Des signes qu’on y produisait du vin et qu’on y traitait l’or trahissent une économie florissante. Des pièces trouvées non loin du temple du feu remontent au 2e siècle de notre ère.
Depuis les ruines de pierre sèche de l’enceinte royale du château de Karon, on peut apercevoir les contreforts du massif du Pamir.
Karon se situe aux confins occidentaux de la province autonome du Haut-Badakhchan, une vaste région dominée par les monts du Pamir où la population éparse est souvent en désaccord avec le gouvernement de Douchanbé. Par conséquent, la découverte de l’histoire de Karon revêt une grande importance non seulement parce qu’elle dévoile un moment crucial de l’histoire tadjike, mais également parce qu’il s’agit d’un emblème de la construction nationale qui vient s’inscrire dans une série de « projets patriotiques » qui ont transformé la silhouette de Douchanbé au moyen de monuments extravagants.
Cependant, malgré toute son importance historique, la chronologie de Karon demeure sujette à conjectures. « Si l’on se fie à la taille du site, il a dû s’agir d’une ville de taille moyenne », explique Pavel Lurje, directeur des Études sur l’Asie Centrale au Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg qui a collaboré avec Yusufsho Yakubov durant trois saisons. « Les villes de ce type sont extrêmement rares dans les montagnes d’Asie Centrale où la vie est, aujourd’hui encore, essentiellement rurale. Karon est une véritable énigme. »
Pavel Lurje est convaincu qu’au Moyen Âge déjà, Karon avait décliné. Des sources littéraires éparses suggèrent que les restes de sa population seraient allés s’installer dans la vallée du Piandj au début du 17e siècle, peut-être en raison de l’assèchement des sources de montagne locales. Cela faisait déjà bien longtemps que le zoroastrisme avait été supplanté par l’islam, devenu la principale religion de la région, bien qu’on ne sache pas exactement ce qui a bien pu motiver la dissimulation du temple du feu découvert par Yusufsho Yakubov.
Qalai Khumb est la ville majeure la plus proche du château de Karon et ne manque pas de logements. On y trouve notamment un hôtel moderne.
Ce qui semble clair, en revanche, est que le dernier chapitre d’une longue période d’oubli s’ouvrit avec l’ère soviétique qui exigea l’effacement de la culture locale au profit du communisme révolutionnaire. Peu après, en 1929, après l’absorption du Tadjikistan par l’URSS, les ingénieurs soviétiques entreprirent la construction de la M41, la route spectaculaire qui traverse les hauts plateaux de Murghab jusqu’au carrefour commercial d’Osh, au Kirghizistan, qu’on finirait par appeler familièrement route du Pamir.
IMPORTANCE DU CHÂTEAU DE KARON DE NOS JOURS
De nos jours, le village majeur le plus proche de Karon, Qalai Khumb, qu’on appelle également Darvoz, sert de relais aux routiers parcourant de longues distances ainsi qu’à un nombre croissant de voyageurs étrangers qui conduisent ou pédalent dans les panaches de poussière des camions. L’unique restaurant du centre-ville, avec son balcon qui se forjette au-dessus des flots tumultueux de l’Obikhumbob, est constamment animé.
Cependant, les sentiers que les mules empruntaient autrefois pour traverser les cols furent oubliés il y a des générations de cela, du moins jusqu’à aujourd’hui. En grimpant la colline méridionale, vous pouvez commencer à appréhender l’importance stratégique du site et l’ampleur de la cité qui s’y dressait autrefois. Au niveau de la crête, un amas de ruines comprend le complexe le mieux préservé de Karon, les possibles vestiges d’une enceinte royale.
En se retournant vers le col, en contrebas, on aperçoit le terrain de polo entouré par des prés qui s’effilent vers l’horizon. De légères stries stratifient la colline occidentale, preuve, selon Yusufsho Yakubov, de la présence de gradins qui auraient permis d’accueillir 10 000 spectateurs. Pour remplir le stade de nos jours, il faudrait faire venir des habitants sur des kilomètres à la ronde.
En dépit des incertitudes entourant son histoire, les défenseurs de la région, et du tourisme au Tadjikistan de manière plus générale, nourrissent l’espoir que le site serve un jour d’ancrage pour le tourisme patrimonial. Un hôtel de luxe moderne, le Karon Palace, a ouvert à Qalai Khumb en 2015. Un petit musée, imaginé pour accueillir la multitude de pièces, de poteries et d’artefacts en tous genres mis au jour par l’équipe de Yusufsho Yakubov, devrait sortir de terre. De larges pans du site doivent encore être exhumés.
« [Ce site] n’affiche peut-être pas la grandeur de Samarcande », concède Yusufsho Yakubov, faisant référence à la ville ouzbèke de la Route de la soie célèbre pour son architecture islamique. « Mais il est tout aussi important pour l’Histoire de l’Asie Centrale. »
Henry Wismayer est journaliste et vit à Londres. Suivez-le sur Twitter. Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.